1921
Les rues de Brest
par ollivier LODEL
- Article 5 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 1 Décembre 1921
RUE COLBERT
Dès 1680, la ville avait fait construire un abreuvoir dont l'emplacement se voit encore de nos jours, dans le bas-fond situé à l'encoignure des rues Colbert et Émile Zola, et Vauban assigna le nom de rue de l'Abreuvoir au chemin qu'il venait de tracer, le long des fortifications, entre, la rue du Château et la porte de Landerneau.
On l'appela bientôt après rue du Bois d’Amour, en souvenir des bosquets qui occupaient, autrefois cette partie de l'enceinte et qui étaient le rendez-vous des laquais et des soubrettes de l'époque.
À la fontaine — qui existe toujours — longtemps, souvent, on attendait son tour, ce qui procurait aux jeunes filles le loisir de causer avec leurs amoureux, à l'ombre des arbres du petit bois, et la fontaine prit tout naturellement le nom de « Fontaine du Bois d'Amour ».
Elle devint rue de la Poste, en 1760, quand la ville ayant acquis, pour 3.000 livres, un terrain situé près de l'Abreuvoir, y fit construire une maison et des écuries pour le service de la « Poste aux chevaux ».
Mais l'arrêté du 5 messidor an II, confirmé par l'arrêté préfectoral du 5 novembre 1811, rendit à cette rue son nom de Bois d'Amour, et elle le conserva jusqu'au pudibond arrêté de 1869 qui lui donna celui de Colbert.
La « Poste aux chevaux » ayant été transférée dans une maison de la rue Algésiras (en face de la rue Duquesne), ses édifices furent vendus nationalement, en 1789, à M. Tarpont et formèrent, plus tard, l'ancien « Hôtel de la Tour d'Argent » qui n'a disparu qu'en 1896.
C'est de « la Tour d'Argent » que l'entreprise Boursicaut faisait partir, tous les jours, à l'ouverture des portes, une diligence pour Morlaix, qui s'arrêtait au « Lion d'Or », sur la place de Viarmes, et, tous les matins, à sept heures, « une voiture suspendue » pour Landerneau.
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La rue du Bois d'Amour était presque impraticable aux voitures et dangereuse pour les piétons, tant sa pente était rapide (près de 0 m. 85 par mètre).
On arrêta, en 1860, d'établir la communication entre les rues de Siam et Saint-Yves, par une voie large à douce déclivité.
La vente du terrain de l'Abreuvoir, à raison de 65 francs le mètre carré, fut effectuée en 1866 ;
puis, en 1880, la ville entreprit les travaux de réfection de la rue Colbert et la construction du mur de soutènement que nous voyons aujourd'hui près de la rue Émile Zola.
Ce mur limite l'ancien terrain de l'Abreuvoir.
RUE DUCOUËDIC
La rue Ducouëdic était le chemin militaire qui bordait les fortifications de 1655.
Elle commençait, comme de nos jours, à la rue Haute des Sept-Saints (rue Amiral Linois) et se terminait à la rue des Malchaussées (actuellement Kléber), en face d'un escalier qui descendait dans la Grand'Rue et que l'on voit encore au n° 84, d'où lui était venu le nom de rue Traverse du Vieux-Escalier.
C'est dans la maison du citoyen Gaudelet, rue Traverse du Vieux-Escalier, que logèrent, en 1794, le président et les membres du Tribunal révolutionnaire.
Et, pour procurer tout le confort à ces « Importants magistrats », on prit les meubles de M. Halna du Fretay, dont la maison (rue Jean Macé, 35) avait été mise sous séquestre, comme appartenant au père d'un officier émigré.
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L'arrêté préfectoral du 5 novembre 1811 donna à cette rue le nom de l'héroïque commandant de « la Surveillante ».
On sait que le 6 octobre 1779, le lieutenant de vaisseau du Couëdic rencontrait, au large de Brest, la frégate anglaise « le Québec », chargée d'épier les mouvements de la marine française.
Du Couëdic la fit sauter après avoir perdu presque tout son équipage ;
sa frégate, totalement désemparée, put rentrer à Brest et il fut fait capitaine de vaisseau :
mais, couvert de blessures, il mourut peu de mois après, le 7 janvier 1780.
Son corps fut inhumé derrière le maître-autel de l'église Saint-Louis, et le roi, pour perpétuer la mémoire de ce brave officier, ordonna qu'on érigeât sur sa tombe un monument, sur lequel il fit graver ces mots :
« Jeunes élèves de la marine, imitez l'exemple du brave du Couëdic, premier-lieutenant des Gardes de la Marine ».
RUE DUGUAY-TROUIN
Cette rue, il y a un siècle, n'avait que deux ou trois maisons à son point d'intersection avec la rue Voltaire et n'aboutissait qu'à la rue du Château.
Elle était séparée de la rue Saint-Yves par une ruelle appelée rue des Quatre-Vents, qu'obstruaient une maison et un magasin adossé à l'hospice civil.
L'élargissement de cette ruelle avait été arrêté en principe, dès 1783, par la municipalité, et un arrêt du Conseil d'État, de 1786, avait implicitement approuve celte délibération, en prescrivant la démolition des édifices.
