1922
Les rues de Brest
par Ollivier LODEL
- Article 35 -
Auteur : Ollivier Lodel (*)
Sources : La Dépêche de Brest 30 novembre 1922
Ce ne fut pas un pont qu'imagina, en 1842, l’architecte brestois, M. Aristide Vincent, mais un tunnel qui aurait passé sous la Penfeld, comme celui de Londres sous la Tamise.
L'année suivante, un autre architecte, M. Tristchler, présenta un projet qui se résumait, ainsi.
Il établissait, à un mètre de distance de l'arête des quais, deux ponts fixes en maçonnerie reliés à un pont suspendu qui traversait le chenal et était couronné par une courbe de suspension en fonte, s'appuyant sur chacun des ponts fixes.
Les bâtiments de servitude de la rade pouvaient passer librement sous le tablier placé à quinze mètres au-dessus du niveau de la haute mer ;
le pont s'ouvrait, sur une largeur de vingt mètres, pour le passage des vaisseaux de premier rang ;
la courbe de suspension, placée à cinquante-trois mètres au-dessus des plus hautes marées et à laquelle on accédait par de, larges escaliers, permettait aux piétons de franchir la Penfeld, même quand le pont était ouvert.
Appuyé par le conseil municipal, le projet de M. Triste hier semblait devoir être accueilli, quand une décision du ministre des Travaux publics vint détruire toutes les espérances.
« Le service des relations entre Brest et Recouvrance, disait sa dépêche, est assuré d'une manière facile et peu coûteuse, et l'établissement d'un pont entre ces deux points, quel que fût le système de construction, entraînerait beaucoup de sujétion pour les mouvements de la marine et donnerait lieu à de graves difficultés. »
Quelque péremptoire que fût cette fin de non-recevoir, l'établissement, d'un pont, ne cessait pas d'être l'objet de la préoccupation générale.
En 1849, M. Bizet, maire de Brest, animé de la louable intention de lier son nom à une création, point de départ de tout progrès matériel et moral de la ville, et résolu à déployer, pour l'obtenir, un zèle que les obstacles n'avaient fait qu'exciter, reprit, dès son entrée en fonctions, la question du pont sur la Penfeld.
Grâce à l'influente intervention de M. Lacrosse, sénateur du Finistère, cet établissement fut enfin déclaré d'utilité publique.
Chacun attendait la sanction gouvernementale du projet Tristchler, qui avait recueilli tous les suffrages, quand on apprît que le conseil général des ponts et chaussées, puis le ministre avaient, donné leur préférence à un nouveau projet qui venait de surgir :
Celui de MM. Cadiat, architecte, et Oudry, ingénieur des ponts et chaussées.
Commencés vers la fin de 1856, sous la direction de M. de Carcaradec, ingénieur des ponts et chaussées de l'arrondissement, les travaux de construction du pont, ne furent terminés qu'en 1861.
La partie métallique, exécutée par M. Schneider, dans ses ateliers du Creusot, se compose, de deux volées tournantes d'environ cinquante-deux mètres de portée chacune équilibrée sur une pile de maçonnerie au moyen de deux culasses arrière et roulant sur des galets coniques en fonte.
Bien que le poids de chaque volée atteigne 750.000 kilogrammes, quatre hommes suffisent à la manœuvre de rotation du pont.
Cette audacieuse construction coûta 2 millions 800.000 francs, dont 700.000 francs furent donnés par la ville.
LA TOUR DE LA MOTTE-TANGUY
La bastille de Quilbignon, qui faisait partie d'un système général de défense de la Penfeld, fut construite vers la fin du XIVe siècle, très vraisemblablement dans le but de protéger ou d'empêcher, selon les circonstances, les communications d'une rive à l'autre.
Elle fut désignée sous le nom de la Motte-Tanguy, parce que les seigneurs Tanguy du Châtel en avaient fait le siège de leur justice féodale, transféré, en 1580, dans la maison rue de la Tour, n° 20, du côté de Recouvrance, maison où se voient encore leurs armoiries sculptées au-dessus de la porte.
Comprise dans la vente que le prince de Rohan-Guémené fit au roi, en 1786, du fief du Châtel dont il était, alors propriétaire, la tour de la Motte-Tanguy fut vendue à la Révolution comme bien national et appelée la tour Cabon, du nom de son acquéreur.
Achetée, en 1802, par M. Barillé, architecte, elle a été restaurée et convertie en habitation particulière.
L'antique bastille seigneuriale des du Châtel est aujourd'hui surmontée d'un kiosque coiffé d'un chapeau chinois.
LE QUARTIER DE RECOUVRANCE
Dès le XIVe Siècle, une bourgade de pécheurs se trouvait établie sur la rive droite de la Penfeld, en face du château féodal et à l'abri de la Bastille de Quilbignon.
C'était le bourg Sainte-Catherine, ainsi appelé à cause de sa petite chapelle, très anciennement fondée par un seigneur du Châtel, sous le vocable de Sainte-Catherine d'Alexandrie.
Près de la chapelle s'élevait un hospice, où pèlerins et voyageurs trouvaient l'hospitalité.
Cette maison, qui tombait en ruines en 1473, fut reconstruite en 1515 et servit d'hôpital jusqu'à la fin du XVIIe siècle.
