1922
Les rues de Brest
par Ollivier LODEL
- Article 26 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 14 septembre 1922
L'emplacement actuel de la place du Château n'était autrefois que des carrières « où il se commettait, journellement, toutes sortes de désordres — plus de mille hommes pouvant s'y dérober à la vue des patrouilles — et dans lesquelles on versait les vidanges, ce qui infectait l'air ».
Pour l'assainissement et la sécurité de la ville, on commença le comblement, des carrières en 1770, et peu de temps avant la Révolution, la place se trouva nivelée dans la partie comprise entre le cours Dajot et le square, qui — il y a seulement une vingtaine d'années — était encore le trou de la place du Château ».
La place du Château prit le nom de Champ de la Fédération après l'anniversaire du 14 juillet 1790 et la cérémonie du serment civique qui eut lieu, le 21 mars précédent, à l'Occasion de l'installation du maire Malmanche inspira à
M. Desplaces, professeur de dessin des gardes de la marine, le sujet d'une gouache conservée dans notre musée.
Ce jour-là, à neuf heures du matin, l'ancienne et la nouvelle municipalité, précédées des brigades à cheval de la maréchaussée et de la prévôté de la marine et encadrées par la garde nationale, se rendirent de l'hôtel de ville à la place du Château, où un Autel de la Patrie avait été élevé.
À l'arrivée du cortège, le recteur de Saint-Louis harangua successivement M. Malmanche, la nouvelle municipalité.
M. Branda, ancien maire et président du conseil général, puis entonna le Veni Creator, tandis que la garde nationale tirait une salve de vingt et un coups de canon et que les musiques exécutaient diverses symphonies.
La place du Château offrait un coup d'œil imposant.
Les quatre brigades de la garde nationale, les régiments de Beauce et de Normandie,
le corps royal des canonniers-matelots (*), la compagnie des invalides occupaient les trois côtés d'un carré,
dont le quatrième ne pouvait suffire à la foule rassemblée, en amphithéâtre, sur une immense estrade.
(*) À lire sur Retro29.fr : Le corps Royal des canonniers matelots
Au centre de l'estrade, s'élevait une rotonde, enguirlandée de lauriers et de lierre, soutenue par huit faisceaux de lances, « symbole de la Force que produit l'Union ».
Au faîte était le bonnet, déjà emblème de la liberté.
Le recteur de Saint-Louis célébra une messe basse sur l'Autel de la Patrie, qui n'avait pour tout, ornement, qu'un christ et deux lampes ardentes, et le maire Malmanche, faisant face au peuple, prêta, sur le livre des évangiles, le serment décrété par l'Assemblée nationale.
À ce moment, une nouvelle salve de vingt et un coups de canon se fit entendre, les cloches sonnèrent à toutes volées, les tambours battirent et un défilé des troupes termina cette fête patriotique.
La municipalité brestoise entretenait une correspondance presque journalière avec ses députés à la Constituante (1), pour rendre compte :
« Nous ne pouvons que vous faire part de la cérémonie relative au serment prononcé, hier, sur l'Autel de la Patrie, dressé avec goût et une simplicité imposante sur la place du Château.
Toutes les troupes de la garnison : celles de la milice nationale étaient dans la plus belle tenue ; les canons de cette dernière troupe ont majestueusement grondé et, pour n'avoir pas été émerveillé, il faut savoir que la compagnie qui les faisait mouvoir est composée d'anciens artilleurs.
Tout s'est passé dans le plus grand ordre et il est probable que la fête d'hier n'aura pas été imitée par quatre villes de la province. »
Jean-Bon Saint-André
Le 7 mars 1794, le représentant du peuple Jean-Bon Saint-André installait à Brest un tribunal révolutionnaire régénéré, « imbu des vrais principes », composé de « trois bons, juges » du tribunal révolutionnaire de Paris
le président Ragmey, l'accusateur public Donze-Verteuil et son Substitut Bonnet,
le secrétaire du fameux Fouquier-Tinville.
