top of page


1936

Un trésor se cache au Moulin-à-Poudre
par Charles Léger

 

Un trésor se cache rue du Moulin à Poudre.jpg

Source : La Dépêche de Brest 1 mai 1936

 

— Encore un trésor ?

— Oui, monsieur, et un vrai.

— C'est toujours ce que l'on affirme.

— Oh ! Mais pardon, celui-ci figure sur un acte notarié bien qu'on ne l'ait pas encore découvert. D'ailleurs, il n'est pas loin d'ici, voyez plutôt au Moulin-à-Poudre.

 

C'était une indication qu'il importait de vérifier.

Mais en la matière il faut y aller avec prudence.

Voici un vieillard qui nous renseignera peut-être.

 

— Vous habitez-là un endroit bien charmant à cette époque.

— Oui, mais est-il exact qu'un pont doit être construit au-dessus du Moulin-à-Poudre pour unir les nouveaux quartiers de Kérigonan à ceux du plateau du Bouguen ?

— Parfaitement, il est prévu au plan d'embellissement.

— Cela va singulièrement transformer l'aspect de notre vallée.

On ne la reconnaîtra bientôt plus.

— Il nous semble pourtant que c'est précisément là le point de l'agglomération qui a été le moins touché dans le bouleversement général.

Le village a conservé son ancien aspect avec ses ombrages et, tout proches, ses jardins étagés.

 

Notre vieil interlocuteur s'étonne.

 

— Vraiment, monsieur, vous n'avez pas connu l'ancien Moulin-à-Poudre avec son ruisseau, son étang, son chemin bordé de grands hêtres.

La route actuelle où passe le tramway n'existait pas alors.

Il n'y avait là qu'un étroit chemin bordé de maisons ; encore ne l'empruntait-on guère, utilisant plus pratiquement, pour aller de Kérinou à l'arsenal, celui qui passe encore au milieu du village, au long de la rive droite de l'ancien ruisseau.

C'est pourquoi nous continuons, nous, d'appeler « nouvelle route » celle qu'emprunte le tramway.

 

« La plupart des terrains appartenaient, à cet endroit, à la Marine.

Rien n'est plus facile de s'en convaincre en suivant les bornes de pierre gravées d'une ancre qui marque encore la délimitation de cet ancien domaine.

 

« C'est là, sur le ruisseau, que la marine avait édifié quatre moulins utilisés pour broyer le charbon de bois entrant dans la composition de la poudre à canon.

 

« Certes, les anciens vous le diront, tout cela a bien changé. »

Le village du moulin à poudre.jpg

— Savez-vous que votre vallée a bien failli connaître d'autres bouleversements ?

C'était à l'époque où en raison de la tension de nos relations avec l'Angleterre, on avait résolu de compléter le système de fortifications de Vauban.

M. de Langeron, lieutenant-général, chargé d'établir le projet était alors commandant de Bretagne. C'était en 1776.

 

« Depuis que le port de Brest a été agrandi écrivait-il, en creusant la haute Penfeld, il est nécessairement à découvert.

Peut-être aurait-il mieux valu creuser un grand et beau bassin au Moulin-à-Poudre ou à la Brasserie, mais cela n'étant pas, il faut partir de la situation actuelle. »

 

— Du coup la Marine n'eut jamais abandonné ses terrains.

— Mais peut-être, au cours de ces travaux, eut-on découvert le trésor ?

— Le trésor ? Ah ! vous savez !

Mais il est d'une époque plus récente.

Pour vous en assurer, voyez donc M. Félix Kervern, dont la famille est établie là depuis un siècle et demi.

 

Aimable accueil, explications empressés d'un homme qui a conservé l'amour de sa petite patrie, dont il évoque le passé avec sentiment.

 

— Les moulins désaffectés existent encore, nous dit M. Kervern ; voici, au sommet de notre prairie, un bief dans le canal de dérivation.

