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1922

Les rues de Brest

par Ollivier LODEL

- Article 28 -


 

Auteur : Ollivier Lodel (*)

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Sources : La Dépêche de Brest 28 septembre 1922

 

Le 19 mai 1794, à sept heures du matin, les administrateurs du Finistère franchirent les ponts-levis du Château pour comparaître devant le tribunal révolutionnaire qui siégeait, nous l'avons dit, dans l'ancienne chapelle de la Marine, rue de la Mairie.

Toute la garnison était sous les armes.

Conformément à la réquisition que l'accusateur public Donzé-Verteuil avait adressée au général Tribout, quatre mille hommes de troupes étaient échelonnés dans les rues que les accusés devaient traverser.

Huit cents maratistes de l'armée révolutionnaire formaient l'escorte.

 

Élevés sur une estrade, au fond du sanctuaire, étaient assis les juges, coiffés du bonnet rouge.

À gauche, avaient pris place Donzé-Verteuil et Bonnet et, derrière eux, les jurés.

Sur des gradins, en face, se trouvaient les accusés, placés chacun entre deux gendarmes, le sabre au poing, et éloignés de leurs défenseurs qui ne pouvaient communiquer avec eux.

 

Les débats devaient occuper trois audiences.

Les deux premières furent consacrées à la lecture de pièces dont les défenseurs entendaient parler pour la première fois, et à l'audition de quelques témoins, dont le premier Nicolas llavard, imprimeur à Landerneau, fut arrête séance tenante « pour avoir imprimé les adresses liberticides de la ci-devant administration du Finistère ».

 

Le troisième jour, Donzé-Verteuil développa son acte d'accusation et la parole — si on peut dire — fut donnée aux avocats.

 

Riou-Kersalaun, chargé avec Le Hir de la défense du plus grand nombre, des accusés, commence à peine sa plaidoirie que le président Ragmey l'interrompt, en ces termes, d'un air menaçant :

« Avant que tu ailles plus loin, citoyen défenseur, le tribunal a besoin de connaître tes opinions personnelles sur les arrêtés de cette administration, parce, que, d'après ta réponse, il aura peut-être des mesures à prendre à ton égard. »

 

Il fallut céder à la violence et les avocats furent réduits à n'invoquer d'autres considérations que celles qui militaient en faveur de la moralité personnelle de leurs clients.

À midi, en ce jour du 3 prairial an II, les débats furent clos et, quelques instants plus tard, tous les administrateurs du Finistère — à l'exception de Bienvenu, Descourbes, Pruné et Le Cornec — étaient reconnus coupables

de « conspiration contre la liberté du peuple français », et condamnés à la peine de mort.

 

La sentence fut prononcée dans un morne silence, interrompu seulement, dit Levot, par cette exclamation simultanée de Bergevin, de Guillier et de Moulin :

« Scélérats, que notre sang retombe sur vos têtes ! »

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Cependant, le bourreau Ance s'impatientait.

Dès le matin, avant de savoir si le tribunal lui livrerait des têtes, il avait requis les chevaux et les voitures nécessaires au transport des « condamnés ».

Et à l'officier municipal Pérard qui lui disait ingénument :

« Comment, ne leur donnera-t-on pas au moins vingt-quatre heures pour arranger leurs affaires ? »

 

— « Pas un quart d'heure, répartit Ance ; dès l'instant du jugement, ils sont à moi. »

 

À mesure que les vingt-six condamnés sortent du tribunal, Ance leur fait couper les cheveux, leur lie les mains derrière le dos et les entasse dans des charrettes.

Et bientôt le funèbre cortège, précédé de la musique du bataillon révolutionnaire, se dirige, par la voie la plus longue, vers la place du Château où s'accomplit le dernier acte du drame.

 

L'échafaud se trouvait dressé à sa place habituelle, près de la porte orientale du Château.

Un vaste entonnoir, peint, en rouge, était disposé près de la fatale bascule, et une trappe était ménagée sur l'échafaud même, pour faire tomber dans des charrettes la dépouille des administrateurs.

 

Le vénérable président Kergariou et un autre vieillard de 72 ans, Le Thou, furent, sacrifiés les premiers.

Après avoir donné l'absolution à ses collègues, Expilly gravit, le dernier, la fatale plate-forme.

 

On a dit que le bourreau, au lieu de laisser tomber les têtes dans le panier destiné à les recevoir, les aurait rangées symétriquement sous les yeux des condamnés qui, face au sinistre appareil, attendaient leur tour.

Nous ne pouvons affirmer si ce raffinement, de cruauté eut réellement lieu — il n'aurait d'ailleurs rien d'invraisemblable de la part de Ance — mais il est certain que le bourreau fut déçu dans son espoir de faire faiblir les administrateurs, car leur dernière parole fut une invocation, à la patrie, et plusieurs d'entre eux, en présence de la mort, « chantaient la Marseillaise » !

 

Une dernière injure devait être faite à la mémoire de ceux qui, pour tout crime, avaient défendu la loi et la juste inviolabilité de leurs représentants, et ce fut l'accusateur public, Donzé-Verteuil, qui s'en chargea.

 

Il eut la lâcheté d'écrire au Journal de Paris :

« Avant-hier, vingt-six administrateurs du Finistère ont porté leurs têtes sur l'échafaud.

Ces messieurs voulaient donner la Bretagne aux Anglais ! »

 

Les corps, déposés dans une tombe ignorée du cimetière de Brest, furent fortuitement découverts en 1859, et les familles Le Roux, Le Denmat, Le Prédour et Bergevin firent élever, à la mémoire des vingt-six administrateurs, la haute pyramide en Kersanton que l'on remarque à droite, en entrant dans le cimetière.

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Donzé-Verteuil va maintenant livrer aux fossoyeurs ceux qui ont secondé ou approuvé la résistance du mois de juin 93, qui ont été liés, de près ou de loin, avec les anciens administrateurs, tous faits qualifiés, suivant la jurisprudence des tribunaux révolutionnaires, « de conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français ».

 

La première de ces nouvelles victimes fut Thomas Raby, âgé de 23 ans, jeune étudiant ardent, d'un patriotisme qui lui faisait braver tous les dangers, et qui fut mêlé à tout ce qui se fit dans le Finistère, en faveur de la Révolution.

 

Témoin à Paris des événements du 31 mai, il était revenu soulever les Brestois contre la Montagne.

 

Le 22 juin, fut condamné et exécuté Louis Kérébel, 36 ans, cultivateur à Plouvien, pour avoir fait partie d'attroupement séditieux et avoir, plus d'une fois, crié :

« Vive le Roi ! Au diable la nation ! »

 

Cinq jours après, la peine de mort était prononcée contre deux vieilles femmes, retirées dans le château de Kerjean : la marquise et la comtesse de Coatanscours.

Le comité de surveillance de Saint-Pol de Léon les avait fait arrêter et conduire au château de Brest

« pour n'avoir fréquenté que la caste nobiliaire et avoir manifesté des principes contraires à ceux de la Révolution ».

 

Le surlendemain, la charrette amena sur la place du Château Augustin Clech, prêtre à Plestin, âgé de 50 ans, et trois femmes de Morlaix, coupables de lui avoir donné asile, Anne et Anastasie Le Blanc, exerçant la profession de tricoteuses, âgées, la première de 80 ans, la seconde de 38 et une marchande nommée Anne Levron, âgée de 25 ans.

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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel

 

Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003

 

Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.

En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.

 

Jusqu'en 1939

 

Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.

Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.

Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.

 

Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »

 

Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.

En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.

Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.

Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».

 

Conférencier remarquable

 

Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.

Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.

Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .

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