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1922

Les rues de Brest

par Ollivier LODEL

- Article 12 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

Les rues de Brest 26 janvier 1922.jpg

 

Sources : La Dépêche de Brest 26 janvier 1922

 

RUE ET VENELLES KÉRAVEL

 

Le terrain de Kéravel (lieu du vent) était autrefois la montagne boisée qui s'élevait au-dessus de la Grand'Rue et qui s'étendait du Jardin du Roi (école des mécaniciens) jusqu'au bord de la Penfeld.

 

La terre et le village furent achetés par le Roi, en 1636, au seigneur Mesnoallet de Kerallan, pour y construire la Corderie du port, qui fut incendiée le 30 janvier 1744.

 

Ce bâtiment occupait tout le terrain compris actuellement entre les rues Louis Pasteur et Kéravel, et, se terminait, à la place Médisance, par un petit pavillon situé à l'angle formé par cette place et la rue Saint-Louis (Marcellin Berthelot).

 

Quand, en 1686, la marine entreprit la construction d'une nouvelle corderie « sur le rocher de Lanouron » (la corderie basse de l'arsenal) elle confia ces travaux à l'architecte Bedoy, auquel furent concédés, moyennant 24.900 livres, la vieille corderie et toute la terre de Kéravel.

 

Dès la signature du contrat, Bedoy fit établir les huit rangs de maisons séparées par les venelles, dont une transversale, que nous voyons encore aujourd'hui, et il trouva facilement acquéreurs pour ses terrains, car l'intendant Desclouzeaux fournissait gratuitement les matériaux nécessaires à la construction des maisons, et celles-ci n'étaient assujetties qu'à une redevance de trois livres par an.

 

La vente des terrains de Kéravel, qui rapporta à Bedoy près de 50.000 livres, remédia à la crise et à la cherté des logements, dont — tout comme aujourd'hui — les Brestois de 1689 se plaignaient amèrement ;

mais la crise avait, alors, une autre cause :

elle n'était due qu'au nombre trop réduit de maisons, depuis que les grands travaux de l'arsenal accroissaient chaque jour la population de notre cité.

 

« Le sieur de Coulombe, écrit le ministre Seignelay à Desclouzeaux, le 31 octobre 1689 (*) me fait savoir que les logements sont devenus si chers à Brest qu'il est impossible que les gardes de la marine en puissent trouver, et comme il n'est pas juste que les habitants de ce lieu, qui gagnent assez d'ailleurs, par leurs denrées, se prévalent du nombre des sens que le service de S. M. attire en cette ville, pour enchérir le loyer de leurs maisons, je vous envoie un ordre du Roi pour empêcher cet abus et pour défendre à ces habitants de les faire payer plus cher que l'année passée. »

 

(*) Nous devons cette communication – et bien d’autres – à l’obligeance de M. Prigent, archiviste paléographe, conservateur des archives du port de Brest.

 

En 1710, Bedoy s'était retiré à Nantes, et légua les venelles Kéravel aux hôpitaux de Brest, sous la réserve d'usufruit pour lui et sa femme.

 

À la mort de l'architecte, en septembre 1722, le bureau des hospices arrêta, en témoignage de sa reconnaissance, qu'un service solennel serait célébré, dans chacun des hôpitaux, pour le repos de l'âme du défunt, et que son décès serait annoncé dans toutes les rues.

 

La municipalité s'associa à ces témoignages de gratitude en donnant le nom de rue Bedoy à la rue du Marché-aux-Toiles, aujourd'hui disparue.

 

La rue Kéravel prit, en l'an II, le nom de rue du Peuple.

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C'est sur le terrain de l'ancienne halle — aujourd'hui le bureau de bienfaisance — que Vauban avait choisi l'emplacement de l'église Saint-Louis, réclamée par les habitants, en raison de l'exiguïté de l'église des Sept-Saints qui ne pouvait contenir que 400 personnes.

 

Et, pour la construction de cet édifice, évaluée 80.000 livres, des lettres-patentes du 26 juin 1686 avaient ordonné l'augmentation des droits d'octroi pendant neuf ans, de 8 livres par tonneau de vin et 4 livres par tonneau de bière.

 

Les travaux avaient été adjugés le 2 juin 1687, et les dépenses s'élevaient déjà à plus de 9.000 livres quand, en février 1688, Seignelay donna l'ordre de démolir les premières fondations.

 

Le ministre avait été circonvenu par les Jésuites, dont le séminaire venait d'être élevé, aux frais de l'État, sur l'emplacement actuel de l'école des mécaniciens.

 

Pour compléter leur établissement, il leur fallait, disaient-ils, une chapelle assez importante dont on pouvait s'épargner les frais, en édifiant la paroisse de Brest sur le terrain attenant au séminaire.

La chapelle des aumôniers se trouverait ainsi réunie à la cure de la ville, dans un seul et même édifice, dont on pourrait augmenter l'importance et la décoration, sans qu'il en coûtât plus à Sa Majesté.

 

Ils prétextaient, en outre, que la construction de l’église sur l'emplacement choisi par Vauban, « nuirait à la vue du jardin du séminaire, à l'extrémité duquel ils avaient l'intention d'établir un observatoire ».

 

Tout autre, nous allons le voir, était le dessein de ces religieux.

 

Vauban qui tenait à ce que l'église fût maintenue, là où il l'avait mise, « en vue de la rade et de l'entrée du port », l'abbé Roignant, recteur des Sept-Saints, devenu curé de la nouvelle paroisse et aussi la municipalité, appuyée par la population, s'opposèrent vainement au projet de déplacement.

 

Mais l'intendant, protecteur des Jésuites, avait circonvenu, à son tour, l'évêque de Léon, Mgr de la Brosse, et celui-ci alla enlever, à Versailles, le consentement de Louis XIV.

 

De grand matin, le 10 mars 1688, l’évêque, accompagné seulement de M. Desclouzeaux, de l’architecte Garanjeau et de deux archers, se rendaient sur le terrain de Tronjolly et posait la première pierre de la nouvelle église dédiée à Saint-Louis.

 

Dès que Vauban. alors à Strasbourg apprit le déplacement de l'église, il ne put s’empêcher d'en témoigner son mécontentement à l’intendant, et il lui écrit le 21 mars 1688 :

 

« … Ma foy, vous êtes de vrayes poules mouillées, vous et tous ceux de Brest, de n’avoir pas mieux soutenu cela.

Vous verrez par les suites, ce qui arrivera, et que cette église ne sera pas, à beaucoup près, si saine ny si commode qu’elle eust été en la laissant où je l’avais mise. »

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Brest intérieur église saint louis.jpg

 

La construction de l'église, commencée immédiatement après la bénédiction épiscopale fut d'abord poussée avec la plus grande activité ;

mais bientôt surgirent mille difficultés financières, dues à l’énormité de la dépense qui dépassait de beaucoup les prévisions primitives et donnait à la ville des charges beaucoup plus fortes que celles sur lesquelles elle comptait.

 

Le, 5 novembre 1688, on n'avait pas encore construit une portion de l'église suffisante au culte provisoire et les dépenses s’élevaient déjà à près de 85.000 livres ;

le manque de fond exigea la suspension des travaux.

 

Seignelay donna même l'ordre d'interrompre toute construction et de se borner à couvrir de paille les murs commencés pour en empêcher la destruction.

Ce qui existait de la nef servit de magasin à fourrages au maréchal d'Estrées et aux divers officiers généraux en service à Brest.

 

Les travaux étaient repris en 1698, quand la municipalité eut un, jour, la légitime curiosité de connaître les plans de l'édifice dont elle payait tous les frais de construction.

 

Et grand fut son étonnement d'y voir figurer deux sacristies :

l'une pour le 'clergé de la paroisse, l'autre ayant un escalier communiquant de l'église avec le séminaire.

 

Quelles prétentions pouvaient donc avoir les Jésuites sur l'église qui se bâtissait, avec les deniers de la ville ?

Quels titres possédaient-ils ?

C’est ce que trois de nos anciens édiles allèrent demander, le 12 mars 1699, au supérieur du séminaire.

Ils furent reçus par le procureur « qui ne leur dit que des duretés et des invectives et ajouta qu'il n'était pas si idiot que de donner des bastons pour le battre. »

 

La municipalité dépêche alors deux notaires qui feront sommation de délivrer copies des titres, et le curieux récit de cette entrevue est relaté dans le registre des délibérations municipales de l'époque :

 

L'habit que vous portez est-il à vous ? demande le P. Recteur à Me Polard ?

Oui, car je l'ai bien payé.

 

Et, se tournant vers l'autre notaire :

Votre perruque, votre chapeau sont-ils aussi à vous ?

 

Même réponse.

 

Allez mes amis, poursuit le recteur, l'église est aussy bien à nous que le justaucorps, la perruque et le chapeau que vous portez sont à vous.

 

Mais la municipalité enquête.

Elle finit par découvrir une sentence épiscopale du 25 juin 1688 qui a réuni la cure de Brest au séminaire et alors, sans tarder, elle interjette appel, comme d'abus, devant le Parlement de Bretagne, car les Jésuites, « religieux mendiants et incapables de posséder ni cure ni bénéfices », aux termes de leur institut, ne sont-ils pas venus s'établir à Brest que pour seulement « fournir des aumôniers aux vaisseaux de l'État ? »

 

L'instance dura six ans, au grand préjudice de la ville de Brest et au grand scandale des habitants.

« Au préjudice de la ville, car elle fut obligée d'avoir un député près le Parlement,

ce qui la jeta dans de grandes dépenses ;

au grand scandale des habitants, parce que les Jésuites, pour les éloigner de la paroisse, ne cessaient, par leurs discours violents et leurs sermons séditieux, de jeter le trouble dans les consciences. »

 

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Bien qu'inachevée, l'église Saint-Louis avait été livrée au culte le 1er janvier 1702, et Mgr de la Bourdonnaye, évêque de Quimper, avait décidé, en attendant l’issue du procès, qu'elle serait desservie par le curé Roignant et dix prêtres.

Il était permis aux Jésuites d’officier dans l'église, aux heures et jours fixés par le recteur.

Mais les religieux l'entendaient autrement et, après s'être assuré le concours de M. de la Reinterie, commandant du château, ils provoquèrent les scènes scandaleuses du 2 juin 1703.

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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