 

« À cette époque, l'eau du ruisseau était claire, les anguilles y foisonnaient et on en prenait à pleins seaux.

Aujourd'hui, le déversement des eaux sales de Kérinou, de Saint-Martin, des lavoirs et usines ont rendu ce ruisseau inhabitable pour quelque poisson que ce soit.

 

« Le Moulin-à-Poudre était assez isolé, mais les habitants y vivaient en pleine harmonie.

Le pardon, chaque année, était très suivi.

On fêtait la rosière qui était appelée à planter l'arbre de mai.

Dans la petite chapelle du parc voisin, dont le clocheton de bois se dégage à peine de la verdure, on disait la messe.

Ancienne chapelle du pardon.jpg

— Mais le trésor ?

 

— Son histoire était connue de tous les anciens du village et nous avions fini par croire qu'il s'agissait d'une légende ; mais un fait m'ouvrit les yeux.

 

« À la fin de 1919, je fis acquisition de la maison portant le n° 9.

Mon attention fut attirée par une clause de l'acte de vente, dont voici la teneur :

« Les vendeurs déclarent se réserver expressément à leur profit et au profit de leurs héritiers et représentants, le droit de propriété sur toutes sommes, titres, objets d'art et bijoux de quelque nature que ce soit, notamment un collier d'émeraudes, qui pourraient se trouver dans l'immeuble présentement vendu, même s'ils étaient enfouis ou cachés, et qui pourraient se découvrir par suite de l'écroulement ou de la démolition des biens dont il s'agit ou pour toute autre cause que ce soir.

 

« Les acquéreurs n'auront donc aucun droit de propriété aux objets et valeurs ainsi trouvés et ils devront en prévenir les vendeurs, auxquels ils restitueront ces objets et valeurs, sans aucune indemnité de la part de ces derniers et, ce, sans délai. »

 

« Cette clause fut pour moi une révélation ; la légende prenait forme dans la réalité.

J'en fis part à ma famille et ce fut le rappel à tous nos souvenirs.

Et ce fut l'évocation d'une histoire que nous racontait une bonne tante.

 

« Pendant l'époque révolutionnaire, M. de Kerincuff, propriétaire de l'immeuble, avait été arrêté, emprisonné et, comme tant de malheureux, après un jugement sommaire, guillotiné sur la petite place du Pont-Merdou, au bas de la rue Fautras.

 

« Dans l'hypothèse du trésor caché, il faut supposer que l'infortuné n'eut pas le temps ou la possibilité d'indiquer la cachette à ses parents.

 

« On en parla longtemps néanmoins et cela ne manqua pas d'attirer les convoitises.

Un jour, certain voisin, connu sous le sobriquet de Scarpin, et sa femme, dite Augustine-la-Louche, résolurent de découvrir le secret par l'intermédiaire d'une cartomancienne.

 

« Naïvement, ils exposèrent le fait.

Bonne affaire pour l'extra-lucide, qui leur indiqua l'emplacement du trésor dans la cour et sous une dalle située derrière la maison.

 

« Convaincus, ils s'en furent une nuit, en grand mystère, sous la large dalle d'un escalier extérieur et se mirent à l'ouvrage.

Une chandelle de suif les éclairait d'une lueur tremblotante.

 

« Dans le silence de la nuit, leur pioche heurta soudain une grosse pierre.

Le cœur battant, ils s'apprêtaient à la dégager quand, terrifiés, ils virent un doigt se poser sur la flamme de la chandelle et l'éteindre.

 

« — Alors, racontait Augustine à ma grand-mère, nous nous sommes enfuis, complètement affolés.

 

« Ceci devait servir d'exemple.

L'expérience ne fut jamais renouvelée

 

« Pour ma part, je n'ai jamais été tente de procéder à pareille recherche car il faudrait probablement démolir toute la maison.

Est-il besoin de vous dire que, si le hasard, me mettait un jour en présence du trésor, les descendants de M. de Kerincuff entreraient immédiatement en sa possession ? »

bottom of page