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1927

La visite du comte d'Artois
à Brest en 1777
par Ollivier Lodel

 

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Source : la Dépêche de Brest 10 et 17 janvier 1927

 

Las, déjà à vingt ans, de son union avec la princesse Marie-Thérèse de Savoie, fille du roi de Sardaigne, qu'il avait épousée à l'âge de seize ans et qui venait de lui donner trois enfants.

 

Las d'être le jeune roi de cette noblesse désœuvrée, libertine, qui vivait à la Cour de gaspillage et de scandale,

le comte d'Artois, frère de Louis XVI (notre futur Charles X), voulut tromper son oisiveté et, dès les premiers mois de 1777, il décida d'aller faire la fête dans quelques ports de mer.

 

Le 7 mai, la Gazette officielle annonçait que le comte d'Artois quittait Versailles pour visiter les ports de Brest et de Bordeaux.

 

Il était accompagné de son capitaine des gardes, le prince d'Hénin ;

de son premier gentilhomme, le comte de Bourbon-Buffet ;

de son premier écuyer, le marquis de Saint-Hermieu.

Le prince de Nassau, le chevalier de Coigni, le baron de Bezenval et le comte Esterhazy faisaient également partie de sa suite.

 

L'arrivée du frère du roi fut pour Brest un événement, mais aussi un gros souci pour le comte d'Orvilliers, qui avait eu à préparer la réception.

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Charles-Philippe de France, comte d'Artois,

en tenue de l'ordre du Saint-Esprit.

 

Les carrosses de la Cour ont été signalés comme devant arriver à Morlaix le 14 mai, de grand matin.

 

Mais, à Landerneau, le prince, dont en connaît l'humeur fantasque, continuera-t-il son voyage par route ou voudra-t-il descendre l'Élorn pour entrer par la rade dans le port de Brest ?

 

M. d'Orvilliers pare à ces deux éventualités.

Il fait partir le chevalier de Bausset, capitaine de vaisseau et directeur du port, avec trois canots pour Landerneau, et envoie le comte d'Hector, major de la marine, à Morlaix, pour y prendre les ordres du comte d'Artois.

 

Le temps était très mauvais, les vents contraires, et S. A. R. décide qu'elle arrivera par terre.

La nouvelle est apportée dans l'après-midi par un exprès de M. d'Hector.

 

Dès quatre heures du soir, les troupes de terre et de mer sont rangées de chaque côté de la rue de Siam, depuis la porte de Landerneau jusqu'à l'hôtel Saint-Pierre.

 

Le marquis d'Antin, brigadier des armées du roi, lieutenant du roi de la ville et du château de Brest, se tient à l'avancée à la tête de l'état-major de la place.

Le comte d'Orvilliers et le marquis de Langeron, commandant des troupes, attendent sur la demi-lune, entre les deux portes.

 

Cinq heures.

La voiture du prince, au grand trot de ses quatre chevaux de poste, s'est arrêtée devant les glacis.

Le comte d'Artois reçoit les hommages du marquis d'Antin.

Et tandis que le cortège passe les ponts-levis, toutes les batteries du Château, du port, du Fer-à-Cheval, la batterie royale et tous les vaisseaux sur rade lancent leurs salves de vingt et un coups de canon.

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Louis Guillouet,

comte d'Orvilliers

 

Arrivé devant la porte de l'hôtel du commandant de la marine, le prince descendit de voiture et traversa la cour à pied entre deux haies formées par les compagnies des gardes du pavillon, sous le commandement du chef d'escadre, le vicomte de Roquefeuil.

 

Mme la comtesse d'Orvilliers lui fut présentée au pied de l'escalier, puis, après réception des différents corps de la marine, il se retira dans son appartement, d'où il ne sortit qu'à neuf heures du soir, pour se mettre à table, en compagnie des officier; généraux qu'il avait invités.

 

Et à ce moment, surgit un incident.

 

Les ordres transmis de la Cour pour la réception du frère du roi avaient prescrit, conformément à l'usage, de confier la garde intérieure du prince, pendant son séjour dans le port, aux gardes du pavillon.

Et M. de Roquefeuil avait placé, sous ses ordres, quinze de ses jeunes officiers dans l'antichambre.

 

Or, le prince d'Hénin, en tant que capitaine des gardes de S. A. R., réclama le commandement de cette garde.

« En prenant possession de ma charge, déclara-t-il, j'ai prêté serment de ne jamais abandonner la personne du prince lorsque je serai de service auprès de lui.

« Si M. de Roquefeuil ne cède pas, je ferai établir une garde intérieure par la maréchaussée. »

 

Après une discussion orageuse, mais pour conserver aux gardes du pavillon amiral le privilège exclusif de se tenir auprès de la famille royale, M. de Roquefeuil mit un terme à ce conflit en sacrifiant ses prérogatives.

 

Toutefois, pour prévenir le retour de cet empiétement qui pouvait se reproduire lors du voyage que le prince projetait de faire à Toulon, il en fut référé au roi, qui décida que la garde dans les ports des membres de la famille royale continuerait d’être confiée aux compagnies des gardes du pavillon et à leur officiers, qui prendraient l’ordre directement des princes.

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Le Conquérant

 

Le lendemain 15 mai, le comte d'Artois arrivait à neuf heures dans l'arsenal par la porte Tourville et la batterie royale le saluait d'une salve de vingt et un coups de canon.

 

Le prince se fit expliquer le mécanisme de l'écluse du bassin de Troulan, dans lequel on radoubait le vaisseau de 74 canons, le Conquérant.

 

Puis il alla visiter l'Académie royale de marine (bibliothèque actuelle du port), fondée à Brest depuis 1752 et qui comptait parmi ses soixante membres :

Les directeurs des fortifications de Bretagne Frézier et Duhamel du Monceau ;

les chefs d'escadre Bigot de Morogues, d'Orvilliers et de Bory ;

les ingénieurs Bellin et Choquet de Lindu ;

les astronomes Pingré, de Lalande, abbé Rochon ;

les médecins Poissonnier-Desperrières et Courcelles ;

le lieutenant de vaisseau, chevalier de Borda...

 

L'après-midi, après avoir dîné chez le commandant de la marine, il parcourut les divers ateliers et magasins du côté de Recouvrance.

Et, comme le temps était beau, la mer très calme, il s'embarqua à la cale du Fer-à-Cheval pour se promener en rade et louvoyer autour de l'escadre commandée par le comte Duchaffault.

 

À six heures, le comte d'Artois vint au théâtre, où l'on jouait la Métromanie, de Piron,

et l'Ami de la Maison, opéra-comique, de Grétry.

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L'ami de la maison.jpg

 

Toutes les loges avaient été prises d'assaut par les dames, curieuses de voir le frère du roi.

 

Le comte d'Artois, qui menait à Paris une vie si dissipée, qui venait de se rencontrer en un duel retentissant — mais peu dangereux — avec le duc de Bourbon, dont la femme avait été l'objet de son impertinence au bal de l'Opéra ;

le frère du roi, qui, disaient les méchantes langues, avait une grande intimité avec sa belle-sœur, la reine Marie-Antoinette...

 

Le prince quitta le spectacle après la comédie, et délaissant les graves autorités maritimes, alla souper joyeusement à Recouvrance chez le vicomte de Laval, colonel du régiment d'Auvergne.

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Le comte d’Artois,

huile sur toile de Henri-Pierre Danloux

vers 1796

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Source : la Dépêche de Brest 17 janvier 1927

 

 

Le jeune comte d'Artois consacra sa deuxième journée à la visite de l'arsenal, et le matin, on le fit assister à toutes les opérations préliminaires du carénage du vaisseau l'Actif ;

l'abatage du navire sur le côté, l'allumage des copeaux et fagots de genêts et le chauffage pour nettoyer la coque et brûler l'enduit gras qui le recouvre.

 

Le prince déjeuna sur le radeau de la carène.

 

Après dîner, chez le marquis de Longeron, il retourna dans le port et monta à bord de la Bretagne, vaisseau de 110 canons, nouvellement refondu et prêt à être armé.

Puis il vit chauffer le Dauphin-Royal, de 70 canons, dans la forme de Pontaniou.

 

Et le soir, à six heures, il retourna au théâtre.

Le spectacle était commencé et, quand il arriva dans sa loge, toute l'assistance se leva et applaudit, tandis que le prince faisait trois révérences.

 

Ce fut ensuite le souper à Recouvrance chez le vicomte de Laval, où tous les gentilshommes de la suite avaient été conviés.

 

Vers onze heures, à la fin du repas, Son Altesse, « prétexte quelque besoin et sort en disant qu’Elle allait revenir ».

 

Il était plus de minuit, Son Altesse n'était pas rentrée.

On s'inquiète, surtout le prince d'Hénin, chargé par le roi de la garde du prince.

Et tous les gentilshommes de descendre sur le quai de la Fosse, à la cale du passage, pour retourner à Brest et retrouver sans doute le comte d'Artois dans ses appartements de l'hôtel Saint-Pierre.

 

Mais princes et marquis se heurtent à une consigne formelle.

Son Altesse a traversé et a donné l'ordre à l'officier commandant la chaloupe ne ne laisser passer aucun personnage de sa suite avant le lendemain huit heures.

 

La suite dut se résigner et regagner le logis de M. de Laval qui, au courant de la fugue du prince, s’était mis au lit, laissant ses hôtes attendre le jour en jouant au billard.

 

Quant au comte d’Artois, la chronique ne dit pas où il passa la nuit, mais ce ne fut sûrement pas à l’hôtel Saint-Pierre.

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Le Bizarre

 

Le lendemain, à dix heures, le prince embarquait devant le Fer-à-Cheval à bord de la frégate le Bizarre, de 64 canons, commandée par M. de Monteclerc, capitaine de vaisseau.

 

Le pavillon blanc chargé de l'écusson de France était hissé au grand-mât, salué de 21 coups de canons par les bâtiments de l’escadre qui, au même instant, firent flotter tous leurs pavillons de pavois.

 

Le Bizarre courut quelques bords en rade, puis accosta le Magnifique, vaisseau-amiral, où M. du Chaffault, chef d’escadre, lui offrit à diner.

 

Et, à trois heures, un pavillon rouge au grand-mât du Magnifique donna le signal d’un simulacre de combat, auquel le prince pris un vif intérêt.

Ce fut d'ailleurs un splendide spectacle.

Tandis que les frégates l'Inconstante et l'Oiseau, de 32 canons, et les lougres Chasseur et Coureur se battaient sous voile, quatre gros vaisseaux se battaient à l’ancre.

Le Réfléchi (commandant de Baraudin) s'était embossé par le travers du Protée (commandant comte de Cherisey) et l’Éveillé (commandant du Maitz de Goimpy) vis-à-vis le Rolland (commandant Duplessis-Parscaut).

Pendant ce combat simulé, où les quatre vaisseaux échangèrent un feu très vif d'artillerie et de mousqueterie, le Protée et le Rolland, qui devaient paraître vaincus, amenèrent leurs mâts de perroquets, mirent leurs vergues en pantenne, se dégréèrent et finirent par amener leurs pavillons et leurs flammes.

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Louis Charles du Chaffault de Besné Huile sur toile de Jean-Pierre Franque.jpg

Louis Charles du Chaffault de Besné

Huile sur toile

de Jean-Pierre Franque

 

Le soir, il y eut grand bal paré au théâtre.

Le prince y vint à minuit et dansa beaucoup avec les femmes des officiers de marine.

Mais cette soirée très brillante ne se passa pas sans querelles.

Un officier de la garnison, se sentant poussé par un bourgeois, l'invective.

Ils sortent et l'officier est tué d'un coup d'épée.

 

Le confiseur La Sozay était au bal avec sa femme et l’épouse du perruquier Halé.

Un officier de marine voulut à plusieurs reprises embrasser Mme Halé.

Pour ne pas faire un esclandre, ces dames se retirèrent

 

La Sozay porta plainte le lendemain au commandant de la marine, qui mit l'officier aux arrêts.

 

Le lendemain 18 mai était le dimanche de la Pentecôte.

 

Le comte d'Artois passa le matin la revue des troupes de la marine sur la place des casernes.

Puis après avoir entendu une messe basse à Saint-Louis, dite par l’évêque de Saint-Pol de Léon, il se rendit au Champ-de-Bataille à la parade militaire de onze heures.

 

Un déserteur, condamné par le conseil de guerre, passait ce jour-là devant les troupes peur être ensuite envoyé au bagne.

On l'amena dans ses habits de forçat devant le prince.

Le condamné se jeta à ses genoux et le prince fit suspendre l'exécution de la sentence en promettant d'obtenir sa grâce.

 

Le comte d’Artois alla dîner à l’Intendance chez M. de la Porte, puis visita les salles d’études des gardes de la marine précédemment installées dans l'ancien séminaire des Jésuites et qui avaient été transportées dans un des pavillons de la manufacture de toiles à voile, à côté de la porte de la cour du bagne.

 

Il assista sur les glacis du Château à un exercice à feu du régiment d'Auvergne, se rendit au spectacle et, comme d'habitude, alla souper à Recouvrance chez M. de Laval.

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Régiment d'Auvergne - 1772.jpg

 

Le prince ne devait rester à Brest que quatre jours et aurait dû partir dans la matinée du 19 mai, mais il s'amusait tant qu'il remit son départ au lendemain.

 

Il passa sa dernière journée en rade et dans le port.

Diner à bord du Bien-Aimé, vaisseau de 74 canons, commandé par M. de Bougainville, où il assista au repas de l'équipage.

 

Et les matelots s'étant mis à danser sur le gaillard d'avant, il prit part, lui aussi, à une gavotte bretonne.

 

Dans l'après-midi, il se fit débarquer à l'anse Garin, près du Portzic.

Là, il monta à cheval et, après avoir visité les batteries du fort, il alla, sous la conduite de M. de Langeron, examiner les travaux qui s'exécutaient depuis le Portzic jusqu'à Penfeld pour la défense du côté de Recouvrance.

 

Il ne manqua pas le soir de se rendre à la comédie, puis, après avoir soupé à Recouvrance il assista, à 11 heures, du haut des fortifications, à l'illumination de tous les vaisseaux de l'escadre qui, jusqu'à minuit, lancèrent des fusées, tandis que du Château on tirait des bombes pleines d’artifices.

 

Enfin, le 20 mai, à neuf heures du matin, le comte d’Artois quittait l’hôtel Saint-Pierre et après avoir déjeuné à bord du bâtiment-amiral, il partit dans son canot pour Landerneau, salué par des salves d’artillerie de tous les canons de la place et de la marine.

 

Reçu sur la cale de Landerneau par les officiers municipaux qui le haranguèrent devant le régiment de Chartres, infanterie en garnison dans la ville, le prince monta immédiatement en voiture et les équipages s’en allèrent par la route de Lorient.

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Landerneau en 1776

 

La visite du comte d’Artois laissa à Brest, dans les milieux maritimes, une fâcheuse impression.

 

À part MM. D’Orvilliers, du Caffault et de Bougainville, qui seuls furent invités à sa table, il fit peu d'accueil aux officiers de marine.

Par contre, tous les soirs, à Recouvrance, c'étaient, en compagnie des colonels de la garnison, de joyeux soupers chez le vicomte de Laval.

 

Mais, on le sait, notre futur Charles X avait à peine vingt ans et il avait été si mal éduqué !

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Portrait du roi Charles X,

représenté en tenue de sacre par François Gérard

(1825)

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