Mais la Révolution avait empêché l'exécution de ces projets.
La maison et le magasin, appartenant à M. Demontreux, furent achetés par la ville, en 1818, au prix de 9.000 francs, et la rue Duguay-Trouin lut alors prolongée jusqu'à la rue Saint-Yves.
Le n° 4 de la rue Duguay-Trouin fut, de 1838 à 1841, le siège de la sous-préfecture.
RUE DUQUESNE
La rue Duquesne s'appelait autrefois rue de la Congrégation.
Elle tirait son nom de la chapelle édifiée en 1718, sous le vocable de N.-D. de la Miséricorde, qui était la propriété de la Congrégation des Artisans de la ville.
Cette congrégation, fondée par les Jésuites, peu de temps après leur arrivée à Brest, avait un but exclusivement religieux et subsista jusqu'à la Révolution.
La chapelle servit les 3, 6 et 7 avril 1789, de lieu de réunion à l'assemblée générale du Tiers-État, pour la rédaction du Cahier commun des doléances et la nomination de trente députés électeurs qui devaient concourir, avec les autres villes et paroisses de la sénéchaussée de Brest, aux élections des deux députés aux États-généraux,
Vendue comme bien national, elle servit longtemps de magasin aux lits militaires et, sur son emplacement, fut élevée, en 1872, la chapelle Saint-Joseph, succursale de l'église Saint-Louis.
L'arrêté du 5 messidor an II, assigna à la rue de la Congrégation le nom d'Unité et celui du 5 novembre 1811, lui attribua celui du célèbre chef d'escadre.
RUE DE L'ÉGOUT
Avant la Révolution, cette rue s'appelait : Derrière le jardin de l'Intendance.
Elle reçut, en l'an II, comme la rue Kéravel, le nom de rue du Peuple et l'arrêté de 1811 lui donna le nom de rue de l'Égout.
L'échafaud fut dressé, à deux reprises, sur la place de l'Égout :
En 1639, pour l'exécution du matelot Bellegou et, en 1841, pour celle de Bescond et de la femme Castel.
Rappelons ces causes célèbres :
Le 10 juin 1837, le navire de commerce l'Alexandre, capitaine Bouet, 17 hommes d'équipage, partait de Bordeaux à destination de Batavia.
Il quittait ce port, le 15 novembre, avec une cargaison d'environ 600.000 francs, et le 27, dans le détroit de la Sonde, une révolte éclata sur le pont, vers cinq heures du matin.
Le capitaine, qui est de quart, est tué d'un coup de pistolet et jeté par-dessus le bord.
Le lieutenant Morpain est pris au sortir de sa chambre et « poussé dans la mer ».
Le maître Hervé soutient la lutte contre quatre assaillants, mais, criblé de coups et acculé sur la dunette, exténué de fatigue, il s'écrie :
« Vous pouvez maintenant me jeter à l'eau », et on le noie immédiatement.
Trois marins de l'équipage subissent le même sort.
Le matelot Marsaud prend alors le commandement de l'Alexandre et se rend à Newport, dans l'espoir d'y vendre le navire et sa cargaison, mais, contre son attente, il trouve là un consul qui, pris de soupçons sur sa conduite, le fait mettre en prison.
Condamné à mort par le Tribunal de Brest, Marsaud fut exécuté le 11 mai 1839, à trois heures de l'après-midi, sur la place du Château et, sur réclamation du Génie militaire qui vit là une « usurpation de l'autorité maritime », son complice Bellegou qui, déserteur, n'avait pu être jugé qu'au mois de septembre, expia son crime place de l’Égout.
« Midi était d'heure fixée pour l'exécution, nous rapporte le chroniqueur du temps.
L'instrument avait été dressé sur la place qui longe le mur d'enceinte extérieure du port, derrière Kéravel.
Des troupes nombreuses de terre et de mer parvenaient à peine à contenir les flots de curieux qui se dressaient à toutes les issues conduisant à cette place.
« Pour abréger le trajet et, éviter l'encombrement de la rue de la Mairie, l'autorité avait réglé que Bellegou (en traitement à l'hôpital de la marine), passerait par la grille du bagne, peu éloignée du lieu du supplice.
Lorsque l'escorte alla le prendre, il pria de le laisser fumer un peu de temps.
Il marcha d'un pas toujours ferme ; sa pâleur marquait seule son trouble.
« Après avoir reçu, sur l'échafaud, les dernières exhortations de son confesseur, il témoigna du désir de parler à M. le greffier des tribunaux maritimes qui, pensant que le condamné avait quelque révélation à faire, donna ordre de le faire descendre.
Bellegou lui dit qu'il n'avait rien de secret à lui dévoiler ;
« mais, ajouta-t-il, sans être innocent, je ne suis pas coupable comme Marsaud ;
je sais mourir ;
ma seule affliction est d'être confondu avec Marsaud. »
Il lui a été répondu :
« Vous reconnaissez vous-même que les hommes n'ont pas été injustes ;
votre aumônier vous a appris que vous n'avez plus à vous occuper que du ciel, où il est surtout tenu compte du repentir. »
« Une minute après la foule s'écoulait, déplorant qu'un si grand courage n'eût pas animé une plus belle vie. »
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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .