1925
L'incendie de la perception de Plouzévédé
et
le suicide du percepteur Demont
Source : La Dépêche de Brest 13 février 1925
Le 11 courant, à 9 heures, lorsque l'employée de la perception de Plouzévédé, dont le bureau se trouve à Landivisiau, arriva au travail, elle s'aperçut que la serrure ne fonctionnait pas :
Elle avait été crochetée et la porte était fermée seulement au loquet.
En ouvrant, elle vit qu'un amas de livres, posé au milieu du bureau, brûlait, dégageant une forte fumée ;
ces livres avaient été pris sur la cheminée, où ils étaient placés.
La gendarmerie, prévenue, se transporta immédiatement sur les lieux.
Le feu fut éteint et les pièces les plus importantes enlevées.
La situation se compliquait d'ailleurs de l'absence du percepteur, actuellement en congé.
L'enquête se poursuit, en vue de découvrir le ou les coupables de cet acte, dont les conséquences ont pu, heureusement, être limitées.
*
**
Source : La Dépêche de Brest 16 février 1925
Source : La Dépêche de Brest 19 février 1925
Nous apprenions hier soir vers 17 heures, qu'un homme venait de se suicider à Pont-Christ, près de Brézal.
Dix minutes plus tard, nous étions au dit lieu, et on nous indiquait l'endroit où se trouvait encore le corps du suicidé, sur la chaussée de retenue du bel étang de Brézal.
À notre arrivée, nous remarquons le cadavre d'un homme jeune et vigoureux, dont les pieds affleurent la crête de la pièce d'eau.
Nous apprenons bientôt qu'il s'agit de M. Paul Demont, percepteur de Plouzévédé, âgé de 37 ans, résidant à Landivisiau, grand mutilé de guerre, amputé du bras gauche, décoré de la Légion d'honneur, ancien lieutenant d'infanterie.
D'après les constations faites devant nous sur les lieux, par M. le Juge de paix de Landivisiau et les gendarmes de la brigade de cette même localité, M. Demont se serait suicidé en se tirant une balle de revolver dans la tempe droite, laquelle est ressortie par la tempe gauche.
La mort a certainement été foudroyante :
l'arme a sauté de la main du malheureux fonctionnaire au moment du départ du coup de feu et a été projetée dans le coursier de l'étang, à un mètre environ, où on l’aperçoit, reposant sur un fond de vase.
C'est un browning d'officier, du modèle réglementaire de l'armée.
Le cadavre a été découvert par M. Chapalain facteur auxiliaire de La Roche-Maurice qui revenait de chercher du bois et qui alla immédiatement prévenir le cantonnier de service sur la route, lequel téléphona sans retard à la gendarmerie de Landivisiau.
M. Thomas, de Brest, qui pêchait, dans le courant de l’après-midi, le long des berges de l'étang, entendit très bien, vers 13 heures, une détonation sèche provenant d'une arme à feu.
Mais il ne découvrit, personne dans les environs et il pensa qu'un braconnier, la chasse étant fermée, venait de tirer un pigeon, ce n'est que lorsqu'il apprit qu'on venait de découvrir un cadavre, à 300 mètres de là, qu'il vint déclarer aux gendarmes avoir très bien entendu une détonation d'arme à feu, deux heures auparavant.
M. Demont était revenu de Paris, le matin même, par le train de 11 heures, où il avait obtenu son changement de résidence pour une perception de l'Aude.
Près du cadavre, nous avons entendu rappeler que, le 11 courant, l'employée de la perception s'aperçut que la serrure du bureau avait, été crochetée et qu'en ouvrant la porte, elle vit qu'un amas de livres, posé au milieu de la pièce, brûlait, en dégageant une forte fumée.
Les livres avaient été pris sur la cheminée, où ils étaient toujours placés.
Le feu fut éteint et les papiers les plus importants furent sauvés.
Une enquête fut ouverte par la gendarmerie, mais la situation paraissait assez embrouillée, car le percepteur se trouvait, en congé.
Quelques jours plus tard, on pensa qu'il s'agissait d'une vengeance.
Aujourd'hui, de nouvelles découvertes auraient été faites et celles-ci pourraient se rattacher fort étroitement au suicide du malheureux percepteur.
Source : La Dépêche de Brest 20 février 1925
La mort volontaire de M. Demont, percepteur de Plouzévédé, en résidence à Landivisiau, qui était bien connu dans toute la région, y a soulevé une légitime émotion.