Et, le même jour, le tribunal tint sa première séance pour juger Hervé Broustail, négociant, juge consulaire et administrateur du district de Morlaix.
Ce brave septuagénaire avait « décrié le papier-monnaie de la République, déploré la mort du dernier des tyrans, envoyé 17.300 livres au marquis de Kérouartz provenant de la recette des biens de cet émigré à Mayence ;
il avait enfin formé le projet coupable d'une émigration personnelle, puisque, le 22 octobre, il écrivait à son fils, à Cadix, qu'il voudrait être où il était lui-même ».
Reconnu coupable de « conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français », Broustail fut condamné à mort et exécuté le lendemain.
Guillotine, panier, charrette, tout était prêt, depuis plusieurs jours, sur la place du Château, devenue place du Triomphe du Peuple.
Lisons d'ailleurs, les recommandations du substitut Crandjean :
« Le citoyen agent national voudra bien faire appeler immédiatement l'exécuteur des jugements, logé à l'hôtel de la République (préfecture maritime), afin qu'il fasse faire toutes les réparations pour que la mort soit promptement donnée aux condamnés ;
il est indispensable d'avoir un panier en osier, garni de toile peinte en rouge et à l'huile, pour y pouvoir déposer les cadavres, et il faudra le faire tel qu'il en puisse contenir au moins trois ou quatre. »
« Le citoyen agent national est également invité, à donner les ordres nécessaires pour la construction d'une charrette,
propre à conduire les condamnés au supplice, et capable de contenir huit personnes assises. »
Pour varier les genres d'accusation, on choisit, le 13 mars, comme seconde victime, un prêtre réfractaire :
François Le Coz, ancien recteur de Poullaouen, âgé de 48 ans.
Le 16 mars, François Prignot, ancien notaire à Troyes, qui a quitté la France en 1790 — pour se soustraire aux poursuites de ses créanciers — et a eu la fâcheuse idée de rentrer au pays natal sur un bâtiment américain capturé en cours de route, est déclaré coupable d'émigration, condamné et exécuté le même jour.
Le 18, c'est le tour à Françoise Boëhhen, 50 ans, née à Combrit (Finistère), couturière et commissionnaire,
pour « avoir fait divers voyages à Guernesey et Londres, où elle aurait eu des rapports avec des émigrés, dont elle aurait été l'intermédiaire et l'agent en France ».
Le 31, Mlle Anne Pichot-Kerdizien, de Recouvrance ;
30 ans, demeurant à Quimerc'h, chez son oncle, ancien inspecteur de la forêt du Cranou, est traduite devant le tribunal pour avoir :
1° Participé aux dilapidations commises au préjudice de la République, en tirant de la forêt nationale du Cranou, les bois de construction nécessaires à, celle de leur maison, en Quimerc'h ;
2° Avoir voulu ressusciter sa noblesse en construisant vingt-quatre écussons armoriés d'un cygne, que la dite Anne Pichot avait déclarés destinés à orner son catafalque après sa mort :
3° Avoir eu en sa possession le testament manuscrit, de Louis Capet, tendant à faire regretter ce tyran, etc.
Anne Pichot ne peut échapper à huit chefs d'accusation comme « auteur et complice d'une conspiration contre la liberté du peuple français ».
Elle est, condamnée à mort et exécutée à l'issue de l'audience.
(1) La correspondance de Legendre, député de la sénéchaussée de Brest, avec la municipalité, a été publiée par MM. A. Corre et L. Delourmel :
« La Révolution française », numéros des 14 décembre 1900 et 14 janvier 1901.
Pour la correspondance de la municipalité avec les députés (1789-1791), voir « Brest pendant la Révolution »
(documents inédits par L. Esquieu et L. Delourmel, 1 vol. 293 p., Brest, 1909. compte des événements de la cité, leur écrit le 22 mars 1790.
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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .