1937
Naufrage du vapeur anglais Beatsa
à Molène
Source : La Dépêche de Brest 16 mai 1937
La brume était très épaisse quand vers 2 heures du matin, un bateau goémonier de Trielin crut entendre un formidable craquement.
Aucun doute n'était possible :
un bâtiment venait de s'échouer sur les roches si nombreuses en ces parages dangereux.
Le pêcheur finit par distinguer les formes d'un navire échoué sur la roche Talbanchou, à 200 mètres des Serroux, au sud de Molène.
Il accosta le navire naufragé et se mit à la disposition de son commandant.
Celui-ci le pria d'aller jusqu'au sémaphore demander du secours.
Quelques instants après, un autre bateau de pêche, le Stella Maris, patron Auguste Rocher, accostait le bateau sinistré.
Un des matelots prit place à son bord et porta au sémaphore le message suivant :
« Prière téléphoner à Brest que vapeur anglais Beatsa demande assistance sauvetage. »
Mais, déjà, l'alarme avait été donnée par le sémaphore et les vaillants équipages des canots de sauvetage à moteur Coleman, patron Corroleur, et du canot à rames Amiral Roussin, patron Joseph Le Bras, faisaient route vers le Beatsa.
Le patron Charles Masson, sur le Saint-Joseph, arrivait pour relever ses casiers.
Il signala aux naufragés l'arrivée des bateaux de sauvetage qu'on apercevait dans le jour naissant.
Sur le Beatsa ne régnait aucune panique.
Le capitaine Coffenpune avait tenté de mettre les pompes en action, mais la déchirure du bateau était trop importante.
L'avant piquait du nez, les cales 1 et 2 s'emplissaient et bientôt ;
l'eau arrivant jusqu'à la passerelle, l'avant du cargo disparut sous les flots.
Seuls l’arrière apparaissait quand les canots de sauvetage purent se ranger le long du bord.
Heureusement, la mer était calme.
Tout l'équipage, composé de dix-neuf hommes — Grecs et Anglais — fut recueilli :
Quinze prirent place sur le Coleman ;
quatre sur l'Amiral Roussin, et furent dirigés sur Molène, où la population les accueillit fraternellement, les réconforta et leur offrit l'hospitalité pendant qu'au restaurant Tual on leur préparait un plantureux déjeuner.
Un des matelots n'avait pas voulu abandonner une chatte qui, pendant la traversée, avait mis bas trois petits chatons.
Avec précaution, il déposa son précieux fardeau chez Mme Masson et la pria de prendre bien soin de ces rescapés, auxquels il tenait beaucoup.
Mais, après s'être réconfortés, le capitaine et quelques volontaires retournèrent à bord du Beatsa, dont l'avant s'enfonçait de plus en plus, l'eau ayant envahi les machines.
Deux bateaux de pêche, chargés à couler bas de caisses d'oranges recueillies, arrivaient et bientôt, durant toute la matinée, toute une flottille de bateaux de Molène, de Trielen et même de Lampaul-Plouarzel entourèrent le bateau sinistré pour repêcher les centaines de caisses d’oranges partant à la dérive jusqu’au Conquet, où la population put prendre possession de nombreuses caisses, le chargement du Beatsa étant de 17.000 caisses.
La préfecture maritime, dès 7 h. 30, avait prévenu M. Guy Raillard, représentant la compagnie des Abeilles, du Havre.
On sait que l'Abeille 22, remorqueur de sauvetage, a quitté Brest il y a quelques jours.
Le Roscanvel avait appareillé pour se rendre à Guissény porter secours au Wansbeck.
M. Raillard demanda l'aide de la Marine, qui donna l'ordre au Mastodonte de se porter au secours du Beatsa.
À 10 h. 20, le remorqueur de haute mer quittait l'avant-port et faisait route vers Molène, où il arrivait vers 13 heures.
À 14 heures, le commandant du Mastodonte adressait à la direction du port le message suivant :
Le vapeur anglais Beatsa, de Londres, de 2.400 tonneaux, se rendant de Cathagène à Gdjynia avec un chargement d'oranges, est échoué à deux milles au sud du sémaphore de Molène.
Les cales 1 et 2, le compartiment des machines et les chaudières sont pleins d'eau.
Le bateau ne flotte pas à pleine mer.
Le déséchouage parait impossible
L'équipage est en sûreté à Molène.
Le remorqueur de sauvetage Cherbourgeois IV, venant de Cherbourg, fait route vers Molène.
On sait que les bâtiments de l'État ne peuvent intervenir, pour procéder au sauvetage d'un bateau naufragé — quand il n'y a plus, naturellement, de vies humaines en danger — que lorsque les compagnies de sauvetage privées se sont désistées.
