1922
Les rues de Brest
par Ollivier LODEL
- Article 32 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 26 octobre 1922
Le Château de Brest a la forme d'un trapèze dont la grande base — que nous venons d'étudier — regarde la ville.
L'un des grands côtés donne sur la Penfeld ;
c’est la haute et longue courtine qui relie la tour d'Azénor à, la grosse tour de Brest, bâtie au XVIe siècle.
Au bas de la courtine existait autrefois un ouvrage, appelé « fer à cheval » ;
il couvrait une porte de secours ou poterne, donnant accès à la rivière, par laquelle, en cas de siège, on pouvait par mer ravitailler la place.
Le fer à cheval, dont il reste encore quelques vestiges, fut démoli, en 1788, lors de la construction des quais, par la marine.
Une muraille formant la petite base du trapèze réunit la tour de Brest à la tour française, devant, une petite esplanade nommée le Parc-au-Duc.
Dans cette courtine est la tour César, du XIIIe siècle, qui a conservé ses créneaux et ses mâchicoulis.
Près d'elle, une poterne — jadis la porte de sortie du Château que fermait un pont-levis — conduit au sémaphore du Parc-au-Duc, l'ancienne « Pointe aux blagueurs ».
Le public n'a plus accès, depuis longtemps, sur cette pointe fameuse dans les annales de la cité.
Elle était le rendez-vous des « flâneurs » et des vieux marins qui venaient là, chaque jour ;
devant, le grandiose panorama de la rade, apprécier et critiquer les mouvements des navires et les manœuvres à bord ; discuter le nom et la provenance d'une voile qui se montrait, dans le goulet, à l'horizon.
Mères, enfants et fiancées venaient, là guetter l'arrivée d'un navire impatiemment attendu des mers lointaines et bien des cœurs ont battu autrefois sur la Pointe aux blagueurs.
Enfin, partant de la tour Française, une longue courtine dominant la rade, vient, rejoindre la tour de la Madeleine.
Cette tour dont les dimensions sont très vastes et les murs d'une épaisseur de cinq à six mètres, sert d'enveloppe à une autre plus petite et plus ancienne qui formait jadis l'angle de la fortification.
En entrant dans la cour du Château, le premier édifice qui frappe les regards est à gauche, la caserne de Plougastel, vieux bâtiment construit sous le règne de Henri IV, surmonté d'une horloge à marteaux et orné de fenêtres sculptées.
Il fut bâti par Sourdéac pour loger les officiers de la place.
Dans son prolongement se trouve la caserne Monsieur, élevée, en 1825, sur l'emplacement d’une très ancienne qui tombait en ruines.
Au fond de la cour est la caserne César construite, en 1766 et à droite le bâtiment dit de « la salle d'armes », élevé en 1777 sur l'emplacement des anciens logements du lieutenant du Roi et du major de la place.
Les jardins qui leur étaient contigus et s'étendaient jusqu'au rempart qui relie, la tour de Brest au Donjon, forment, aujourd'hui le Parc d'artillerie.
De beaux et vastes souterrains, parallèles entre eux et séparés par une épaisse muraille, ont été découverts en 1832, sous l'emplacement des jardins.
Construites par Vauban en 1689 et fermées en 1777, lors de la construction de la salle d'armes, ces galeries servent actuellement de magasins d'artillerie.
Nous aurons terminé la description succincte du Château, après avoir signalé l'édifice situé immédiatement à droite de la porte d'entrée.
Il fut bâti par la ville en 1822 pour servir de prison civile, à charge de le remettre à la guerre après un certain nombre d'années de jouissance, et ce terme arriva en 1859, lors de l'achèvement de la prison du Bouguen.
Jusqu'en 1822, les deux grosses tours de l'entrée du Château servirent de prisons aux militaires et aux détenus civils.
Filles, mendiants, déserteurs, simples prisonniers pour dettes ou voleurs et criminels étaient, confondus dans la plus ignoble des promiscuités.
