1922
Les rues de Brest
par ollivier LODEL
- Article 10 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 5 janvier 1922
RUE FAUTRAS (suite)
Au mois de juin 1805, le Trois-mâts Fœderis-Arca, de Marseille, capitaine Richebourg, capitaine en second Aubert, 12 hommes d'équipage, faisait route sur la Vera-Cruz avec un chargement de vins et spiritueux.
D'abondantes libations — car l'équipage s'était ménagé les moyens de pénétrer dans la cale au vin, en dévissant un piton de fermeture du panneau — excitaient l'esprit d'insubordination.
Et, un soir, un complot est formé, des conciliabules s'établissent sur le pont ;
l'arrêt de mort des officiers y est prononcé.
Les rôles sont distribués : les matelots Thépaut et Daoulas attaqueront le capitaine dans sa cabine ;
Oillic et Carbuccia se chargeront du second.
La nuit, qui s'était faite, rendait le moment favorable.
Oillic était à la barre ; on lui envole le novice Chicot, qui le remplacera, sous un prétexte convenu, pour lui laisser la liberté d'agir.
Les couteaux sont préparés, choisis ; on en attache deux, ensemble, pour se faire une arme plus meurtrière.
Quelques instants après, le second s’avançant pour donner un ordre de manœuvre, Oillic le saisit par derrière.
Thépaut, Carbuccia et Daoulas essaient de le jeter à la mer.
Doué d'une vigueur peu commune, Aubert repousse ses agresseurs qui le frappent alors de leurs couteaux, à coups redoublés.
En vain appelle-t-il, à son secours, le maître d'équipage Lénard qui se promène sur la dunette et reste témoin impassible de cette scène de boucherie.
Aubert parvient cependant à leur échapper ;
mais, saisi de nouveau et traîné sur le pont, on le jette par-dessus la lisse.
Deux fois, il réussit à rentrer sur le navire.
Les couteaux ne suffisant pas, on détache un lourd levier de pompe en fer, on l'en frappe.
Il tombe presque inerte de la lisse sur le pont.
Alors on s'acharne sur lui, on le frappe à tour de rôle ; on lui fracasse le crâne.
Enfin, on peut le jeter à la mer et l'on entend encore un long gémissement.
Il coule comme un plomb.
Aux cris de son second, Richebourg était sorti de sa cabine, ses pistolets à la main.
Oillic, à sa vue, quitte sa première victime et désarme le capitaine.
On lui met une corde au cou pour l'étrangler, on le conduit à la lisse en lui portant des coups de couteau.
Il demande grâce.
Le maître Lénard crie, de la dunette : « Jetez tout à la mer ! »
Le capitaine est aussitôt précipité par-dessus le bord et le navire continue sa route.
On pille les chambres des officiers ; mais où aller ?
À l'unanimité, il est convenu de couler le Fœderis-Arca, de se mettre dans les embarcations en attendant, le passage de quelque navire et de se donner pour victimes d'un naufrage accidentel.
Toutes les dispositions sont prises pour qu'il ne reste du bâtiment aucun vestige accusateur, et l'équipage se répartit dans deux chaloupes.
Mais un témoin peut être gênant : c'est le mousse Dupré, enfant de onze ans.
Sur ordre de Oillic, Le Clerc le saisit « entre les jambes et le collet pour le jeter par-dessus le bord
Mais le mousse se débat en criant ;
Le Clerc le lâche et Oillic, le prenant aussitôt par les jambes, le précipite à la mer.
L'enfant nageait bien et implorait ses assassins.
Pendant dix minutes, au moins, on l'entendit appeler à son secours sa mère et Dieu, puis sa voix s'éteignit.
Personne ne le secourut.
Un seul de ces hommes, Tessier, éprouva un moment de pitié et prétend s'être bouché les oreilles pour ne pas entendre ses cris.
« Voilà le seul éclair d’humanité qu’on rencontre en face de tant d’atrocités ! »
Source : La Petite presse 24 juin 1866
Quelques heures plus tard, un bâtiment danois recueillait les soi-disant naufragés
et les débarquait aux îles du Cap-Vert ; puis la corvette le Monge les conduisit à Brest.
Ces crimes seraient restés impunis si l'enquête du frère du lieutenant Aubert n'avait amené les révélations du novice, Chicot.
On retrouva huit hommes de l'équipage du Fœderis-Arca et, après de longs débats, Lénard, Oillic, Carbuccia et Thépaut furent condamnés à la peine de mort.
L'exécution eut lieu le 11 octobre 1866, sur la place Fautras, à six heures du matin.
Réveillés à quatre heures, dans leurs cellules de la prison de Pontaniou, les condamnés entendirent la messe à la chapelle, puis les exécuteurs de Caen, d'Angers et de Rennes (Deibler père), accompagnés de deux aides, procédèrent à la funèbre toilette.
À cinq heures et demie, le cortège se mettait en route et sortait de la maison d'arrêt par une brèche pratiquée, pendant la nuit, dans un mur de la cour donnant sur Recouvrance.
Il était composé de deux voitures dans lesquelles les condamnés avaient pris place avec leurs confesseurs.
Les exécuteurs suivaient à pied.
La marche était ouverte par une brigade de gendarmerie à cheval ; puis venaient la gendarmerie à pied, deux compagnies d'infanterie de marine formant la haie et enfin une seconde brigade de gendarmes à cheval.
Plus de 8.000 personnes étaient massées sur la place, sur les remparts, aux fenêtres et sur les toits de la caserne et des maisons voisines, quand, à six heures, les voitures des condamnés arrivèrent, par les rues de Siam et Algésiras, au pied de l’échafaud.
Lénard est descendu le premier, la démarche ferme, la tête, haute ; il s'est agenouillé sur la plate-forme, a été béni par son confesseur, s'est relevé sans aide et s'est approché de lui-même de la fatale planche.
Puis est venu le tour de Thépaut, non moins ferme et non moins déterminé.
Puis Carbuccia, froid et calme ; sa tête, au lieu de tomber dans le panier, roula à terre près des soldats formant le carré.
Enfin, Oillic monta presque en courant les degrés de l'échafaud.
Au moment où on le couchait sur la planche, il s'est écrié : « Adieu la société! »
Cette quadruple exécution avait pris en tout sept minutes.
Par un sentiment d'humanité, chaque condamné n'a été extrait de la voiture qu'après l'exécution de celui qui le précédait.
Un bruit sourd lui indiquait seulement l'approche du moment décisif.
Les corps placés dans deux tombereaux, furent immédiatement transportés par des infirmiers de la marine à l’amphithéâtre de l'hôpital.
Sinistre exhibition des têtes des matelots guillotinés
Source inconnue
RUE FOY
La rue Foy qui rivalise de tranquillité avec la cité d'Antin, fut ouverte vers 1830,
dans le grand jardin de la Société des Vêpres.
La Société des Vêpres, dissoute depuis quelques années, était le cercle littéraire le plus ancien de Brest.
Elle avait été fondée en 1792 jar les citoyens Massac, commissaire de la marine, et Torrec-Basse-Maison, négociant.
Son nom venait, suivant les uns, de ce que ses membres se réunissaient particulièrement à l'heure des vêpres ; suivant d'autres, parce qu'ils se rassemblaient le soir au moment de la « vesprée », autrement dit de la soirée.
La liste des journaux en lecture dans les cercles qui devait être adressée, tous les mois, à l'administration de la police, nous apprend que la Société des Vêpres était abonnée en 1820 au Moniteur, Journal de Paris, Censeur européen,
la Renommée, la Quotidienne, le Journal des Débats, le Constitutionnel et le Courrier de Brest.
Elle comptait parmi ses membres des généraux, des magistrats, les citoyens les plus notables de la ville.
« Elle n'achète aucun pamphlet, mais il arrive que parfois des sociétaires lui font hommage de ceux qu'ils possèdent ».
La Société des Vêpres qui avait, son siège dans le bel immeuble du numéro 21 de la rue Jean Macé, possédait un grand jardin qui s'étendait jusqu'à la rue Voltaire et la rue de la Poterne.
Le percement de cette rue entraîna la démolition de quelques maisons de la rue de la Poterne et dans le tracé un vaste terrain, pour la construction d'un tribunal, avait été réservé à l'angle des rues Foy et Voltaire.
Les bureaux de la Caisse d'épargne occupent actuellement, dans la rue Foy, une partie de l'ancien Jardin des Vêpres.
Ce fut quelque temps après les funérailles du général Foy (28 novembre 1825) que la nouvelle rue fut ouverte au public et on lui donna le nom du célèbre tribun.
Foy, né à Ham (Somme), en 1775, avait fait toutes les guerres de l'Empire et était inspecteur générai d'infanterie à Nantes, quand sans enthousiasme et sans espoir, il se rallia à Napoléon, au retour de l'île d'Elbe.
Mis à la tête d'une division dans le corps du maréchal Ney, il combattit aux Quatre-Bras et reçut à Waterloo sa 15e blessure (18 juin 1815).
Ce n'est d'ailleurs plus comme militaire, qu'il devait acquérir ses derniers et ses plus beaux titres de gloire.
La politique qui l'avait toujours passionnée, l'attirait de plus en plus.
Patriote et libéral, les agissements des Bourbons le froissaient et l'inquiétaient.
Élu député, en 1819, par le département de la Somme, il défendit les libertés publiques et la cause de la Révolution avec une constance, et un courage infatigables, un magnifique talent qui le classa au premier rang parmi nos orateurs parlementaires.
Sa mort fut regardée dans toute la France comme une calamité nationale.
Cent mille personnes suivirent son convoi ; son cercueil fut porté à bras jusqu'au Père Lachaise.
Comme il laissait cinq enfants sans fortune, une souscription publique, fut provoquée en leur faveur par ses amis et, en quelques mois, elle produisit un million.
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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .