1922
Les rues de Brest
par Ollivier LODEL
- Article 18 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 18 mai 1922
RUE NEPTUNE (Suite)
C'est dans la maison portant le n° 9 de la rue Neptune que la loge l'Heureuse rencontre vint s'établir officiellement en 1796.
Fondée dès 1745, cette société maçonnique comptait, parmi ses membres, les principales notabilités civiles et militaires :
L'intendant général de la marine, Arnaud de Laporte, qui devint intendant de la liste civile de Louis XVI et fut l'une des premières victimes de la Révolution ; le prince de Rohan, garde de la marine ; les célèbres navigateurs Lapérouse et Bougainville ; les amiraux Bruix, Ganteaume, Villaret-Joyeuse ; Bergevin, Guilhem, Clément de Ris, le baron de Lacrosse, membres de nos anciennes assemblées législatives ; la plupart des maires de Brest ; des ecclésiastiques, tels que :
dom Courtois, bénédictin, procureur de l'abbaye de Saint-Mathieu ; le F. Boulot, religieux carme ; l'abbé La Goublaye, recteur de la paroisse Saint-Sauveur, de Recouvrance.
Amiral Bruix
Un curieux mémoire — procès-verbal officiel de la fête funèbre célébrée par l'Heureuse rencontre, le 9 prairial an 13, à l'occasion de la mort de l'amiral Bruix, membre et orateur de cette loge — va nous faire pénétrer dans le temple de la rue Neptune et nous initier aux détails de la cérémonie :
« En entrant dans le Temple, l'âme des F.*. F.*. s'abandonnait à de justes sentiments de vénération et de recueillement ;
l'œil étonné de ne se promener que sur des objets de deuil, s'arrêtait bientôt sur un cénotaphe imposant, élevé sur un monticule de gazon émaillé de fleurs.
Le tombeau, de marbre noir, était surmonté d'une pyramide dont les quatre faces présentaient les inscriptions ci-après :
Au grand capitaine.
Au marin distingué.
À l'homme d'État.
Au bon père de famille.
Au-dessus de ce monument planait, l'aigle, symbole précieux à plus d'un titre, qui tenait avec la foudre, les décorations militaires et maç.*. du F.*. Bruix.
Le grand cordon, la grande croix de la Légion d'honneur, le camail de S.*. P.*. R.*. C.*. le cordon et le tablier et l'écharpe d'amiral, unis en trophée, se prêtaient un éclat réciproque.
Au pied de la pyramide, étaient le chapeau et l'épée de ce F.*.
Des saules pleureurs, des couronnes de cyprès et des bouquets de fleurs entouraient le tombeau, aux angles duquel étaient des cassolettes pleines de parfums, des faisceaux d'armes et d'étendards.
Parmi ces derniers, on distinguait le pavillon de l'Éole, l'un des vaisseaux que montait le F.*. Bruix.
Trois langues funèbres permettaient seulement de distinguer ces objets.
L'Orient, décoré avec goût et majesté, présentait un trône soutenu par quatre colonnes de granit.
Au milieu du frontispice, s'élevait le buste du héros auquel lu France doit son bonheur, et sur la corniche on lisait ces mots :
La L.*. l'Heureuse rencontre à S.M.L. et R. Napoléon 1er.
De chaque côté du trône, en avant, flottaient les pavillons du vaisseau amiral l’lmpérial et du vaisseau le Républicain.
Derrière le trône, était placé un sopha destiné pour le T.*. R.*. F.*. Ganteaume, amiral, G.*., off.*. du G.*. O.*. de France, pour le R.*. F.*. Duplessis, beau-père du R.*. F.. Bruix, et pour le V.*. M.*. Guilhem aîné, président des travaux du jour.
Le reste du temple était couvert d'un grand crêpe noir, parsemé de larmes et d'inscriptions ;
le haut était relevé par une guirlande de Chêne et de laurier (emblème de la vraie gloire) et par une draperie blanche descendant en festons et artistement placée.
Les colonnes de l'Occident étaient dépouillées de leurs attributs de splendeur ;
les bureaux de tous les dignitaires étaient aussi couverts de crêpes noirs et blancs, unis avec simplicité et mêlés de couronnes de fleurs.
Trois lustres concouraient à éclairer la voûte du temple, et de nombreux flambeaux triangulaires terminaient la décoration de ce lieu, destiné à pleurer sur la tombe d'un citoyen précieux et d'un Maç.*. chéri. »
Et l'extrait du « livre d'architecture de la R.*. L.*. de l'Heureuse rencontre, à l'O.*. de Brest, extraordinairement convoquée et réunie sous le point géométrique connu des vrais M.*., en ce 29ème jour du 3e mois de l'an de la V.*. Lum.*. 58055 », nous livre tous les secrets de la cérémonie.