« Il y règne une infection qui met à une cruelle épreuve la charité la plus courageuse, écrit l'évêque de Léon, en 1780, à l'intendant de Bretagne.
Les filles de mauvaise vie y sont jetées avant d'être envoyées au dépôt et, chose horrible, on a trouvé dans leurs cachots des enfants morts, sortis du sein corrompu de ces créatures. »
Les prisonniers qui, « suivant la volonté du geôlier, ne recevaient que de très mauvais pain et de la paille brisée », virent leur sort amélioré par la municipalité brestoise en 1801.
Celle-ci arrêta que les distributions se feraient dorénavant en présence d'un commissaire de police et que chaque détenu recevrait « tous les jours, une livre et demie de pain ; chaque décade, une livre et demie de viande pour faire trois fois de la soupe et vingt francs de paille par mois ».
La municipalité malgré ses vœux réitérés, n'obtint pas l'autorisation d'établir une prison dans l'ancien couvent des Carmes, et militaires et civils continuèrent d'être détenus dans les tours du Château jusqu'en 1822, date, nous l'avons dit, de la construction de la première prison civile qu'occupent aujourd'hui les bureaux de la place, de l'intendance et du recrutement.
Projet de place Louis XVI à Brest, 1784. Paris, musée du Louvre.
Dans notre chapitre consacré à la place du Château, nous devons mentionner un grand projet, élaboré en 1785, qui devait complètement la transformer.
Les États de Bretagne, pour « tribut de leur amour et de leur reconnaissance au souverain », avaient voté l'érection d'une statue à Louis XVI et trois villes :
Rennes, Nantes et Brest s'étaient disputé l'honneur de la posséder.
Notre maire, Raby, député aux États, avait naturellement plaidé pour Brest, « le plus beau port du monde, le dépôt le plus majestueux des forces navales, l'arsenal le plus formidable de la France et la colonne la plus solide du commerce, et de la liberté des mers ».
Les vœux de la Communauté, chaleureusement appuyés par M. de Castries, ministre de la Marine et le chevalier de Fautras, envoyé à Paris pour en assurer le succès, furent, exaucés :
Le roi choisit Brest pour lieu d'érection de sa statue.
« On ne saurait rendre tous les transports de joie et, de reconnaissance que cette flatteuse nouvelle fit éclater parmi les habitants », écrit le maire dans un mémoire adressé aux États.
Il fut fait immédiatement appel aux architectes les plus renommés pour dresser le plan des travaux que commandait le monument et deux projets furent retenus : celui de l'architecte Nouvion, soutenu par la municipalité, qui plaçait la statue sur le Champ-de-Bataille qu'on appellerait place Louis XVIe, celui de M. Jallier de Savault, très fortement appuyé par la marine.
M. Jallier voulait une position d'où la statue commandait tout à la fois à la rade, au port et à la ville.
Frappé du spectacle grandiose qu'offrait la situation du « Parc-au-Duc », il voulait y élever la statue de Louis XVI, et s'était arrêté au plan suivant :
Une place d'armes de forme ovale, plantée d'arbres ainsi que ses deux allées latérales, aurait été établie au bas de la rue du Château.
De cette place une large voie appelée rue Royale, franchissant les fossés du Château, aurait conduit, en ligne droite, jusqu'à proximité du Parc-au-Duc, à la Place du Roi, où sur les fondements de la tour César, se serait, élevée, à 60 pieds au-dessus de la mer, la statue confiée au ciseau du célèbre Pajou.
Aucune décision n'avait, été prise lorsqu'au mois d'avril 1788, le comte d'Hector fit savoir que le projet de M. Jallier était inconciliable avec celui de la construction des magasins des subsistances de la marine sur le terrain du Parc-au-Duc, qui, avec le Château venait de lui être, concédé par la guerre.
La ville semblait, donc certaine de triompher ;
mais les événements politiques avaient refroidi son enthousiasme.
La statue de Louis XVI ne fut pas édifiée et fut épargnée des outrages qui, certainement, lui étaient réservés.
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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .