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Journal d'un aspirant de marine

engagé autour du monde
Sur la frégate La Sibylle
1863-1864


Charles Antoine raconte
 

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​1863 - 1864, Charles Antoine, mon arrière-grand-père maternel, est un jeune officier de marine dans la Royale, 

engagé dans un tour du monde sur la frégate la Sibylle. 

Au travers des lettres qu’il a adressées à ses parents, il nous fait découvrir sa vie de marin.

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Jean Émile Carrière

Né en Normandie en 1959

​Docteur en Droit Social

Auteur : https://www.thebookedition.com/fr/6836_jean-emile-carriere

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Épisode n° 20
 

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15 Octobre

 

Nous venons de rendre les derniers devoirs à un de nos compagnons qui est mort hier matin.

C’est un matelot qui était atteint d’une pleurésie, il a attendu le dernier moment pour aller voir le chirurgien-major et au bout de trois jours il a été emporté.

Son corps enfermé dans un cercueil a été placé dans le grand canot et recouvert d’un pavillon national, quatre de ses camarades et les mousses étaient assis de chaque côté.

La chaloupe dans laquelle se trouvait un détachement des dix matelots commandé par un aspirant et tous les passagers qui avaient voulu accompagner le corps, avait la remorque de ce canot.

Derrière venait le canot-major où se trouvaient les officiers et les aspirants.

Toutes ces embarcations avec leur pavillon en berne ont pris silencieusement la route du port, au moment où elles sont parties le pavillon de poupe et la flamme nationale ont été amenés à mi-hauteur en signe de deuil, ils sont restés ainsi jusqu’au débarquement à terre du corps du défunt.

Un prêtre catholique et un corbillard les attendaient à terre, le convoi s’est dirigé sur une église, on doit y chanter une messe.

Notre pauvre compatriote aura été dignement accompagné, les choses ont été assez bien faites.

 Ce n’est pas gai de venir mourir à cinq mille lieues de France dans un hôpital de navire sans un parent pour vous dire adieu.

 

Cette mort a fait de l’impression à bord, je crois même qu’elle a jeté un peu de découragement et qu’elle a cassé les bras à quelques-uns.

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Pavillon National sous Napoléon III

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16 Octobre.

 

J’ai reçu hier seulement le journal des Petites Affiches qu’Émile m’a envoyé, je le félicite de ses succès à la distribution et aux examens du baccalauréat, ils m’ont fait plaisir car son travail soutenu méritait récompense.

Je lui souhaite bon courage pour continuer comme il a commencé.

La mort de son pauvre La Prise m’a fait bien de la peine, Dieu ait son âme. Je le remercie des nouvelles qu’il me donne de la jeunesse de Lunéville, je leur souhaite bonne chance dans leurs examens et je leur envoie mes amitiés, je prie Émile de les leur transmettre.

Je voudrais qu’il remercie particulièrement Monsieur et madame Marquis de l’intérêt qu’ils me portent, qu’il fasse à Monsieur Marquis mes plus chaudes amitiés et qu’il présente mes respects à sa dame.

Quant à faire sécher des plantes extraordinaires je ne l’ai pas encore fait parce que jusqu’à présent je n’ai trouvé de beau en fait de végétation que ce qui ressemble à celle d’Europe, la végétation des tropiques est vigoureuse mais elle n’a ni la grâce ni la délicatesse de celle des régions tempérées.

Mon sac commence à être un peu avarié, mes pantalons s’en vont, ma redingote de tous les jours part de son côté, mes chaussures sont trouées, le besoin de réparation se fait sentir, j’en ai déjà fait quelques-unes mais il y en a que je ne pourrai pas faire moi-même, j’aurai recours à une passagère.

Mon linge est en bon état, j’en prends soin il est toujours en bon ordre dans mes armoires et je le fais laver aussi souvent que possible, bien que quelque fois il soit mené très dur dans les lavages cependant je crois que c’est un excellent choix pour son entretien.

Nous partons mardi prochain, 20 octobre, la relâche est pourtant bien agréable mais le Commandant n’a trouvé ici personne pour l’héberger à terre comme à St Denis, il s’ennuie et veut partir. Il a imaginé de nous faire abattre en carène à Taïti.

C’est un prétexte pour nous y faire rester indéfiniment, l’abattage en carène étant une opération assez longue puisqu’elle consiste à faire incliner le navire au point de mettre presque sa quille hors de l’eau ; c’est toujours dans le noble but de faire reposer l’équipage.

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Nous serons probablement en nouvelle Calédonie sur la fin du mois ;

nous en partirons le 15 novembre à peu près et nous serons à Taïti à la fin de Décembre.

Nous quitterons ce délicieux séjour à la fin de février et nous serons à Rio dans le courant de mars.

Voilà à peu près les époques de nos relâches, réglez-vous pour m’écrire d’après ces données, écrivez moi le plus long possible on est si content de recevoir des lettres du pays.

J’oubliais de vous dire que maintenant Taïti a des correspondances réglées avec l’Amérique du Sud, le nouveau gouverneur a fretté deux navires qui font exclusivement le service du courrier.

Ces renseignements sont certains, ils nous ont été donnés par les officiers du Latouche-Tréville.

 

Cette lettre vous arrivera après la St Charles et la St Nicolas ce sont les fêtes de papa et de maman je les leur souhaite heureuses.

Elle vous portera mes souhaits de bonne année et de prospérité ; et en même temps mes vœux de bonheur pour toute notre famille, embrassez tout le monde pour moi.

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Dessin de Charles Antoine

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