Le vieil hôpital de Sainte-Catherine avait un cimetière qui, plus tard, fût désigné sous le nom de Cimetière des Noyés, ayant été spécialement affecté à leur sépulture.
Il était situé dans la rue de l’Église Notre-Dame (aujourd'hui rue, de l'Église.)
Une fontaine occupe actuellement une partie de l'ancien cimetière ; elle est surmontée d'un écusson martelé et de cette inscription :
Si vestram Brestense
Sitim si consule
Lunven
Unda levat memori
Pectore munus habe
que M. Mauriès, ancien bibliothécaire-archiviste de la ville de, Brest, a ainsi traduite :
« Si ta soif, Brestois, si ta soif, grâce au maire Lunven est apaisée par cette onde,
gardes-en souvenir dans ton cœur reconnaissant. »
Sur l'emplacement de la chapelle Sainte Catherine, Ollivier du Châtel fit bâtir, au XVe siècle, une église dédiée à Notre-Dame de Recouvrance.
On venait y déposer beaucoup d'ex-veto pour l'heureux retour et la recouvrance des matelots et des navires partis en mer.
Le bourg de Sainte-Catherine prit alors le nom de Recouvrance, qu'il a toujours conservé.
En 1600, le bourg de Recouvrance, dit Ogée était beaucoup plus grand que la ville de Brest.
Voici, d'ailleurs, la configuration de Recouvrance d'après un plan de 1670 :
Le Quay, habituellement désigné sous le nom de Quai de la Fosse, parce que, près de la chapelle, dans un endroit largement découvert à marée basse, était la « Fosse où le maître calfat recevait les navires à visiter, à réparer ou à radouber ».
La rue Notre-Dame, actuellement rue de l'Église, qui prenait naissance derrière la chapelle et se terminait à l'endroit où fut bâtie l'église Saint-Sauveur, en 1678.
La petite ruelle de l'Église et son prolongement la rue du Vieux-Hôpital, maintenant petite rue de l'Église et rue Traverse de l'Église.
La rue Ros-ar-Coat qui a formé le bas de la rue Neuve.
La rue de la Fontaine, dont la partie supérieure jusqu'à la rue de la Porte, n'était pas encore bâtie.
La rue du Leuric-Bian, venelle très étroite dont une portion existe encore dans la rue du Moulin.
Enfin, les rues Haute et Basse de Toul-al-Logoden, aujourd'hui rues de la Tour et Haute de la Tour,
qui étaient « soutenues par des talus et murailles pour empêcher les accidents arrivés à toutes sortes de personnes de se rompre le col ».
Au-dessus de ces ruelles étroites, qui constituaient le bourg de Recouvrance, s'étageaient le village de Prat-ar-Cadran et sa fontaine miraculeuse, le bois de Kérébézom et le village de l'Armorique.
De la chapelle Notre-Dame, une grève s'étendait jusqu'à Ros-an-Avalou (tertre des pommiers) à présent « la Pointe ».
On rencontrait plus haut :
Les terres d'Olivier Filouze, sieur de la Nynon ;
Kérangoff, propriété de Jeanne de Kéroullas, dame de Kérango ;
en face, sur le chemin du Conquet, les métairies de Trimillot et de Prat-Ledant.
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(*) Olivier Lodel – Ollivier Lodel – Louis Delourmel
Source : Le Télégramme de Brest 7 mars 2003
Natif de Rennes en 1873, Louis Delourmel, après avoir satisfait à ses obligations militaires, devenait, en 1895, archiviste adjoint du département d'Ille-et-Vilaine.
En 1899, apprenant que le poste d'archiviste de la ville de Brest devient vacant suite à la démission du Dr Corre, il sollicite et décroche cette succession.
Jusqu'en 1939
Peu de temps après, le Dr Marion, bibliothécaire, décède.
Il brigue son remplacement et l'obtient contre la promesse d'achever l'histoire de la ville et du port commencée par P. Levot et de terminer l'inventaire du fond de l'Amirauté du Léon entamé par le Dr Corre.
Il est donc, à partir de 1900, archiviste bibliothécaire de la ville de Brest et le restera jusqu'en 1939.
Chroniqueur à « La Dépêche de Brest »
Outre ses nombreuses tâches que lui impose sa fonction, il présentera, pendant 40 ans, aux Brestois, dans les pages de la «Dépêche de Brest», sous le pseudonyme d'Olivier Lodel, de nombreuses études historiques.
En 1923, il publie « Une histoire anecdotique de Brest à travers ses rues », qui sera rééditée en 1946, sous le titre « Le vieux Brest à travers ses rues », illustrée par Pierre Péron.
Son œuvre maîtresse restera « Le Livre d'or de la ville de Brest », ouvrage inachevé mais imprimé.
Par ailleurs, il avait publié en 1909 un « Essai de bibliographie brestoise » et un « Brest pendant la Révolution ».
Conférencier remarquable
Secrétaire de la Société académique de Brest, il publie encore dans le bulletin de cette assemblée de nombreux articles et donnera aussi, lors de réunions, des conférences fort prisées.
Ses activités vaudront à Louis Delourmel, outre d'être devenu l'historien brestois, les décorations de la Légion d'honneur et des Palmes académiques.
Il disparaît le 12 juin 1944 dans sa propriété de Portsall où il s'était réfugié pour fuir les bombardements .