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1939

Quimper - Port sablier


 

Quimper - Port sablier.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 20 mars 1939

 

Sur quais de l'Odet, les tas de sable s'alignent irrégulièrement, tantôt en un cordon long de plusieurs dizaines de mètres, tantôt en monticules isolés au milieu de l'espace libre des terre-pleins.

 

Lorsque le bateau, lourdement chargé, ayant profité de la marée pour remonter la rivière est venu se ranger le long du quai, la manœuvre de déchargement commence sans retard.

 

La drague happe dans la cale le sable qu'elle dépose en tournoyant à l'emplacement réservé.

Des pêcheurs improvisés se mettent à la recherche des coquillages les plus divers, enfouis dans le sable.

Les palourdes s'y trouvent fréquemment, mais il y a une autre espèce qui n'est pas rare : les oursins, et ceux qui échouent sur le quai de l'Odet sont de taille, au grand désespoir des amateurs que les sujets réduits intéressent davantage.

 

Le bateau a été libéré de sa cargaison qui attend maintenant sur les quais ses destinataires.

À grand renfort de véhicules les monticules s'amenuisent et disparaissent, pour renaître ensuite avec le premier arrivage de sabliers.

 

Ainsi vit, presque quotidiennement, sous l'un de ses aspects, le port de Quimper.

À proprement parler le trafic des sables ne connaît point de morte-saison, en dépit d'un ralentissement occasionné par les trop mauvaises journées.

Les ports voisins du Sud-Finistère ne peuvent le concurrencer dans cette branche.

 

Douarnenez, le seul qui ait enregistré une certaine activité dans cette matière ne figure pour le dernier exercice qu'avec un tonnage de 2.470 unités, le dixième à peine de celui de son rival.

 

Au cours de l'année 1938, 25.732 tonnes ont été débarquées au port de Quimper.

Après les houilles et charbons qui viennent d'assez loin à la première place des marchandises débarquées, les sables occupent le deuxième rang dans la récente statistique publiée par la Chambre de commerce.

 

À ce propos de statistiques, il est curieux de noter que le trafic des sables s'est maintenu au même niveau, ou peu s'en faut au cours de ces dernières années.

Qu'on en juge : en 1936, 25.731 tonnes ; en 1937, 25.177 tonnes ; en 1938, 25.732 tonnes.

Le port de Quimper donne là un bel exemple de régularité.

 

Encore faut-il mentionner que si le tonnage global des sables est inférieur à celui des charbons, par contre le nombre des bateaux sabliers est beaucoup plus important que celui des charbonniers.

 

Ces quelques considérations préliminaires auront situé la place qu'occupe le trafic des sables sur les bords de l'Odet.

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Maerl et sables.jpg

 

Après le ralenti passager de la mauvaise saison, la reprise se manifeste en ce moment, comme chaque année au printemps.

 

À côté des sables apparaît le maërl.

Il n'y a guère de différence dans l'apparence de l'un et de l'autre.

Le maërl est un dépôt sablonneux qui a incorporé la substance de végétaux marins et de débris animaux.

Pour le passant non averti, maërl et sable ne diffèrent point.

Et cependant la destination de l'un n'a rien de commun avec celle de l'autre.

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Quimper - Port sablier - Pêcheurs.jpg

 

Tandis que le sable est enlevé dans les bennes de camions automobiles pour être transporté sur les chantiers en construction, le maërl lui, est chargé dans des tombereaux que des chevaux de labour tirent de leur pas lent, vers les champs en guéret dont il amendera l'humus.

 

Autrefois le maërl était ramassé dans la baie de La Forêt-Fouesnant.

Mais peu à peu la couche utilisable diminua d'épaisseur et la vase en rendit l'extraction difficile.

 

C'est alors que furent découverts et mis en exploitation les bancs des archipels des Glénans, dont l'abondance est loin d'être épuisée.

Qu'il s'agisse des plages de Saint-Nicolas ou de Penfret, du voisinage de l'île aux Moutons, les réserves ne font point défaut et les dragues des sabliers y puisent à plusieurs mâchoires.

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Flottilles sablières.jpg

 

Les sabliers appartiennent à différents ports de la Cornouaille :

Quimper, Sainte-Marine. Concarneau, Pont-Aven, etc...

