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1922

Les rues de Brest

par Ollivier LODEL

- Article 25 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

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Sources : La Dépêche de Brest 7 septembre 1922

 

LE CHAMP DE BATAILLE

 

Le Champ-de-Bataille — aujourd'hui place Wilson — fut tracé par Vauban, en 1694, sur un terrain qui n'était alors qu' « une espèce de solitude, où l'on ne voyait que des champs cultivés ».

Aplani, en 1704, il servit de champ de manœuvre aux gardes de la marine.

 

Un fossé, surmonté d'un petit talus, le séparait des rues environnantes et une rangée de grands ormes de haute futaie se dessinait à l'entour.

 

Seule, l'allée faisant face au Petit-Couvent avait deux rangées d'arbres.

C'était l’ « Allée des Soupirs », chemin ombragé et solitaire, où les amoureux venaient, en ce temps-là, « soupirer » avec ou sans leurs belles.

Elle était le pendant du « Bois d'Amour », le petit taillis près des remparts, au milieu duquel fut élevée, dans la rue Colbert, la première fontaine de la ville.

 

La marine, propriétaire du Champ-de-Bataille en permit l'accès aux troupes de la garnison en 1752 et le génie militaire en prit possession en 1791.

 

Quelques années plus tard, la municipalité Pouliquen obtint l'autorisation d'embellir la promenade.

Les vieux arbres furent abattus et, en échange du bois donné à la marine, celle-ci offrit vingt-cinq couples de forçats qui travaillèrent au remblai des fossés et à la construction d'une murette en pierres de taille ; elle fournit également le fer pour les balustrades.

 

Les huit belles urnes « Médicis » qui surmontent les piédestaux des angles furent, achetées par la ville en 1845, et le Kiosque, qui coûta 12.127 francs, fut élevé, en 1890, sur l'emplacement d'une petite estrade dont on demandait, depuis longtemps la disparition, car « elle est pourrie, écrit la municipalité, dès 1845, et elle ne peut contenir les musiques des régiments qui sont obligées de jouer sur le sol ».

 

Le Champ-de-Bataille fut acheté par la ville, au département de la Guerre, en 1901, moyennant la somme de 200.000 francs.

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La cérémonie de prestation du serment civique - 14 juillet 1791

 

 

Nulle époque ne vit plus de fêtes publiques que la Révolution et Brest les célébra toutes sur le Champ-de-Bataille.

 

Le 14 juillet 1791, c'est l'élévation, au centre de la place, de l' « Autel de la Patrie », entouré de gazons, de fleurs et de peupliers, auquel ouvrage tout le monde participa, même le commandant de la marine, M. de Marigny, et le chef d'escadre, M. de Balleroy, qui pour donner l'exemple, voulurent rouler « les premières brouettes patriotiques ».

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Jean François de la Cour

Vicomte de Balleroy

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L'année suivante — le 14 juillet 1792 — alors que dans l'ivresse de la nation, tout n'est que candeur, espoir immense, et fraternité universelle, on plante, près de l'Autel de la Pairie, l'« Arbre de la Liberté », un jeune chêne vigoureux provenant du mont Frugy et qui ne dépérit pas, comme beaucoup d'autres, car, en 1801, nos ancêtres « voyaient croître avec plaisir l'arbre sacré qu'ils avaient planté », et il était « magnifique » quand il fut abattu, une nuit, en 1816.

 

La cérémonie revêtit un grand éclat, et le Champ-de-Bataille devint la place de la Liberté.

 

Quelques jours plus tard — le 10 août — sonnait, le dernier glas de la royauté, et la fête qui devait solenniser cet événement fut remise, par suite du mauvais temps, au 20 octobre.

 

Ce jour-là, une montagne, formée de tous les attributs mutilés de la royauté arrachés aux navires de la flotte et aux divers établissements de l'arsenal, fut élevée en face de l'Arbre de la Liberté.

Les autorités civiles et militaires vinrent solennellement y mettre le feu aux cris de :

« Vive la République ! », au bruit de la mousqueterie et des canons des batteries de la rade.

 

1793. L'Autel de la Patrie est renversé et remplacé par un échafaudage, sur lequel est jetée une toile peinte représentant un roc escarpé.

C'est la Sainte Montagne.