La préfecture maritime donnait donc l'ordre au Mastodonte de revenir et, à 15 h. 20, le remorqueur faisait route vers Brest et reprenait son poste dans l'avant-port dans la soirée.
M. Pichard, chef d'armement de la compagnie des Abeilles, arrivé hier soir à Brest par le rapide de 23 h. 15 s'est rendu immédiatement au Conquet pour prendre passage à bord du remorqueur Cherbourgeois IV, dont on escomptait l'arrivée hier soir vers minuit.
Il était accompagné de M. Guy Raillard, représentant de la compagnie des Abeilles, et de M. Josse, pilote, qui connaît tout particulièrement les parages où s'est échoué le Beatsa.
Le Cherbourgeois IV, qui est doté d'un puissant matériel de renflouage, va tenter de déséchouer le cargo anglais.
Le Beatsa, ex-Corbeach, ex-Valegarth, a été construit en 1913 à Middlesbrough.
Long de 74 mètres, large de 11, le Beatsa a une jauge nette de 814 tonneaux. Il appartient à la compagnie Angelus Shipping, de Londres.
Le représentant des armateurs, M. Lykiardopulo, qui se trouvait à Brest pour l'avarie de machine survenue au vapeur anglais Lendenhall, appartenant à la même compagnie que le Beatsa, est parti hier matin pour l'île Molène.
L'équipage passera la nuit à Molène et gagnera probablement Brest aujourd'hui pour être rapatrié.
Il se montre enchanté de l'excellent accueil que lui a réservé la population de Molène et joyeux d'avoir échappé à la mort dans ce naufrage où le sauvetage de leur bateau paraît bien douteux.
Source : La Dépêche de Brest 17 mai 1937
Les rues du Conquet sont semées de pelures d'oranges.
Il y en a partout, sur les quais comme sur les cales.
Est-il besoin de dire que dans les îles de l'archipel molénais il en va de même.
En pourrait-il être autrement puisque tout alentour les caisses d'oranges échappées des cales du Beatsa flottent au gré du courant.
Cela rappelle le naufrage de l'Astria qui, portant un chargement identique, vint se jeter à la côte près d'Audierne.
Mais ces fruits-là, après leur immersion dans l'eau de mer, devaient se consommer rapidement car ils ne tardaient pas à devenir immangeables.
Depuis le matin de l'accident, une véritable flottille de voiliers navigue autour du vapeur.
Il en est venu du continent comme des îlots où les pigouillers ont pris leurs quartiers d'été.
Certains ont accosté le Beatsa et ont fait des chargements de caisses d'oranges, les unes sèches, les autres mouillées.
On a ainsi entreposé tout près de 200 caisses dans le magasin à essence du Conquet.
Malheureusement on nous signale d'autres agissements plus graves.
Les prélarts (*) auraient été enlevés sur les ouvertures des cales afin de pouvoir y puiser. Des objets mobiliers auraient été emportés ainsi que le compas du navire.
(*) Grosse toile imperméabilisée servant à protéger des intempéries les dromes et les embarcations d'un navire, le chargement d'un véhicule, les marchandises déposées en tas, etc.
Devant ces actes de pillage il a fallu intervenir et les gendarmes du Conquet se sont rendus, hier matin, dans l'archipel.
Hier matin. MM. Pichard, capitaine d'armement de la compagnie des Abeilles ;
Guy Raillard, représentant à Brest de la même compagnie ;
Josse et Bloch, pilotes ;
Lykiaropulo, représentant les armateurs du Beatsa ont pris place à bord du remorqueur de sauvetage Cherbourgeois IV, arrivé de Cherbourg au Conquet pendant la nuit, pour se rendre à Molène et sur les lieux de l'échouage.
M. A. Gourio, directeur de l'entreprise de réparation de navires du quai de la Douane, s'est également rendu à Molène.
Au cours de la journée d'hier on a procédé à l'examen de la coque du Beatsa afin de se rendre compte des possibilités de renflouement.
Après ces premières constatations il apparaîtrait que l'on se propose de tenter l'opération.
Le capitaine Coffenpune, commandant le navire et son équipage sont demeurés à Molène dans l'attente d'une décision.
Source : La Dépêche de Brest 18 mai 1937
On attendait hier après-midi, au port de commerce, l'arrivée de l'équipage du vapeur anglais Beatsa, qui, dans la nuit de vendredi à samedi, s'était échoué sur la roche Talbanchou, à 200 mètres des Serroux, au sud de Molène.