 

Bas sur l'eau et ventrus, ils peuvent remonter la rivière avec des chargements qui dépassent 100 tonnes.

 

Le nombre des sabliers est peu important.

Jadis lorsque le maërl donnait bien et trouvait de nombreux preneurs parmi les cultivateurs qui ne connaissaient point encore les engrais chimiques, une imposante flottille venait décharger le maërl à Quimper.

 

Il y eut à certains moments avant-guerre, 40 à 50 chaloupes qui transportaient de 10 à 15 tonnes chacune. Quimper en comptait cinq ou six.

Gouesnach était le port d'attache principal des chaloupes sablières avec les anses de Porzmeillou, Sainte-Barbe et Rosavez.

 

Quelques unités stationnaient à Loctudy qui transportaient indifféremment sables et goémon.

 

Grosse émotion dans les années qui suivirent immédiatement la guerre.

Un premier sablier dragueur à moteur, le Véronique, armé par un industriel de Rosporden. venait de faire son apparition.

Le mécontentement fut grand parmi les sabliers qui virent dans cet ogre un ennemi de leur gagne-pain.

Mais le Véronique eut une courte carrière et il se perdit dans les parages des Glénans.

 

L'espoir revint !

Pour peu de temps, car l'exemple avait été montré et il fut suivi.

 

Notre port a perdu un peu de son pittoresque avec la disparition de ces chaloupes qui à l'heure de la marée se présentaient au Cap-Horn comme elles pouvaient, tantôt à la voile, tantôt à la cordelle qui était tirée du chemin de halage, tantôt même à l'aviron.

 

Seuls, les va-et-vient des tombereaux appartenant à des cultivateurs de la région qui viennent parfois de 15 à 20 kilomètres, charger le maërl nous permettent d'entrevoir un passé tout proche et pourtant bien révolu.

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Souvenir d'un vieux sablier.jpg

 

Droit encore sur le quai, la barbe au vent, Michel Gléonec contemple les sabliers qui déchargent leur cargaison dans le déroulement bruyant et monotone de la grue.

 

À 70 ans, Michel Gléonec qui vit le jour à Gouesnach, doit être le doyen des sabliers.

Il a exercé pendant près de quarante années.

 

Alors qu'il débutait vers l'âge de 18 ans, la mécanique n'était point encore venue au secours des travailleurs manuels, comme de nos jours.

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Michel Gléonec.jpg

 

« Il fallait, nous dit Gléonec, descendre dans l'eau jusqu'au ventre, et charger le sable sur la chaloupe avec une pelle.

Il y avait des endroits où l'eau était moins haute.

C’était à chacun de chercher sa place et de s'efforcer d'y arriver au plus vite.

 

« Nous allions ainsi à Lanroz ou dans la baie de Kérogan.

Parfois même il m'arrivait de partir aux Glénans, à La Forêt-Fouesnant, à Concarneau, Pont-l'Abbé ou d'aller charger des briques à Porsmeillou.

 

« Pour descendre tout allait bien.

Mais lorsqu'il s'agissait de remonter avec 7 ou 8 mètres de sable dans la chaloupe,c’était une autre affaire.

 

« Nous tirions parti de la marée, de la voile, et nous arrivions au chemin de halage.

L'un des deux hommes du bord descendait à terre et tirant la corde remontait la chaloupe jusqu'au quai de l'Odet.

 

« Arrivé là, il ne nous restait plus qu'à reprendre notre pelle et à décharger tout le sable sur le quai.

 

« Et comme vous voyez, constate Michel Gléonec, je ne suis pas mort.

Bien au contraire.

Je n'ai jamais eu de rhumatismes, jamais vu de médecin.

 

« Je n'ai non plus jamais connu d'accident ni d'avaries graves avec ma chaloupe Sacré-Cœur.

Pas d'échouages, pas de fausse manœuvre, et pourtant il n'est arrivé souvent de remonter l'Odet en pleine nuit avec le seul secours d'une lanterne tempête.

 

Fils de sablier, dont le père mourut noyé au Trou à Feu, Gléonec était inscrit maritime et fut marin à bord du Condor qui le porta un peu partout autour du monde.

 

Il a vu beaucoup de villes, mais les souvenirs les plus marquants de sa vie se rapportent à son existence de sablier et il n'hésite point à les évoquer avec complaisance.

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