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1921

Les rues de Brest

par ollivier LODEL

- Article 8 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

Les rues de Brest 22 dec 1921.jpg

 

Sources : La Dépêche de Brest 22 Décembre 1921

 

PLACE ETIENNE DOLET

 

Les sentences prononcées contre les cadavres étaient-elles exécutées ?

 

L'affaire de l'espion Legrand, jugée à Brest en 1696, fut l'objet, à cet égard, d'une lettre de l’intendant de la marine Desclouzaux, que nous lirons plus loin.

 

Legrand, employé dans l'administration des vivres, se disant protégé du maréchal de Villeroy, et se faufilant, à la faveur de cette prétendue protection, parmi les officiers de marine dont il recueillait des renseignements sur l’état de nos flottes, entretenait une correspondance secrète avec un calviniste réfugié à Rotterdam.

 

Arrêté et emprisonné au Château, cet homme se jette, un matin, par une fenêtre du premier étage de la prison.

On le relève très grièvement blessé, et, M. Ollivier, médecin de marine, emploie tous les moyens de la science d'alors pour lui conserver la vie, jusqu'à « faire abattre et écorcher des moutons dont la peau sert à l’envelopper et à ranimer ses forces épuisées ».

 

On ne parvient qu'à retarder la mort de quelques heures et, en attendant des ordres supérieurs, l'intendant prescrit de « saler le corps du prisonnier et de le mettre dans un coffre ».

 

La procédure suivit son cours habituel, et sentence fut rendue contre le cadavre de Legrand.

Mais, sur une dénonciation anonyme on crut, à la Cour, que le cadavre d'un pauvre diable de l'hôpital avait été substitué à celui de l'espion, et le ministre, M. de Pontchartrain, écrivit à ce sujet une lettre un peu acerbe à l'intendant, Desclouzeaux, qui fit la réponse suivante :

 

« Sy l'on pouvait scavoir qui a donné l'advis au roy que le nommé Legrand n'est point mort, l'on pourroit juger pourquoi il avoit donné un advis contraire à la vérité.

L'on, juge que l'escriture du billet que Monseigneur m'a fait l'honneur de m'envoyer est escrite de la main gauche.

Je le supplie, très humblement d'assurer Sa Majesté que ce Legrand est bien mort, qu'il s'est jetté par la fenestre d'une des chambres du chasteau, que je l'ay fait mettre dans des peaux de moutons que j'avais fait écorcher tous en vie, croyant que cela le pourrait sauver, estant tout meurtry et fracassé...

Tous les gens de la ville sont témoins qu'il a esté traisné sur la claye, ensuite pendu.

M. de Chateaurenault, auquel j'en viens de parler, a vu faire cette exécution.

Il le connaissait pour l'avoir vu servir M. le marquis de la Porte.

Il fut ensuite jette à la voyrie, où les chiens le mangèrent ».

 

*

**

 

Parmi les exécutions sur le vif, nous signalerons celles, en 1707, de deux espions :

Marquis et Jouslain (*) qui, avant d'être pendus, durent subir la question.

 

(*) Jouslain, marchand corroyeur, habitait la petite maison située à Lanninon, connue sous le nom de maison de l'Espion.

Il en avait fait un poste d'observation des mouvements de la rade et du port, mouvements dont il donnait connaissance à des Français que l'édit de Nantes avait contraints de s'expatrier.

 

La question pouvait être préparatoire, « pour savoir vérité ».

C'était le moyen de forcer la mémoire ou l'aveu au cours d'une procédure, et lorsque le crime, passible de peine capitale, était reconnu « certain et constant ».

 

La question définitive qui venait après la chose jugée, avait pour but d'amener un condamné « à révélation de complices ».

Cette coutume barbare qui ne fut abolie en France qu'en 1780, était une torture ajoutée à un supplice capital, une épouvantable aggravation de la peine suprême.

En Bretagne, la question se donnait par le feu :

On approchait les pieds du patient, chaussés d'escarpins de fer, d'un brasier ardent, un plus ou moins grand nombre de fois, selon que la question devait être ordinaire ou extraordinaire.

 

Après que les deux condamnés Marquis et Jouslain eurent entendu, dans la sacristie de la chapelle de Pontaniou, la lecture de leur sentence, ils furent déshabillés et placés par « le juge questionneur » sur un siège, auquel ils furent liés par les bras et par les jambes, puis soumis itérativement de dire la vérité.

Cette sommation fut renouvelée avant chacune des six applications du feu qu'ils eurent à subir.

 

Le supplice de la question avait commencé à onze heures du matin.

À six heures du soir, les deux condamnés étaient remis entre les mains de l'exécuteur du présidial de Quimper, et conduits devant la porte principale de l'église Saint-Louis.

Là, en présence de toute la population, ils font l'amende honorable, « la tête et les pieds nus, en chemise, une torche à la main, avec deux écriteaux portant les mots :

Traître et espion, l'un sur la poitrine, l’autre sur le dos.

 

Ils sont ensuite pendus sur la place du Vieux Marché.

 

*

**

 

L'exécution sur le vif, souvent précédée de la « question », est parfois suivie du « broiement », comme dans la tragique aventure du nègre empoisonneur Jean Mor, en 1764.

 

Jean Mor, originaire de la Martinique, est depuis sept mois, à Brest, au service d'un jeune enseigne de vaisseau, M. de Niort.

Il a la passion de l'indépendance et pense à se débarrasser de son maître, par un empoisonnement, afin de profiter de l'occasion d'un petit convoi de rapatriement, aux îles, de nègres affranchis, parmi lesquels il se glissera subrepticement.

 

Sur le conseil d'un mulâtre, Louis Rodin, cuisinier du comte de Grasse, qui lui avait remis des graines vénéneuses venant de Cayenne, dites « liane à poison et qui donnent un goût exquis à la volaille », il mêle la râpure de ces «semences » à la farce d'un poulet destiné au repas de son maître.

 

Celui-ci mange du plat sans défiance, ainsi qu'une demoiselle Plusquellec, habitant la même maison, et tous deux éprouvent bientôt des symptômes très inquiétants.

 

L'officier, initié aux mœurs d'outre-mer, n’a pas un instant d'hésitation sur la nature et les causes de l'accident.

Jean Mor, son domestique, a voulu l'empoisonner.

Il appelle l’esclave, en obtient des aveux.

Jean Mor et Louis Bodin sont arrêtés.

 

L'information est lente, malgré l'ordre du ministre, qui écrit à l'intendant de la marine « de recommander aux juges de suivre cette affaire avec autant de précaution que d’activité ».

 

Mais il y a eu l'intervention des hommes de l’art, et les quatre médecins experts ne peuvent pas arriver à donner leur avis sur l'espèce et les propriétés des « cinq » graines incriminées.

 

M. de Niort a éprouvé, deux heures après avoir mangé de la poule farcie, un grand feu dans l'œsophage, de la chaleur et de la pesanteur à l’estomac, des nausées, quelques battements et espèces de mouvements convulsés suivis d'accablement et d'une nuit sans sommeil ;

le lendemain, son mal a augmenté…

 

La demoiselle Plusquellec, qui a mangé une cuisse de la volaille et pas de farce, a été moins éprouvée :

Elle a vomi considérablement a rejeté des glaires teintées de sang, a eu des faiblesses, puis de l'abattement.

 

Et les experts rapportent que « quoiqu’ils aient fait plusieurs voyages à l'Amérique, ils ne reconnaissent en aucune façon l'espèce et le nom de la dite graine, qu’ils doutent même que l’effet de cette graine puisse servir à empoisonner aucune espèce d'animaux, et que, quand l'effet en serait tel, la quantité de graines est trop modique pour pouvoir produire aucun effet sur un chien ni autre espèce de brute

 

Mais il n'y a pas à mettre en doute la tentative d’empoisonnement.

Jean Mor a avoué et il va quand même être soumis à la « question préparatoire avec réserve de preuves ».

 

Voici quelques extraits du procès-verbal de cette torture :

 

« Fait chausser le nommé Mor d'escarpins de soufre et attacher sur le tourment (*)

« Fait, approcher du feu pour la première fois, et, retiré.

« Interrogé... — Répond que son maître ne l’a jamais maltraité, mais qu'il est vrai qu'i lui a souvent demandé de le rendre libre et qu’il l’a toujours refusé.

« Interrogé de ce que Rodin lui répondit lorsqu'il l’entretenoit du refus de son maître faisoit de le rendre libre.

« Fait, approcher du feu pour la deuxième fois, et, retiré.

« Répond que le mulâtre lui dit qu'il devait passer incessamment aux isles et qu'il falloit que lui y eût passé avec luy.

« Interrogé... — Répond que Rodin lui dit avoir apporté des graines de Saint-Domingue, qu’il lui dit que c'était de la graine de « Piment de Bouc » et propre à empoisonner ; que ce fut le 13 janvier dernier qu'il en fit le premier essay en ayant mis plusieurs dans un poulet qui fit rôtir pour le souper de son maître ; qu’il en fit un deuxième essay le lendemain et, la troisième fois, le 17, eut la précaution d’écraser les graines, afin que leur substance malfaisante se fût répandue avec plus de succès dans la farce d'une poularde, qu'il apprêta le soir de ce jour pour son maître

« Fait, approcher du feu pour la troisième fois et retiré.

« Fait approcher du feu pour la quatrième fois et retiré.

« Répond qu'il est vrai que son maître et la demoiselle Plusquellec éprouvoient tous les accidents que nous venons de lui expliquer ; qu'il a porté à son maître, pendant les trois jours de maladie, les remèdes dont il a été obligé de faire usage, et avoue que ces accidents doivent leur avoir été occasionnés par les graines qu'il avait mis dans la poularde.

« Fait détacher de dessus le tourment et asseoir sur une chaise ».

 

(*) Les escarpins appliqués étaient de cuir soufré.

Le tourment était une table sur laquelle on étendait le patient.

 

L'exécution de Jean Mor eut lieu le 2 juin, sur la place Saint-Louis, en présence du sénéchal et du procureur du roi.

 

Escorté par les cavaliers de la maréchaussée de Landerneau, le nègre, qui a été écroué au Château, est conduit par l'exécuteur de Rennes devant la porte de l'église et là, « en chemise, teste nue, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres, l'exécuteur de la haute justice attache devant luy et au dos un placar où est écrit en gros caractères : Empoisonneur ;

puis, estant à genoux, il fait l'amende honorable, déclarant, que méchamment il a tenté à plusieurs reprises d'empoisonner son maître, dont il se repent et demande pardon à Dieu, au roi et à la justice.

Ce fait, il est mené à la place publique pour y estre étranglé et brûlé, son corps réduit en cendre et icelle jettée au vent, devant les juges de la sénéchaussée de Brest. »

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Brest 04.jpg

 

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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