Au-dessus d'elle flotte un étendard portant en gros caractères :

Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait aussi des tyrans, arrêter les complots.

 

La place de la Liberté est devenue place de la Montagne et, le 9 février 1794, la Sainte-Guillotine est dressée près de la Sainte Montagne, où elle resta en permanence pendant un mois.

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Sous la Convention et le Directoire, une fête nationale, « ces fêtes après lesquelles le peuple soupire », proclamait la Convention, était célébrée sur le Champ-de-Bataille tous les 10 de chaque mois :

 

Fête des Époux, où venaient se rassembler, sur l'Autel de la Patrie réédifié, les nouveaux mariés et leurs épouses

« vêtues de blanc, parées de fleurs et de rubans tricolores ».

 

Fête de la Reconnaissance, en l'honneur des soldais blessés, qui, avant d'être conduits en grande pompe sur la place d'Armes, recevaient à l'hôtel de ville une palme de laurier.

 

Fête de la Liberté, en mémoire du 10 août 1792, où citoyens et citoyennes, armés de sabres et de haches, faisaient écrouler un trône orné des emblèmes de la royauté, élevé, la veille, par le peintre Sartory.

 

Fête de l’Agriculture, cérémonie pastorale, au cours de laquelle laboureurs et gardes nationaux faisaient l'échange, devant tout Brest et les troupes rassemblées, de leurs instruments de travail et de leurs fusils.

 

À chaque fête, les artistes du théâtre, accompagnés par les musiques de la garnison, chantaient des hymnes patriotiques, tels celui à l'Être suprême :

 

Avant de déposer nos glaives triomphants,

Jurons d'anéantir le crime et ses tyrans.

 

Les chœurs entonnaient avec la foule l'hymne à la Liberté :

 

Amour sacré de la Patrie !

 

À cet instant, nous rapporte le compte rendu d'une Fête de l'Être suprême, tout s'agite sur la place.

On s'embrasse fraternellement :

Les mères soulèvent dans leurs bras leurs plus jeunes enfants et les présentent en hommage à l'auteur de la nature ; les jeunes filles jettent vers le ciel des fleurs qu'elles ont apportées ;

elles promettent de n'épouser que des citoyens qui auront bien mérité de la Patrie.

 

Le représentant du peuple, Prieur de la Marne — l'un des plus grands hâbleurs et charlatans de cette époque — prend un vieillard et « le couvre de ses baisers ».

 

Tous les dix jours, la place « est couverte de danses jusqu'à dix heures du soir » pour fêter

 

La décade qui est par sa gaîté

L'âme de la liberté.

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Prieur de la Marne dans le Serment du jeu de paume de Jacques-Louis David (détail).

 

 

Sur le Champ-de-Bataille — qui reprit son ancien nom en 1811 — les Brestois assistaient autrefois le matin, à onze heures, au défilé de la parade militaire, et, le soir, aux sérénades.

 

La place d'Armes fut toujours le théâtre des réjouissances et des solennités.

Elle servait de lieu de réunion aux troupes passées en revue à l'occasion de l'arrivée de grands personnages — telles, à près d'un siècle de distancé, la revue passée le 8 juin1777 par l'Empereur d'Allemagne Joseph II, frère de la reine de France, voyageant sous le nom de comte de Falkenstein, et celle passée, au mois d'août 1858, par Napoléon III, qui, après avoir distribué des croix aux braves de notre armée, se plaça avec l'impératrice du côté de la rue Saint-Yves, et vit défiler devant lui les troupes de la garnison, aux cris de :

« Vive l'empereur ! Vive l'impératrice ! »

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On y organisa des festins patriotiques, entre autres « le banquet civique de 1.500 couverts offert le 26 août 1830 par la municipalité aux troupes de terre et de mer en commémoration des journées de Juillet et de l'union des sentiments nationaux des départements avec l'immortelle ville de Paris ».

 

Les réjouissances populaires se déroulaient sur le Champ-de-Bataille et les musiques de la garnison y donnaient concert quatre fois par semaine.

 

La mode exige, lisons-nous dans un journal brestois de 1837, que le beau monde se promène dans une seule partie du Champ-de-Bataille, et il serait à désirer, ajoute le galant chroniqueur, que cette partie fût sablée et devînt

« moins rude pour les jolis pieds qui s'y pressent ».

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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