Les maîtres des cérémonies donnent tout d'abord l'entrée du temple aux F F.*. visiteurs, étrangers à la Loge.*. et, parmi eux :
les contre-amiraux Leissègues et Villaumez ; les généraux Lamarque. Darmagnac et Augereau ;
le chef d'administration de la marine Rignac ; le chirurgien en chef Beauquet, etc.
Puis arrivent les délégations des régiments : la Parfaite Union, du 7e et du 16e ;
les Élus de Minerve, du 37e de ligne.
En pénétrant dans le temple, elles passent sous la voûte d'acier, tandis que la musique fait entendre le quatuor de Lucile : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?
« Les Ven.*. de ces L.*. témoignent leur reconnaissance de l'accueil qu'elles reçoivent.
Ils expriment, les sentiments énergiques qu'ils éprouvent particulièrement, puisque, par état susceptibles de parcourir divers OO.*. français et étrangers, l'heureuse et sublime institution maçonnique leur fait trouver partout des FF.*. et des amis.
Le triple vivat de ces RR.*. L.*. est couvert par celui de l'Heureuse rencontre. »
La Loge des Élus de Sully, de Brest, fait ensuite son entrée, aux accents « d'un morceau de Mozart relatif à la cérémonie » et le R.*. F.*. Vén .*. Gréban, qui marche à sa tête, « reçoit le baiser fraternel et une paire de gants ».
Chacun est à son rang avec les honneurs et décorations qui lui appartiennent ;
le calme et la douleur régnent partout.
Si Bruix n'est plus, son souvenir est dans tous les cœurs; ses décorations maçonniques, et celles militaires que lui méritèrent ses grands services, sont suspendues sur son catafalque ;
l'encens brûle ; les lampes funéraires qui jettent une lueur faible, laissent apercevoir les inscriptions qui rappellent sa vie glorieuse, ses vertus privées, et tout à la fois le terme des choses humaines.
La musique, qui exécute le chœur de Roméo et Juliette, entretient cette mélancolie expansive ;
mais elle est suspendue par l'approche du T.*. R.*. F.*. Ganteaume, amiral, conseiller d'État, grand-officier de la Légion d'honneur, commandant de l'armée navale et grand off.*. du G.*. O.*. de France.
Une députation de 21 membres, l'introduit dans le temple ;
la triple voûte d'acier couvre sa personne et les FF.*. de l'harmonie font entendre, pendant sa marche, l'ouverture de Démophon.
Arrivé à l'autel, le Vén.*. lui offre des gants et veut déposer le maillet dans les mains de la grande lumière, afin d'en faire refluer les effets dans l'atelier.
Le T.*. R.*. F.*. Ganteaume improvise des remerciements infiniment honorables pour la L.*. et son Vén.*. qu'il prie instamment de conserver le maillet.
Après avoir retracé les vertus privées et les services éminents de l'amiral Bruix, le Vén.*. Guilhem termina ainsi son discours :
« O Napoléon !
Toi qui pour le bonheur de la France, as fondé sur des bases inébranlables le seul gouvernement qui lui convient ;
toi qui, dès l'aurore de ton règne, as fait cesser les haines et les dissensions qu'entraîne après elle une révolution délirante ;
loi qui en donnant une nouvelle vie à la religion de nos pères, as créé dans le même instant un code civil qui passera à la postérité la plus reculée ;
daigne agréer les vœux que nous adressons au Grand Arch.*. de l'univers, pour qu'il veille sur tes jours, qu'il les prolonge et qu'il t'accorde, ainsi qu'à ton auguste épouse, sa protection toute-puissante.
Allons maintenant, mes, FF.*. rendre nos derniers devoirs au R.*. F.*. Bruix, qui avait toute notre affection.
Que le silence, le recueillement, la vénération dirigent nos pas dans les trois voyages mystérieux que notre ordre nous indique ;
et que que les fleurs que nous déposerons sur son tombeau soient offertes par l'amitié, l'attachement et la reconnaissance. »
« Le premier voyage mystérieux commence dans un profond recueillement.
Chaque F.*. tient un glaive d'une main et des fleurs dans l'autre.
L'harmonie exécute, pendant la marche silencieuse des FF.*. le chœur de Roméo et Juliette et la marche de la Bataille d'Ivry.
Puis, le F.*. Gleizes vient lire un discours sur la Maçonnerie que Bruix prononça à l'Heureuse rencontre, le 24 juin 1790.
On le joint aux attributs déposés sur sa tombe, comme un hommage de plus à sa mémoire.
Un deuxième voyage est exécuté et le F.*. Sibert-Cornillon a la parole pour l'éloge funéraire.
Puis, c'est le troisième voyage mystérieux autour du catafalque ;
la tombe est couverte de fleurs, après quoi le Vén.*. annonce que les devoirs funéraires dus à la mémoire de Bruix sont terminés ;
qu'il faut laisser son ombre en paix et cesser les chants lugubres.
Un triple vivat, termine la cérémonie :
les députations se retirent sous la voûte d'acier et le Vén.*. ferme les travaux au sein de paix et de l'union. »
J. P. Guilhem
*
**
(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .