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1921

Les rues de Brest

par ollivier LODEL

- Article 9 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

Les rues de Brest 29 dec 1921.jpg

 

Sources : La Dépêche de Brest 29 Décembre 1921

 

PLACE ÉTIENNE DOLET (suite)

 

La décapitation est réservée aux nobles et gentilshommes.

Nous en trouvons un exemple, à Brest, dans la célèbre affaire de l'espion Gordon.

 

Alexandre Gordon de Wardhouse, gentilhomme écossais de 22 ans et officier au service de l'Angleterre, fut arrêté chez un traiteur de la place Médisance, le 1er juin 1769.

 

Sur conclusions du procureur du roi Bergevin, Gordon est « convaincu d'avoir tenté de corrompre et d'avoir corrompu, en effet, la fidélité des sujets du Roi en les engageant, par écrit et à prix d'argent, de lui fournir tous renseignements, tant sur le nombre et la force des vaisseaux du Roi en ce port de Brest et le nombre des ouvriers qui y travaillent, que sur les ports et anses qui peuvent se trouver le long des côtes de Saint-Malo à Brest, et spécialement de lui marquer les endroits de la côte voisine de Brest les plus propres à y faire des descentes avec sûreté ».

 

Gordon est condamné, le 24 novembre « à avoir la tête tranchée par l'exécuteur de la haute justice, sur un échafaud qui sera, pour cet effet, dressé sur la vieille place du Marché ».

 

Lecture de la sentence est donnée au gentilhomme dans la prison de Pontaniou et, il prend immédiatement, ses dispositions testamentaires, parmi lesquelles nous relevons :

« 120 livres de gratification au perruquier Denis, qui l'a accommodé pendant sa détention ;

150 livres au geôlier et à sa femme ;

une croix d'or qui sera donnée à une bonne vieille femme âgée de 76 ans, nommée Marie Creuzel, laquelle, le voyant passer, peu de jours avant son arrestation, près du parc d'entrée des vivres, s'était écriée :

« Ah ! Le bel homme ! si j'étais jeune, je voudrais qu'il fût mon mari ! ... »

 

Le 29 novembre, à quatre heures de l'après-midi, Gordon sort de l'arsenal, encadré par un détachement de la garnison.

Il est vêtu de noir et porteur de son écharpe, car il doit être exécuté « avec toutes les marques militaires ».

 

Il monte la Grand'Rue « d'un pas ferme et la tête haute, sans affectation, saluant tout le monde, principalement les dames, qu'il voyait en grand nombre aux fenêtres.

Parvenu sur la place Saint-Louis, où 450 hommes de troupes étaient sous les armes, il regarda l'échafaud sans qu'aucune émotion se décelât en lui ».

 

Il s'entretint avec le plus grand calme pendant un quart d'heure environ, avec M. Siviniant, greffier de la prévôté, et pendant la lecture de sa sentence, qu'il entendit la tête couverte et un genou posé sur une pierre, toujours impassible, il se montra très attentif à l’énumération des griefs articulés contre lui.

 

Il marcha ensuite vers l'échafaud et le gravit avec ta plus grande légèreté.

Parvenu sur la plate-forme, il salua les assistants à trois reprises, avec une noblesse exempte de recherche et se borna à dire :

« Voyez, messieurs, mourir un homme à vingt-un ans ! »

 

Il se dépouilla de son écharpe, de son habit, qu'il ploya, prit un mouchoir dans lequel il ramena ses cheveux, reprit son écharpe qu'il replaça comme s'il eût été de service, rabattit le col de sa chemise, demanda si elle était bien, mit un genou en terre, embrassa le poteau, et dit à l'exécuteur, en regardant le couteau (*) qui devait lui porter le coup mortel :

« Ne me manque pas ! »

 

(*) « Cette funèbre relique, dit Levot (Bull, de la Soc. Acad., 1861), se conserve à la direction d'artillerie du port de Brest.

C'est un large couteau renfermé dans une gaine en cuir, et fabriqué pour la circonstance.

Il est droit, et sa lame, en acier est large d'environ 0 m. 07 sur toute sa longueur qui est de 0 m. 75. Le manche en corne, n'a que 0 m. 18 de longueur et ne peut être manœuvré que par une seule main.

Le poids total de l'arme est de 1 k. 500.

Il semble difficile que ce couteau en raison de sa forme et de son poids, puisse trancher la tête d'un homme d'un seul coup. »

 

Le corps de Gordon ne fut pas jeté à la voirie, mais inhumé, sur ordre de l'intendant, dans le cimetière de la rue du Rempart.

 

PASSAGE ÉTIENNE DOLET

 

On exécutait autrefois sur la place du Marché, là où il se réunissait le plus de monde, afin que la répercussion de l'exemple soit plus grande.

 

Mais la potence en bois n'était pas dressée en permanence et « pour continuer l'exemple », le cadavre était porté aux « fourches patibulaires, colonnes de pierre réunies en haut par une traverse à laquelle les condamnés à mort, après avoir été suppliciés, sont exposés à la vue des passants ».

 

Le nombre de ces colonnes ou « piliers » variait de deux à cinq, selon le titre et la qualité des seigneurs, propriétaires de fiefs et partant de la haute justice.

 

Le seigneur de Troujoly, propriétaire des terrains sur lesquels furent édifiés l'église Saint-Louis, en 1702, et le marché couvert, en 1845, avait droit aux fourches patibulaires à trois piliers, d'où le nom de rue des Trois-Piliers porté autrefois par le passage Saint-Louis, aujourd'hui passage Étienne Dolet.

 

RUE FAUTRAS

 

Cette rue qui, en 1688, s'étendait de l'Égout à la rue de la Mairie, s'appelait rue de la Corderie.

Elle aboutissait, en effet, à la Corderie, qui occupait autrefois toute la longueur de la rue Kéravel, depuis la place Médisance jusqu'à la rue de la Voûte.

 

Quand cet établissement fut abandonné, vers 1700, la rue prit le nom de la Filerie, en raison de l'industrie qu'on y exerçait, et son prolongement, en 1771, jusqu'à la rue Algésiras, fut appelé rue des Casernes.

 

Mais, en 1785, la communauté de Brest donna à la rue des Casernes le nom de Fautras.

 

C'est qu'en effet, André Bandeuil, chevalier de Fautras, major de la marine, avait droit à la reconnaissance des Brestois.

 

Les États de Bretagne venaient de voter, au mois de décembre 1784, l'érection d'une statue à Louis XVI et trois villes : Rennes, Brest et Nantes se disputaient l'honneur de la posséder.

Le chevalier de Fautras avait été envoyé à Paris pour assurer le succès des vœux de la marine et de la ville, et cédant à ses sollicitations, le Roi s'était prononcé pour Brest, le 18 mai 1785.

 

Bien plus, quatre jours auparavant, M. de Fautras avait spontanément offert à la ville de solliciter pour elle, l'obtention d'un arrêt du Conseil qui l'eût autorisée à construire des halles dans l'enfoncement du Pont-de-Terre (place La Tour d'Auvergne).

 

Dans l'effusion de la reconnaissance que lui inspiraient ces bons offices, la municipalité arrêta, le 19 septembre 1785, que le nom du chef d'escadre serait donné à la rue « allant de l'encoignure des casernes au carrefour de la rue de la Communauté » (rue de la Mairie).

 

Un arrêté de 1791 rétablit l'ancien nom de la Filerie aux deux parités de la rue, mais le conseil municipal, en 1811, leur restitua celui de Fautras.

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Brest 05 color.jpg

 

La première aile des casernes fut élevée de 1730 à 1732 ;

le pavillon central et la deuxième aile, en 1767.

Les États de Bretagne fournirent, pour cette construction, 209.824 livres.

 

L'acquisition, en 1773, de trois petites maisons appartenant à M. de Riverieulx, donnant sur la rue Fautras, permirent de clore l'esplanade de ce côté.

 

Quant au mur longeant la rue de la Mairie, il fut construit, de 1786 à 1789, sur les ordres personnels du comte d'Hector, commandant de la marine et « sans la participation des ingénieurs des bâtiments civils », ce qui valut au commandant un sévère blâme ministériel.

 

Le vieux comte d'Hector, surnommé « Tire-Poil », connaissait le système D.

Las d'attendre des bureaux de la Cour les fonds nécessaires à la construction de son mur, il trouva les moyens de le faire édifier à peu de frais.

 

Les pierres, il les prend dans l'arsenal, dans l'excavation de la montagne de Kéravel ;

extraction et travaux de maçonnerie sont exécutés par les forçats du bagne.

Quant au sable, il le découvre dans la cour d'une maison du quartier de Lanouron ;

mais la propriétaire, veuve Picard, goûta peu cette façon de procéder ;

elle porta plainte au ministre et obtint 2.400 livres d'indemnité pour les 84 toises de sable qu'on lui avait enlevées.

 

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À peu de distance de la caserne, sur la petite place Fautras, on dressa, en 1743, une potence qui y demeura un certain temps en permanence.

 

Elle avait été plantée pour l'exécution, le 25 janvier, d'un sieur Louis Gourdéol, dit La Bonté, « chef et cause d'un tumulte arrivé au château de Mingant par les soldats de la garnison ! »

 

Le maintien du gibet, après l'exécution, provoqua les observations du ministre ;

l'intendant y répondit en ces termes : 

« Ça a été après des peines infinies que j'ai fait faire cette potence, aucuns ouvriers n'y voulaient travailler, tant ça est en horreur parmi la population en ce pays.

Il a fallu la faire en secret et, après qu'elle a été faite, personne ne voulait la transporter, ni la planter.

Enfin, à force d'argent et de nuit, on est venu à bout de la mettre en place.

Il y aura autant de difficultés pour la mettre à bas et je ne puis vous répondre d'y parvenir. »

 

Dans sa lettre du 25 janvier, compte rendu de l'exécution, l'intendant écrit :

« Le bourreau a eu de la peine à se sauver. »

 

La guillotine a été dressée deux fois sur la place Fautras :

en 1866, pour l'exécution de quatre pirates du Fœderis-Arca, et en 1898, pour celle du fratricide Malavoi.

 

Nous rappellerons, dans un prochain article, l’affaire du Fœderis-Arca.

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La fontaine Fautras.jpg

 

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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