Les marins du Beatsa, au nombre de 19, avaient été débarqués à Molène, où ils reçurent, ainsi que nous l'avons dit, un excellent accueil.
On sait aussi avec quel dévouement se prodiguèrent les équipages des bateaux de sauvetage Coleman et Amiral Roussin, ceux des bateaux de pêche Stella Maris et Saint-Joseph.
C'est hier à midi, que les naufragés devaient quitter Molène, à bord du Petit Poucet, un beau voilier à coque blanche, à voilure brune et dont la coupe se révèle camarétoise.
Le patron du Petit Poucet, M. Eugène Masson est d'ailleurs un rude marin.
— Il a, nous disait hier après-midi l'un de ses amis, une volonté de fer.
Je ne sais pas si jamais il a cédé à quelqu'un ou à quelque chose, mais je ne le pense pas.
S'il a dit qu'il pensait être ici vers 15 h. 30, il y sera.
Et c'était bien vrai.
À 15 h. 30, les marins du poste de pilotage repéraient la voilure du Petit Poucet, qui approchait de la passe, alors que le Dunkerque terminait ses préparatifs d'appareillage.
Peu après, le Petit Poucet accostait à proximité du phare de la Santé, où se trouvaient de nombreux curieux.
M. Poggioli, officier de santé, descendit à bord du voilier pour vérifier l'état sanitaire des rescapés. Tous d'ailleurs se portaient fort bien.
Ils souffraient simplement du froid, d'autant plus que certains étaient assez déprimés.
Le capitaine H.-H. Cossentine, commandant le Beatsa, coiffé de sa casquette de bord, fumant sa pipe, était assis sur un rouleau de cordage au milieu de son équipage.
Comme un vrai marin britannique qu'il est, il suivait l'aventure avec calme.
Il nous accueillit aussi avec une courtoisie que voilait à peine un sourire attristé.
Seul, M. Lykiaropulo, représentant des armateurs du Beatsa, paraissait extrêmement nerveux.
On aurait cru vraiment que c'était lui qui avait fait naufrage.
Les formalités au quai de la santé furent très brèves et le Petit Poucet fit route vers le 5e bassin.
L'équipage du Beatsa, pour simplifier les choses, devait être débarqué à bord d'un autre cargo britannique, le Leadenhall, amarré aux charbonnages du 5e bassin.
Dès que le Petit Poucet fut à contre-bord du Leadenhall, les rescapés « balancèrent » sur le pont du cargo tout ce qu'ils avaient pu sauver :
Valises, linge, brassières de sauvetage, appareils de navigation, couvertures, etc.
Tout ce fatras disparate que l'on retrouve toujours en de telles circonstances.
Quelques instants plus tard, le capitaine H.-H. Cossentine nous recevait dans la chambre des cartes du Leadenhall.
— Ce qui nous est arrivé, nous dit-il, vous le savez.
La brume était extrêmement épaisse quand nous avons heurté la roche.
Nous naviguions pourtant avec prudence.
Cela s'imposait.
« Nous avons su qu'un autre cargo s'était échoué aussi un peu plus haut, du côté de Kerlouan, vous dîtes.
« Notre navire a été très endommagé.
À 8 heures du matin, c'est-à-dire assez peu de temps après le naufrage, la cargaison commença à flotter.
Les caisses d'oranges partaient en dérive.
« Bientôt la mer envahit entièrement le pont.
Nous avions de l'eau presque jusqu'à la ceinture lorsque le bord dut être abandonné.
« Il faut remercier les hommes des bateaux de sauvetage de Molène et les pêcheurs qui nous ont prêté assistance.
Tous ont été pour nous du plus précieux secours. »
M. Lykiaropulo s'associe à ces éloges.
« Les guetteurs du sémaphore, nous dit-il, doivent être aussi remerciés, ainsi que les gardes maritimes et les douaniers.
À l'heure qu'il est, une partie de la cargaison est mise en sûreté, grâce à eux. »
Nous avons dit que dimanche matin, MM. Pichard, capitaine d'armement de la compagnie des Abeilles ;
Guy Raillard, représentant à Brest de cette compagnie ;
Josse et Bloch, pilotes ;
Lykiaropulo et M. Gourio, directeur de l'entreprise de réparation de navires du quai de la Douane, s'étaient rendus à Molène pour se rendre compte de ce qui pouvait être tenté afin de sauver le navire.
Il semble aujourd'hui que le renflouement du Beatsa sera bien difficile.
En effet le cargo paraît avoir dangereusement} travaillé et des déchirures nouvelles se seraient produites dans sa coque.
Le pont n'est plus visible qu'à marée basse.
Le capitaine Cossentine semblait hier après-midi assez pessimiste et pour qu'un effort utile puisse être tenté il faudrait plusieurs jours de beau temps.
*
**
Source : La Dépêche de Brest 19 mai 1937
Source : La Dépêche de Brest 22 mai 1937
Auteur : Charles Léger
Ce soir-là, nous errions sur la dune de Kerlouan.
Un habitant du voisinage vint vers nous.
La conversation s'engagea.
À la grande marée du matin, nous avions découvert des débris de coques de navires à demi ensablés.
— Carrec-Hir, nous dit l'homme, ne rend jamais son navire.
Tu as pu voir les restes du Fratelli Prinzi ou de l'Amboto, ceux du Venvald, du norvégien, de l'espagnol ou de tant d'autres n'apparaissent plus.
Comme le vent fraîchissait, il nous emmena chez lui.
Il nous fit le récit, de quelques naufrages.
L'ardeur qu'il i y mettait lui donna soif.
Il s'en fut quérir une bêche.
— Que veux-tu boire ? Du Fratelli Prinzi ou de l'Amboto ?
Le nom du navire naufragé s'accolait ainsi que l'étiquette d'un cru sur les bouteilles cueillies à bord avant le définitif engloutissement.
Il s'en fut dans un coin du champ voisin et, en quelques coups de sa bêche, mit à jour un flacon.
— Celui-là, vois-tu, c'est le meilleur !
Ce souvenir nous revenait l'autre jour lorsque, non loin de Carrec-Hir, nous regardions les vagues briser sur la coque du vapeur allemand Wandsbeck, venu se jeter sur les roches dans la nuit de vendredi à samedi.
Des voiles de barques tournoyaient alentour.
Le Wandsbeck, aveuglé par la brume, s'était engagé sur le récif, puis avait basculé de l'avant la proue plongeant tandis que l'arrière se soulevait.
La pierre avait crevé le fond et surélevé la machine d'un mètre cinquante environ.
On sait comment le navire avait été évacué.
L'équipage emmené par un autre navire allemand attiré par les appels de détresse, à l'exception d'un matelot chauffeur recueilli dans une chaloupe en dérive par un pêcheur de Guissény.
Dimanche, une quarantaine de barques évoluaient autour de l'épave, l'accostant pour repartir chargées.
Au cours des nuits qui avaient suivi le naufrage, le pillage avait déjà commencé.
Des hommes, venus des divers points de la côte, s'étaient munis de lourds marteaux, de scies, de burins, d'herminettes et attaquaient toutes les parties émergeantes du vapeur.
Chadburn (*), compas, filins, tout était enlevé.
On se partageait les prélarts ; on s'attribuait les boiseries que l'on arrachait sans ménagement.
(*) Appareil qui transmet les ordres du capitaine aux mécaniciens.
Jamais peut-être le navire n'avait connu tant d'activité.
Pieds nus, en corps de chemise, on se disputait les cuivres et jusqu'à la ferraille.
Il fallait se hâter, car le navire s'affaissait.
Ce n'est pas encore celui-ci que Carrec-Hir allait rendre.
Maintenant, la mer déferlait haut sur le vapeur.
Un mât s'abattit.
Puis la coque disparut entièrement.
Actuellement, un seul mât en marque la position.
Pour ces hommes qui n'hésiteraient pas à risquer leur vie pour porter secours à un naufragé, le pillage est chose naturelle.
Ils entendent arracher à la mer tous les objets qu'ils peuvent emporter avant qu'elle les engloutisse.
Un jour de novembre 1930, nous nous rendions jusqu'au vapeur Brière, qui s'était jeté sur l'une des pointes rocheuses de Brignogan.
Pour s'en approcher, il fallait escalader des roches ou les contourner, se hasarder sur les goémons glissants, plonger dans des creux profonds.
Au milieu de ce chaos, il était bien malaisé de s'orienter.
Cependant, depuis l'échouage, on se rendait en foule vers le navire.
Toute la population y semblait attirée.
Les pierres étaient éraflées par le heurt des sabots cloutés.
Les traces du passage se retrouvaient sur le goémon noir où les chaussures laissaient du sable enlevé à la grève.
Le chemin était tout tracé.
Et nous croisions des hommes chargés d'objets divers arrachés au navire.
Des instruments nautiques, des organes de cuivre, des choses dont l'utilisation ne pouvait plus se déterminer.
Mais ne pille pas qui veut.
Un navire à la côte est considéré comme propriété des seuls riverains.
Il y a près de dix ans, un voilier s'était, un soir, perdu sur l'une des grèves de Plouguerneau.
On vint au secours de l'équipage que l'on emmena dans une ferme voisine pour le réconforter.
Le repas terminé, le patron voulut revoir son bateau.
Il y revint.
Une véritable foule grouillait à bord, démolissant, arrachant, emportant tout.
L'arrivant fut bien mal accueilli.
On voulait le contraindre à s'en aller, car il n'était pas du pays.
Il dut s'armer pour résister.
Qui ne se souvient de l'échouage, dans la baie des Blancs-Sablons, au Conquet, du Lipari qui portait plus de 3 000 tonnes de viandes congelées et d'innombrables tonneaux de graisse ?
Pour alléger le navire, on avait jeté sur la plage une partie de sa cargaison.
Du sommet des dunes, on était accouru en foule portant des sacs.
Couteau en main, hommes, femmes, enfants se penchaient sur ces chairs qui avaient pris l'aspect de charognes, coupant arrachant, emportant.
— La graisse est toujours bonne, nous confiaient-ils.
Lorsque le Memling vint s'échouer près de Laber, nous avons pu le constater.
Le Memling, en effet, qui après avoir été torpillé pendant la guerre, s'était mis à la côte, était chargé de viandes frigorifiées.
Et chacun se hâtait à la besogne.
Parfois, des mains s'égaraient dans les tonneaux voisins pour en sortir des blocs de graisse.
Mais alors des gendarmes intervenaient et dressaient procès-verbal.
Pour la viande passait encore, elle se putréfiait si rapidement ; mais pour les graisses en fûts, il n'en allait pas de même.
Les procès-verbaux étaient bien mal accueillis en de pareilles circonstances.
Si mal qu'au cours d'une nuit, trois coups de feu étaient tirés sur des douaniers qui effectuaient la surveillance.
Bien sûr, quand on parle de faits de ce genre, on pense généralement que ce sont là des histoires d'un autre âge et cependant cette affaire du Lipari date de 1923.
Quant à celle du Wandsbeck elle est d'hier, tout comme celle du Beatsa.
Le Beatsa est ce vapeur anglais chargé d'oranges qui, la même nuit que le Wansbeck, s'échouait au sud de Molène.
On sait qu'ici le sauvetage du navire paraissait possible, surtout si l'on n'était entré dans la période des mortes eaux.
L'examen de la coque avait révélé à bâbord avant un enfoncement de 1 m. 50 sur 0 m. 80 de hauteur et à tribord avant un autre enfoncement de deux mètres sur un mètre.
Gîté sur tribord, sur un fond de gros cailloux plats, le vapeur s'est fait une souille (*).
(*) Empreinte que laisse l'étrave d'un bâtiment échoué dans le sable fin ou la vase.
Ici encore, l'arrière flottait, car les cloisons de la cale située en cette partie du navire avaient résisté. Il s'y trouvait 8.000 caisses d'oranges que l'eau n'avaient pas atteintes.
Nous avons déjà dit que dès le premier jour les pillards s'étaient mis à l'œuvre.
Passe encore pour les oranges qui avaient été chassées des cales avant par l'entrée de l'eau et qui partaient en dérive autour du navire, mais on emportait aussi des caisses qui n'avaient pas été immergées.
À ce propos, il en existe environ deux cents entreposées dans un magasin du Conquet.
Que vont-elles devenir ?
Les règlements douaniers s'opposent, pour le moment, à leur entrée en France.
Il faut, en effet, disposer d'une licence d'importation pour pouvoir pratiquer pareille opération.
De plus, convient-il que cette licence ait reçu le visa du gouvernement de Valence, seul reconnu par le nôtre.
Mais le sort des oranges ne, nous intéresse guère.
Des faits plus graves retiennent notre attention.
Comme sur le Wansbeck, de très nombreuses barques sont venues accoster le Beatsa.
On a commencé par emporter la vaisselle, les couverts, tous les objets mobiliers, y compris le lit du capitaine.
Toutes les portes des chambres ont été arrachées et enlevées.
Compas, chadburn ont subi le même sort.
Puis ce fut le tour des fils électriques placés sous plomb que l'on sectionnait à hauteur des cloisons.
Rageusement, on s'est attaqué à tout, démolissant à coups de masses l'abri de navigation, l'appareil à gouverner, les hublots, etc.
Pis encore, les prélarts, ainsi que les panneaux recouvrant la cale arrière, ont été enlevés.
Du coup, l'eau qui déferlait sur l'avant a envahi la cale et le navire a complètement coulé.
Le pont est actuellement recouvert d'un mètre d'eau à basse mer.
C'en est fini du Beatsa comme du Wansbeck !
**
Source : La Dépêche de Brest 27 mai 1937
Source : La Dépêche de Brest 1 juin 1937