1936
Quimper 35
par François Ménez
Source : La Dépêche de Brest 27 janvier 1936
J'ai revu Quimper au dernier mois de septembre.
C'était dans la première décade de ce mois, déjà automnal, mais les jours étaient encore particulièrement lumineux.
Et il m'a paru que le mouvement n'était point le même, « sur le Parc » ou dans le voisinage de Saint-Corentin que l'année d'avant où, à peu près à pareille époque, j'y avais rencontré Quillivic.
C'était cependant un soir, entre cinq et six, à l'heure apéritive où Quimper a le plus d'attrait et de vie.
Les cars, rentraient, venant des divers points de l'horizon cornouaillais, mais moins complets, m'a-t-il semblé, qu'au temps encore tout récent où ils jetaient, alentour des hôtels, un brouhaha joyeux.
Les terrasses étaient moins garnies, et le café même de l'Épée, quoique s'ouvrant sur l'avenue par de belles arcades, au goût nouveau, mais d'un charme moins intime, s'était vu déserter, ce soir-là, par les vieux habitués à guêtres grises qu'on avait coutume d'y rencontrer entre six et sept heures.
— Ils sont bien moins réguliers, me dit le garçon de café, au sourire si cordial (non point celui qui, selon André Salmon, ressemble à Paul Valéry).
Ils ont pris la mauvaise habitude, quand le temps s'y prête, d'aller jouer aux boules chez M. Le Moing, sur la route de Fouesnant...
Manifestement, Quimper souffrait de la crise.
— La crise, m'a dit, avec un hochement de tête attristé, le passeur de Loc-Maria, en me débarquant au Cap Horn, dans l'ombre d'un cargo de Swansea, assombri de fumée de charbon.
Les faïenceries ne marchent qu'au ralenti.
J'ai connu le temps où je transbordais, vers le coup de midi, puis de six heures, plus de cent faïenciers.
Maintenant, dix-huit, vingt, vingt-cinq au plus.
La « mouise », vous dis-je.
— La crise, m'ont répété la bonne vieille Mme Jacob, toujours plus vive, sur son banc d'osier, et sa fille, Mlle Delphine.
Où sont les belles années de terre promise ?
Les étrangers ne passent plus.
Ou bien ils chipotent sans rien acheter; ils lésinent...
Et pourtant, une belle gouache de Max, figurant un pignon de vieille maison d'Aubervilliers, sous un puzzle de débris d'affiches, jetait son éclat d'arc-en-ciel entre un retable de chapelle, mangé des vers, et un plastron aux broderies fanées.
Et Max lui-même avait déserté cette Cornouaille de crise et faisait des conférences sur le Talmud et les secrets de la Bible, quelque part, en Suisse romande.
Était-ce l'effet de cette tristesse des temps ?
Mais Quimper, sous la lumière cependant si douce de septembre, propre à faire valoir ses teintes estompées, ses murs et ses toits d'argent gris, ne me paraissait pas avoir un charme aussi précieux que dans les premières années où j'avais eu le privilège d'y vivre.
Je le revoyais tel que dans ces années 20, demeuré, selon Le Braz, presque aussi paysan que citadin, plein, une fois l'œuvre de répurgation accomplie, des bonnes odeurs des crêpes, de la mer et des bois qui l'enserraient.
Maintenant, de grands changements se sont produits :
De quelque côté qu'on l'aborde, la féerie n'est plus la même.
Des quartiers neufs se sont construits, là où le Frugy prolongeait ses frondaisons, ou au débouché des routes de Locronan, de Châteaulin et de Concarneau.
Loc-Maria a perdu son parfum de petite ville dévote ; le pic des démolisseurs a eu raison des vieux logis.
Les allées de l'ancienne rabine n'ont plus leurs bordures de tilleuls, qu'ont remplacés des arbustes étiques.
Au débouché des bois de Quistinic, qui gardent heureusement leur splendeur, le Moulin-Vert est dépouillé de sa verdure.
Les plus beaux arbres, qui masquaient si poétiquement le manoir du Parc, ont disparu autour de Trohéir, où l'odeur de l'essence raffinée risque de supplanter l'arôme des foins.
Le faubourg si joliment dénommé de l'Eau-Blanche, a pris la banalité des banlieues industrielles.
Le charmant Kergoat-aI-Lez, prosaïquement loti et construit, n'a rien gardé de sa toison verte.
Le Braz, revenant des Champs-Elyséens bretons dans son Feunteunic-al-Lez, au nom de légende, risquerait de ne plus s'y reconnaître.
Et il déplorerait, dans la rue Keréon, que l'on n'a même pas entièrement préservée, l'invasion des devantures trop criardes et des enseignes modernes.
Les bords de l'Odet même, dans sa traversée radieuse de la ville, depuis le pont Firmin jusqu'au Moulin des Couleurs, sur l'emplacement duquel le ciment armé a fait des siennes, n'offrent plus, au même degré qu'il y a dix ans, ce charme où s'alliait la poésie des fleurs, des lierres, des branches en cascade et de l'eau vive.
Aussi surprenant que cela paraisse, les passerelles qui menaient, par-delà la rivière, aux jardins pleins da camélias et de roses et qui faisaient, à l'entrée de la ville, un décor presque japonais, les passerelles qui offraient comme refuge leur grêle armature aux oiseaux de mer annonciateurs de tempêtes, risquent à leur tour de disparaître.
Les premières ont déjà disparu.
— On n'empêchera point les Quimpérois de les supprimer toutes, me disait, chez un des faïenciers de Quimper,
M. Bourde de la Rogerie, l'éminent archiviste qui précéda, rue du Palais, M. Henri Waquet et qu'un congrès d'archéologues ramenait dans la vieille ville de Cornouaille, qu'il n'a pas cessé d'aimer.
Ils n'ont manifesté autant de persévérance, de ténacité dans la réalisation d'aucun autre projet.
Le rêve qu'ils ont de tout temps caressé, et auquel ils renoncent moins que jamais, c'est de constituer, sur la rive gauche de l'Odet, dans la traversée de Quimper, un boulevard, une promenade sans solution de continuité et qui, du Champ-de-Bataille au théâtre, ferait pendant au Parc et au boulevard de Kerguélen.
Ainsi, le Quimpérois, le dimanche, ayant arpenté, suivant une tradition vieille comme la ville, la rive droite, jusqu'au Cap Horn, pourrait s'en revenir, du même pas, par la rive gauche, en suivant une direction inverse.
Ses vœux seraient ainsi comblés.
Suivez, d'une décade à l'autre, de l'une à l'autre municipalité, la réalisation de ce dessein.
Souhaitons cependant que cette réalisation, aussi intéressante qu'à certains égards elle puisse paraître, ne porte point atteinte, d'une façon irrémédiable, à la poésie du vieux Quimper, tant appréciée des touristes que chaque été ramène chez nous par milliers.
L'héritage de M. Le Hars, qui eut le mérite de beaucoup aimer sa ville et d'en goûter la véritable beauté, est d'ailleurs en de bonnes mains.
Des hommes comme Prosper Gautier et Savina, à la fois sages et artistes, ne peuvent manquer de garder à Quimper le caractère pittoresque qui en fait une des petites villes les plus charmantes de l'Occident. ,