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1922

Les rues de Brest

par Ollivier LODEL

- Article 14 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

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Sources : La Dépêche de Brest 23 mars 1922

 

RUE DE LA MAIRIE

 

Les prérogatives et les devoirs du maire sont énumérés dans les lettres-patentes de 1681 qui formèrent la base de la constitution municipale de Brest, jusqu'à la Révolution.

 

Le maire, reçoit le serment des officiers municipaux ; responsable des archives, il possède I ‘une des trois clefs de l'armoire qui les renferme (les deux autres se trouvent entre les mains du premier échevin et du greffier).

 

Il allume les feux de joie.

Dans les processions et cérémonies publiques, il marche à la tête du corps de ville, à gauche du sénéchal.

Il occupe, à l'église, la première place dans le banc de la Communauté qui est revêtu de ses armes, et le pain bénit lui est présenté immédiatement après le sénéchal.

 

Il est exempt du guet, du logement des gens de guerre, de toutes charges et contributions, même des droits d'octroi.

 

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Le maire est colonel de la milice bourgeoise, force armée recrutée parmi les habitants, qui coopère en temps de guerre à la défense de la ville et de ses environs, et qui, en temps de paix, fournit des patrouilles et des hommes de garde chargés de maintenir l'ordre.

 

Les miliciens assistent aux nombreuses cérémonies, feux de joie, processions, où se rend le corps municipal.

Il faut croire que ce sont de bien médiocres soldats, puisque, certain jour de fête, ils ont perdu quinze baïonnettes, et un autre jour dix-huit fusils sur cent.

 

Tous les ans, au mois de mai, la milice bourgeoise est passée en revue par le commandant de la place et renouvelle, ce jour-là, le serment de fidélité au roi.

 

La cérémonie a lieu, presque toujours, le premier dimanche de mai, à quatre heures de l'après-midi.

Les troupes se rassemblent sur l'esplanade du Château et le maire-colonel prenant la tête d'un détachement, se rend à la citadelle « tambours battant, drapeaux déployés ».

 

Il rencontre le gouverneur et son état-major à la première porte, le prie de recevoir la parfaite soumission des habitants aux ordres du roi et l'invite à assister à la plantation d'un mât, au haut duquel se trouve « un chapeau de fleurs où pendent six oranges », que les assistants doivent « enlever de belle guerre ».

 

Un défilé de la milice clôturait cette fête annuelle, très goûtée par la population, qu'on appelait la Plantation du Mai.

 

Ce mât de cocagne, après lequel on montait au moyen de cordages, était dressé dans une pierre entaillée sur les glacis du Château.

Les ordres les plus sévères étaient donnés pour que personne n'y grimpât, avant sa mise en place mais la consigne était souvent enfreinte et la Communauté s'émut en 1757

des « fâcheux accidents qui arrivaient presque tous les ans ».

 

Elle décida, le 30 avril, la suppression de cette cérémonie qui n'était fondée, à sa connaissance, sur aucun titre et, pour la remplacer, elle demanda, le rétablissement du papegault, concédé par Henri II, dès 1549, dont elle avait été déchue vingt ans plus tard, faute de n'avoir pu produire à la Chambre des Comptes les titres de ce privilège.

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Le papegault, ancien nom du perroquet, était un petit oiseau de fer blanc, placé au haut d'une perche, et servant, de cible a ceux qui s'exerçaient au tir de l'arc et de l'arquebuse.

 

Le vainqueur du tir annuel était proclamé roi de l'arquebuse ;

il jouissait de certains privilèges, entre autres l'exonération des droits d'octroi de 40 tonneaux de vin, qu'il pouvait débiter à Brest et Recouvrance.

 

Ce divertissement, imaginé dans le but de former de bons tireurs, avait été vainement réclamé par la municipalité, en 1687.

Lors de la guerre de Sept Ans, elle revint à la charge, voulant, disait-elle, concourir aux mesures que prenaient la marine et la guerre pour repousser une invasion anglaise.

 

En 1756, elle exposa à nouveau que le papegault était indispensable à Brest, seule ville de la province où il n'existait pas, ce qui était cause que la milice était moins exercée que partout ailleurs au maniement des armes.

Mais cette demande ne fut pas accueillie par l'intendant, et Brest resta, à tout jamais, privée de son papegault.

 

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Le maire a voix délibérative aux États de la province.

Tous les deux ans environ, à partir de 1683, il assiste « l'épée au côté » à la tenue des États, pour défendre, les intérêts de la ville et présenter les requêtes de la Communauté, mais il n'obtient le plus souvent que des « promesses et espérances dont, il est mortifié ».

 

Il ne jouit pas, comme à Nantes, du privilège de la noblesse, mais en tant que bourgeois « vivant noblement », il a droit au blason et presque tous les maires ornent leur nom d'une particule de leur terre ou de leur maison, tels :

Le Mayer de la Villeneuve, Le Gac, de l'Armorique, Lars de Poulrinou, Marion de Penanru, etc.

 

M. Louis Le Guen, négociant qui, depuis 1771, était officier municipal et s'appelait Le Guen cadet, ayant été élu maire en 1775 et ne possédant aucun manoir, se contenta de renverser l’ordre des lettres des mots Le Guen, pour en faire Neugel, et devint Le Guen de Neugel, avec pour armes : Parti : au 1, coupé au 1 d’or à une cible de sable accompagnée de deux fers de pique de même et au 2 d'azur à six étoiles d'or ; au 2 ; d'azur à une chouette d’argent.

 

Un seul maire de Brest fut anobli par lettres royales :

Ce fut M. Le Normand.

Élu pour trois ans, en 1771, la municipalité lui avait, continué en 1774 ses pouvoirs pour les trois années suivantes, et quand il s'était, retiré, en 1777, elle, lui avait, offert une magnifique épée, du prix de 657 livres, aux armes de la ville, et une gratification de 1.800 livres.

 

Mais, en 1780, dans des circonstances difficiles, la Communauté, eut encore recours à Le Normand.

Pénétrée de gratitude, le 27 janvier 1781, elle demanda pour lui des lettres de noblesse, pour récompenser ses longs et excellents services, et le roi les accorda.

 

Le maire reçoit une somme annuelle de 300 livres, à laquelle s'ajoutent 75 livres par an pour le remboursement de ses frais d'installation et 50 livres par an pour la fourniture du bois, du papier, des plumes et de l'encre employés lors des séances de la Communauté.

 

On lui accorde une indemnité de 350 livres pour aller représenter la ville aux États pendant leur tenue, qui dure environ trois mois.

 

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Mais, à côté de ces prérogatives et de ces honneurs, que de charges incombent au maire !

 

Il supporte, seul, tout le fardeau de l'administration, n'ayant qu'un clerc pour l'expédition des affaires courantes.

En temps de guerre, surtout, il est écrasé par le détail du casernement des troupes et la distribution des billets de logement.

Les malheureux contribuables, forcés de fournir des lits et des draps aux casernes ou de, loger des soldats de passage, sont exaspérés, se regardent comme victimes de criantes injustices et déchargent leur mauvaise humeur sur ce magistrat.

 

Le 25 avril 1720, le maire de Brest, M. Le Dall de Kerliézec, était, allé en compagnie de l'intendant de la marine et d'un ancien conseiller de ville, « disner chez le sieur Floch, prestre, ancien curé de Saint-Marc, au village du Forestou, distant d'un quart de lieue de la ville ».

Le soir, il avait pris les devants sur ses compagnons, pour rentrer chez lui avant, la fermeture de la porte, et il venait, d'atteindre le lieu de Kéroriou, lorsqu'il crut entendre marcher derrière lui : presque aussitôt, il se sentit « frapé, sur la teste et ayant détourné pour cognoistre celluy qui l'avoit frapé, il remarqua que c'estoit le nommé Dubois, maistre d'écolle de la ville de Brest, lequel dans le moment luy déchargea un second coup d'une canne qu'il tenoit à la main, sur le devant de la teste, dont il tomba par terre sur les ronces et épines. »

 

L'auteur de cette agression sauvage — qui ne devait guère offrir de beaux exemples à ses élèves —prétendait avoir à reprocher au maire de lui avoir envoyé un soldat à loger, depuis le 28 mars.

 

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En vertu de l'arrêt du Conseil du 11 juin 1763 il est interdit aux maires de s'absenter du lieu de leur résidence sans la permission de l'intendant de la province.

« Il est, en effet, nécessaire, écrit l'intendant de Flesselles, qu'un maire se tienne toujours prêt à donner des ordres convenables pour le bien de la ville et à exécuter ceux qui lui soit adressés ».

 

Le maire est ainsi forcé d'abandonner ses propres affaires pour s'occuper des intérêts publics.

La mairie est une charge fort onéreuse et les candidats font souvent de grands efforts pour en être dispensés.

 

« Ce serait pour moi un grand malheur que d'être nommé maire, écrit l'avocat Guillart, conseiller de ville, au duc de Penthièvre qui l'a désigné comme candidat, car cette place ne permet pas, à Brest, d'avoir d'autres fonctions ».

 

Il pense que le cœur paternel de Son Altesse Sérénissime n'exposera pas un père de famille à un tel désastre.

 

En 1774, les trois candidats à la mairie choisis par la Communauté sont : MM. Raby, Picaud et Guesnet.

 

M. Antoine Raby, ancien maire, s'excuse en rappelant qu'il a déjà passé par toutes les charges publiques de la ville.

 

Le procureur-syndic Picaud « témoigne a MM. de l'assemblée municipale sa reconnaissance des suffrages dont il a été honoré, mais il se trouve réduit à regret à la supplier de le dispenser du concours à la mairie.

Chargé d'une nombreuse famille et n'ayant pour la soutenir que les ressources de son état de notaire, il ne lui serait pas possible de supporter les dépenses d'usage dans cette place, si, par malheur, les suffrages lui tombaient.

Il supplie MM. de l'assemblée de ne pas perdre de vue, ou en tout cas, de se rappeler qu'il est père de dix enfants, dont l'aîné n'a pas douze ans révolus et, par cette raison, de jeter les yeux sur un autre sujet plus digne et plus capable, en protestant qu'il ne cessera, dans toute occasion, de montrer les sentiments d'un véritable citoyen.

 

Quant au conseiller Guesnet, avocat, il s'exprime en ces termes :

« Messieurs, les expressions me manquent, je n'en ai point d'assez d’énergiques, pour vous rendre combien je suis sensiblement pénétré de la distinction ; flatteuse et honorable que vous me témoignez, en m’admettant à la concurrence pour la mairie du triennal prochain.

Je vous prie d'en agréer mes remerciements et ma déclaration formelle de n'entendre concourir.

C'est la modicité du faible patrimoine dont je jouis qui me rend impossibles les dépenses multipliées et indispensablement attachées à la dignité de premier officiel municipal de cette ville ;

la nécessité de ces dépenses est de notoriété publique ; tous gémissent et réclament contre cette dure obligation.

Détournez donc vos regards, messieurs.

Fixez-les sur un citoyen riche, ou au moins plus aisé que moi, et recevez avec bonté mon unique et  véritable cause. »

 

La Communauté maintint ses propositions, « considérant que tous les candidats à la mairie auraient les mêmes raisons à alléguer pour se dispenser du concours ».

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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