Le disparu était, avant la guerre, sous-officier de cavalerie rengagé à Verdun.
Pendant la guerre, il devint officier, fut blessé et perdit un bras.
Chevalier de la Légion d'honneur, titulaire de plusieurs citations et décorations, il était, lorsqu'il fut retraité, sous-lieutenant au 175e régiment d'infanterie.
Par arrêté du ministre des Finances en date du 14 août 1918, il était nommé percepteur de Plouzévédé.
En janvier 1924, il fut nommé percepteur de Stenay (Meuse), poste équivalent, mais qu'il ne rejoignit pas.
Il prétexta le décès de sa fille, survenu à Landivisiau, pour y demander son maintien.
Mais par arrêté du ministre des Finances en date du 31 décembre 1924, il était déplacé et nommé à la perception de Magnant (Aube).
M. Demont était de caractère difficile, et ses relations, tant avec les contribuables qu'avec les magistrats municipaux, dont il était le collaborateur, et même avec ses chefs, en souffraient.
Des plaintes avaient été portées contre lui.
Elles n'aboutirent pas, faute de preuves suffisantes, sauf l'une d'elles, dans laquelle Mme Demont, qui aidait son mari dans ses travaux, s'avoua coupable.
Son rôle dans les irrégularités qui amenèrent la suspension de M. du Penhoat (*), maire de Cléder, s'il n'apparaissait pas tout à fait suspect, laissait du moins supposer de sa part une complaisance certaine, coïncidant avec une absence de contrôle justement remarquée.
(*) La suspension de M. du Penhoat, maire de Cléder - à lire ici.
Il faut donc voir dans ces ordres de faits les motifs du déplacement d'office qui lui avait été infligé.
En dernier lieu venait s'ajouter à ces incidents l'incendie du bureau de sa perception, incendie survenu pendant qu'il se trouvait en congé et qui s'était déclaré dans des conditions demeurées mystérieuses.
Il avait été dit que le parquet avait conclu à une vengeance de la part d'un contribuable ou d'un adversaire personnel.
Cette version n'est pas exacte.
Nous savons, au contraire, que dans l'opinion des magistrats, si toute la lumière n'avait encore pu être faite, il n'en restait pas moins que l'attitude de M. Demont paraissait de nature à inspirer quelques soupçons.
Revenant d'un nouveau voyage à Bar-sur-Seine, il apportait au magistrat instructeur une lettre de Mme Demont, dans laquelle celle-ci déclare être l'auteur de l'incendie.
Elle serait arrivée à Landivisiau à 21 h. 40, aurait pénétré dans le bureau, où elle serait restée pendant deux heures et, en partant, vers minuit, entassant quelques livres au milieu de la pièce, elle y aurait mis le feu après les avoir préalablement arrosés de pétrole.
Son dessein était de créer des difficultés à la jeune fille qui gérait la perception pendant leur absence et dont elle était jalouse.
En partant, à minuit, du bureau, elle se serait dirigée, à pied, sur Landerneau, où elle aurait pris le train pour Nantes ...
Tous ces points demandent à être vérifiés soigneusement, et c'est là la besogne à laquelle s'attache actuellement M. Crenn, juge d'instruction.
Ajoutons d'ailleurs que Mme Demont se trouverait actuellement à Paris ou à Bar-sur-Seine.
Comment M. Démont — sa femme prenant à sa charge l'incendie du bureau, dans lequel ne disparurent pas de valeurs, mais où brûlèrent néanmoins des pièces de comptabilité fort importantes — a-t-il été poussé à son acte désespéré ?
Une première vérification de la caisse, des valeurs et des pièces comptables, opérée par M. le receveur des Finances de Morlaix, ne laisse apparaître aucune irrégularité.
Une vérification plus minutieuse en fera-t-elle découvrir ?
On ne le sait.
En quittant son bureau, le 18, il indiqua à l’employée chargée de la gérance intérimaire, qu’il se rendait à Morlaix, avec le brigadier de gendarmerie, pour y être entendu relativement aux aveux de sa femme.
Mais, au lieu de s'arrêter à la gare de Landivisiau, il se dirigea par la route de Landerneau, jusqu'à l'étang de Brézal, ou il se donna la mort.
Il ne portait sur lui qu'une carte d'identité, et il n'a laissé aucun papier expliquant sa décision désespérée.
Source : La Dépêche de Brest 21 février 1925
Pauvre, pénible affaire que celle de ce percepteur de Plouzévédé qui se suicidait mercredi, dans les circonstances que nous avons indiquées !
Les causes ?
Vraisemblablement quelques besoins d'argent entraînant des détournements au préjudice de la caisse publique.
Les conséquences ?
Elles se manifestaient ce matin tandis qu'à Plounéventer, tristement, sans parents, sans amis, le corps de Pam Demont, était porté au cimetière ;
qu'au palais de justice de Morlaix, la femme du défunt s'efforçait, en sanglotant, de répondre aux questions du juge d’instruction ;
que chez une tante, à Paris, les deux fillettes du désespéré, âgées de 7 et 10 ans, attendaient angoissées le retour problématique d'une maman.
On s'était profondément ému, dans toute la région de Landivisiau, à l'annonce du drame, et on s'était empressé d'en chercher l'explication.
En pareils cas, lorsqu'elle ne se présente pas immédiatement, on accueille souvent avec trop d'empressement les bruits les plus divers et les plus fantaisistes.
Les trois faits qui s'étaient succédé en quelques mois, marquant, les dates principales de, l'affaire, ayant été diversement présentés et commentés, il semblait difficile de se faire une opinion.
Mais, cependant, les résultats de l'enquête que nous poursuivons semblent aujourd'hui nous permettre de nous prononcer sur la cause du drame lui-même.
Paul Demont, nous l'avons dit, avait été nommé percepteur à Plouzévédé le 14 août 1918.
Il choisit pour résidence Landivisiau et vint y installer un bureau dans la rue principale, près de la place.
Mme Demont était, quelque temps après, nommée employée de perception et se trouvait attachée au bureau de son mari.
Le percepteur, avons-nous dit, était de caractère difficile et diverses personnes se plaignirent de lui, maïs sans preuves.
Cependant, un jour on put constater que des détournements, s'élevant à 15.000 francs environ, avaient été commis.
À quelles fins ce fonctionnaire, qui menait une existence rangée, destinait-il cet argent ?
Il avait acquis du terrain, y avait fait construire un immeuble confortable, puis l'avait vendu dans les plus mauvaises conditions.
Était-ce pour cette opération ?
On connaît d'autres faits du même, genre capables de faire douter de la logique de son esprit.
L'administration intervint, mais Mme Demont affirma qu'elle seule était coupable.
Elle fut révoquée et les fonds détournés furent restitués.
Quelque temps après, elle était remplacée par une jeune fille venue d'une autre région.
Bien qu'elle s'en défendît avec énergie, Mme Demont, disait-on, avait beaucoup à souffrir du caractère de son mari.
D'autre part, leurs familiers affirment avoir toujours eu l'impression qu'ils vivaient normalement unis.
Le nouveau propriétaire de l'immeuble bâti par le percepteur voulant l'occuper, Demont dut céder la place et comme il ne trouvait pas de logement, il répartit ses meubles en divers endroits pour venir habiter une chambre garnie au-dessus du restaurant où il vint prendre pension.
Le 1er novembre, Mme Demont quittait Landivisiau pour aller vivre chez sa sœur à Paris avec ses enfants.
Son mari l'y accompagna, puis revint.
Le 31 décembre, le percepteur, déplacé, était nommé à Magnant (Aube).
Le 11 février, en son absence, tandis qu'il était allé visiter son nouveau poste, on s'aperçut qu'au cours de la nuit des papiers et registres de comptabilité avaient été entassés au milieu de la pièce et brûlés.
Une enquête fut immédiatement ouverte par la gendarmerie et le parquet de Morlaix.
Quel était l'auteur de cet acte et quel en était le but ?
Les constatations révélèrent, qu’il n'avait, pu être commis que par une personne connaissant parfaitement le bureau de perception.
On interrogea longuement, Demont ainsi que son employée, mais vainement.
Cependant, il apparaissait que le fonctionnaire avait seul intérêt à faire disparaître des pièces dont l'examen pouvait lui être défavorable.
Les interrogatoires se succédaient se faisant de plus en plus serrés.
Au début de la semaine, Demont paraissant déprimé, partit à Paris.
Il en revint mercredi matin par le premier train, et comme la veille on l'avait invité à se présenter à la gendarmerie il s'y rendit peu après.
Là encore il dut, subir un nouvel interrogatoire, au cours duquel il présenta une lettre de sa femme par laquelle celle-ci déclarait être l'auteur de l'incendie.
« Je suis arrivée à Landivisiau à 21 h. 40, exposait-elle, j'ai pénétré dans le bureau où je suis restée jusqu'à minuit.
J'ai arrosé les papiers de pétrole avant de les enflammer.
Puis je suis partie à pied vers Landerneau où j'ai repris le lendemain matin le train pour Paris.
Je voulais créer des difficultés à la jeune fille qui gérait la perception. »
Cela fait, Demont revenait à son bureau et, plus déprimé que jamais, déclarait à son employée :
« Je vais me tuer ! »
— Vous êtes fou, lui dit la jeune fille, ne croyant point, à l'exécution d'un pareil acte.
Et comme il insistait, il reprit :
« Ce serait fou, en effet ; cet après-midi, je me rendrai à Morlaix, près du juge d'instruction, qui m'a convoqué. »
Au déjeuner, Demont se montrait très pressé, puis il partait pour ne plus revenir.
Le revolver l'avait étendu raide mort, près de l’étang de Brézal.
Nous avons voulu entendre Mlle X..., l'employée de la perception, et recueillir ses impressions sur cette tragique affaire.
Elle s'indignait, précisément à la lecture d'un article traitant du suicide.
— Laissez-moi tout d'abord protester de toute mon énergie, dit-elle, contre les insinuations et les accusations portées contre moi par « l'Ouest-Éclair ».
M. Demont se montra toujours courtois et réservé, et s'il est exact que Mme Démons a écrit qu'elle voulait me causer des ennuis, je ne m'en explique pas la cause car j'eus toujours avec elle les meilleures relations, voici une carte qu'elle m'adressait en janvier, pour me présenter ses « meilleurs vœux de bonheur ».
Cela n'est-il pas significatif ?
« D'ailleurs, tous deux me paraissaient vivre en excellents termes.
Depuis son départ à Paris, qui ne m'apparut pas comme une véritable séparation, Mme Demont écrivait régulièrement à son mari.
« En ce qui concerne la comptabilité dont je m'occupe depuis septembre, jamais je n'ai relevé la moindre irrégularité »
Demont, avant de mettre fin à ses jours, avait pris soin d'écrire une lettre qu'il adressait à M. le juge d'instruction.
L'ayant écrite à la hâte, il l'avait posée simplement sur son bureau et s'en était allé vers le destin.
Une lettre en semblables circonstances est, on le conçoit, du plus grand intérêt.
Que pouvait-elle révéler ?
On ignorait généralement jusqu'à son existence, puisqu'elle n'avait été découverte qu'au moment de l'apposition des scellés.
Nette et concise, elle jette sur ce drame une note plus tragique encore peut-être que le dénouement lui-même.
« Au moment de mourir, écrivait, le désespéré, je dois, M. le juge, vous faire les déclarations suivantes :
« Dans un moment d'affolement, j'avais brûlé le registre récapitulatif de l'an, dernier.
« Je jure qu'il ne manque rien à la caisse.
« Je voulais mourir.
« C'est ma femme qui est venue mettre le feu aux papiers de la perception, mais elle n'a agi qu'à mon instigation.
« C'est une sainte ! Acquittez-la, messieurs les jurés.
« Je vous demande pardon. »
Télégraphiquement, le parquet de Morlaix avait convoqué hier Mme Demont, qui quittait Paris dans la soirée, en compagnie de sa sœur.
Ce matin, elle se présentait devant MM. Piquart procureur de la République, et Crenn, Juge d’instruction, qui avaient procédé, à Landivisiau aux constatations, lors de la tentative d'incendie de la perception.
Très abattue, elle vint en sanglotant répondre aux questions qui allaient lui être posées.
Pénible interrogatoire, qu'il fut impossible de prolonger longtemps, en raison de l'état de la malheureuse femme.
Elle confirma cependant les ultimes déclarations de son mari, puis fut autorisée à se retirer, car, quoi qu'on en ait dit, Mme Demont n'a nullement été arrêtée.
Elle ne le sera vraisemblablement pas, d'ailleurs, si la découverte d'autres faits ne vient donner à l'affaire une nouvelle tournure.
« Elle n'a agi qu'à mon instigation », écrivait le percepteur avant de mourir, n'en fut-il pas de même lorsqu'elle écrivit la lettre où elle s'accusait ?
N'en fut-il pas de même lorsqu'elle se reconnut coupable des détournements qui entraînèrent sa révocation ?
C'est à l'éclaircissement de ces points importants que vont, s'attacher à présent les magistrats instructeurs.
*
**
Source : La Dépêche de Brest 25 février 1925