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1921

Les rues de Brest

par ollivier LODEL

- Article 7 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

15 décembre 1921.jpg

 

Sources : La Dépêche de Brest 15 Décembre 1921

 

RUE ÉTIENNE DOLET

 

Cette rue, en face l'église Saint-Louis, dont le tracé figure sur le plan de Vauban, avait été l'objet, en 1740, d'un plan très réussi de l'ingénieur Frézier, qui avait voulu en faire, avec la place et l'église, un ensemble monumental 'harmonieux.

 

La place et la rue devaient être toutes deux bordées de maisons régulières du style de l'église, et les rez-de-chaussée étaient garnis d'arcades circulaires doriques, qui devaient régner tout le long des édifices, jusqu'à leur débouché dans la rue Royale (rue Louis Pasteur.)

C'était un vestibule monumental précédant l’église.

 

On commença, en 1788, les expropriations et les démolitions nécessaires, mais la Révolution arrêta bien vite ces travaux ; puis, quand on les reprit, on se heurta à l'opposition des propriétaires des édifices à démolir.

Dans l'exécution, on préféra les boutiques aux arcades et rien ne resta du beau projet de Frézier.

 

La rue prit, quand elle fut ouverte, en 1810, le nom de Napoléon, celui de Bourbon sous la Restauration, et celui d’Orléans, en 1830.

 

Après 1848, on l'appela tantôt rue de la Fraternité, tantôt rue de l'Église.

Elle avait repris son nom d'Orléans depuis de longues années, quand nos édiles lui attribuèrent, en 1907, celui d'Étienne Dolet.

 

PLACE ÉTIENNE DOLET

 

L'ancienne place Saint-Louis était autrefois connue sous le nom de Vieux-Marché.

Elle était encombrée d'échoppes et de baraques qui disparurent quand on construisit le perron de l'église, en 1788.

 

Nous allons nous arrêter sur ce placître, car il fut pendant tout le XVIIIe siècle, le théâtre des réjouissances et le lieu des supplices.

 

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Suivant une vieille coutume, c'est sous le porche de Saint-Louis que commencent les curieuses cérémonies qui accompagnent l'installation d'un maire.

 

Avant d'entrer dans l'église, le nouveau maire s'agenouille au pied d'un prie-Dieu, vis-à-vis et en dehors de la porte principale ; la main sur le livre des Évangiles, il prête le serment de garder et conserver les droits et intérêts de l'église.

 

Après avoir entendu la grand’messe, il s'arrête devant une pierre « placée au niveau du pavé et percée d'un rond au milieu, censée le centre de la ville ».

Il y pose le talon et prête, entre les mains du sénéchal, le serment traditionnel « de se bien et fidèlement comporter dans les fonctions de maire, de conserver les droits du Roy, les privilèges et immunités de la ville, comme aussi de protéger les pauvres, les veuves et les orphelins. »

 

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Tout heureux événement, tel que la naissance d'un prince, une victoire de nos armées, la conclusion d'un traité de paix, ou encore l'entrée d'un prince du sang, d'un gouverneur et de quelque autre personnage, donne lieu à des fêtes publiques.

 

Et toute réjouissance débute par un Te Deum chanté dans l'église Saint-Louis, auquel assiste la municipalité — cérémonie parfois bruyante, s'il faut en croire l'ingénieur des ponts et chaussées Besnard, qui écrit au maire de Brest, le 20 septembre 1779 :

« Je viens d'entendre votre Te Deum.

Quel tintamarre, grand Dieu ; si j'étais Anglais, j'en aurais bien peur !... »

 

Au sortir de l'église, la municipalité précédés de son greffier, de ses hérauts et de ses archers, se dirige sur la place Saint-Louis, où un bûcher est préparé pour le feu de joie ;

le commandant de la place reçoit des mains du maire une torche de cire blanche, et ces deux magistrats allument ensemble le bûcher, en criant trois fois :

« Vive le Roi ! »

Ce cri est répété par le peuple, tandis que sur les remparts du cours Dajot, l'artillerie tire trois salves de canon et que la milice fait des décharges de mousqueterie.

 

Un bal s'organise sur la place et la population danse au son d'un orchestre, composé, en 1781, de :

5 clarinettes, 3 cors, 1 trompette, 4 bassons, 2 hautbois, 2 fifres, 2 cymbales, 1 tambour de basque, 1 triangle et 2 caisses, en tout 23 musiciens qui, pour le feu de joie du 22 novembre, sont payés 138 livres.

 

Le soir, les habitants doivent, sous peine de prison, illuminer leurs maisons « de deux lumières au moins à chaque fenêtre, celles du rez-de-chaussée et des mansardes exceptées. »

 

Un dîner à l'hôtel de ville, offert par le maire aux officiers municipaux, ou pris sur les deniers de la Communauté, termine souvent la fête.

 

Te Deum, danses, feu de joie et feu d'artifice, repas, ambigus (*), décharges d'artillerie et illuminations, tel est le programme habituel des réjouissances publiques à Brest, comme dans la plupart des autres villes.

« Qui n'a point vécu avant la Révolution, disait Talleyrand, n'a pas connu le bonheur de vivre. »

 

(*) Ambigu - Larousse

Repas dont tous les éléments étaient servis en même temps et que l'on prenait en guise de souper au XVIIe et au XVIIIe.

 

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C'est sur la place Saint-Louis qu'étaient accomplies, au XVIIIe siècle, la marque, la fustigation, les exécutions sur le vif, sur le cadavre ou en effigie, et les « Documents de Criminologie rétrospective » publiés par MM. les docteurs Corre et Aubry, vont nous permettre de rappeler quelques affaires criminelles et causes célèbres d'autrefois, ainsi que les châtiments auxquels assistait, en foule, la population brestoise, sur la place du Vieux-Marché.

 

La potence était dressée sur l'emplacement actuel de la maison n° 6, qui, face à l'église, se trouve à l'encoignure droite de la place Saint-Louis.

 

Pour chaque exécution, potence et bourreau sont amenés de Quimper à Brest, et le prix d'une pendaison nous est fourni par une note d'honoraires de l'exécuteur de Quimper, en 1760 ;

 

« Pour avoir tranché le poignet du supplicié : 21 livres.

« Pour expédition du gibet : 30 livres.

« Fourni le paroir, instrument qui a servi à trancher le poignet 4 livres 10 sols.

« Avoir descendu le cadavre du gibet et l'avoir mis dans le tombereau : 6 livres.

« Cinq journées de voyage, avec son valet 75 livres.

« Façon et timbre du présent 3 livres 2 sols 6 deniers.

« Lesquelles sommes forment un capital de 139 livres 13 sols et deniers. »

 

La marque est une peine flétrissante, mais prononcée aussi avec intention d'imprimer à certains criminels un stigmate indélébile, susceptible de les faire reconnaître en cas de récidivité.

Elle s'appliquait avec un fer chaud portant en relief soit les armes de France (fleur de lys) ou de Bretagne (hermine), ou bien les lettres caractéristiques du genre de crime (V, voleur), ou de peine (GAL, galères).

On marquait autrefois au visage ;

avec le progrès de l'esprit public, on ne le fit plus que sur l'épaule, endroit du corps recouvert par les vêtements, mais facile à visiter.

C'était comme le casier judiciaire sous l'ancienne monarchie.

 

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La peine de la marque et du fouet nous est fournie, en 1713, par l’affaire de la belle Isabeau, écrouée à Pontaniou avec plusieurs de ses compagnes, sous l'accusation de « maquerellage ».

 

Ces femmes avaient clientèle de jeunes officiers, et l'un deux, à la nouvelle que l'on a osé porter la main sur son adorée se porte garant de son honorabilité (!) dans cette lettre naïvement insolente à M. Bergeret, homme de loi, forcé d'intervenir en l'affaire :

 

« Monsieur, vous seray sans doute surpris de mon procédé, mais comme je suis tout résolu de pousser la chose, pour laquelle vous avez esté aujourd’huy dans la place de Kéravel, jusqu'où elle pourra aller, je vous écris pour vous dire que, comme je prends intérest à la fille, si l'on continue à la poursuivre davantage et si on luy cause le moindre chagrin, que je vous prendray tous les deux à partie, le népveu de M. le Sénéchal et vous, afin de rétablir l'honneur et la réputation de ces gens-là, que voilà ternie par vos mauvaises procédures.

Faites réflexion à ce que je vous dis et faites en sorte au plus tost de faire cesser toutes ces poursuites, si vous ne voulez pas que je vous entreprenne vous-mêmes.

Voilà tout ce que j'ay à vous dire à ce sujet et suis tout à vous.

De Sainte-Marthe, à bord de l'Admiral, ce 26e septembre 1713. »

 

Le cas se règle par devant le siège royal de police, et, par arrêt du 22 décembre, la femme Isabeau Donnal est condamnée à la fustigation, à la marque et au bannissement.

 

Le 10 février 1714, la sentence reçoit un commencement d'exécution :

Me Vincent Lucas, huissier du siège, certifie que l'exécuteur criminel de Quimper « a pris la femme Donnal aux prisons de Pontaniou, lui a découvert les espaulles, attaché un écriteau portant « maquerelle publique », l'a conduite et fouettée sur la place du Marché, puis ramenée aux prisons. »

 

Mais voilà que la condamnée doit garder le lit « à cause d'une enflure de la jambe ».

Et le bourreau, dont les gages ont subi de trop longs arriérés, ne veut plus accomplir la seconde partie de la sentence.

Vainement l'huissier le somme de remplir son office, et loin d'obéir, il répond « d'un air arrogant qu'il ne le feroit pas à moins d'estre payé d'avance et qu'il lui falloit vingt pistolles, à raizon d'une pistolle par jour, luy ayant la dépense. »

 

L'exécuteur finit par consentir à continuer son œuvre :

La Donnal est repromenée et refouettée « en suite de quoy elle est amenée au pied de la potence, puis marquée sur l'espaulle dextre d'un fer chaud coupé et taillé en façon de fleur de lis ou ermine.

Ce fait, ladite Donal a esté conduitte par ledit exécuteur hors de cette ville et faubourg de Brest, avec deffense d'y rentrer »

 

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L'exécution en effigie est la « représentation » du genre de mort auquel l'accusé contumace a été condamné.

Effigie et tableau portant copie du jugement de condamnation sont exposés sur la place publique.

 

Nous rencontrons ce genre d'exécution dans une affaire de duels — terminaison fréquente de querelles après boire, entre soldats — et cependant « très expressément défendus à tous ».

 

Le tambour Guillaume Mussard, de garde avec le caporal Brocq, provoque ce dernier.

Tous deux mettent l'épée à la main, et le premier tue son adversaire.

L'affaire est jugée d'office.

Le meurtrier, qui est en fuite, est déclaré contumace et condamné à être pendu, son corps jeté à la voierie ;

« l'exécution aura lieu en effigie ».

 

Le cadavre du caporal « sera, par les soins de l'exécuteur de la haute justice, attaché par les pieds au derrière d'une charrette, traîné sur une claie, la tête en bas et la face contre terre, au travers des rues, jusqu'à la place du Marché, où il sera pendu par les pieds, puis, au bout de vingt-quatre heures, porté à la voierie ».

Le vieux Brest - Le chateau JES.jpg

 

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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