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1937

Le dernier cochon sauvage
dans le Finistère aurait vécu

 

Landerneau - Les sangliers.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 24 & 25 mai 1937

 

Il y a quelques jours, on signalait la présence sur le territoire de la commune de La Martyre, à 8 kilomètres de Landerneau, d'un sanglier aperçu par un cantonnier, traversant un champ bordant la route nationale.

 

Immédiatement, des chasseurs des environs furent appelés pour effectuer une battue, mais toutes les recherches faites pour découvrir le porc sauvage à l'endroit indiqué, restèrent vaines.

Cependant, après un examen attentif du chemin parcouru par l'animal, on releva un pied.

Hélas ! C'était celui d'un grand chien, et après avoir interrogé des paysans, on apprit bientôt qu'un chien roux, à l'arrière-train bas, ressemblant à un loup et non à un sanglier, circulait en liberté dans les campagnes environnantes depuis plusieurs semaines et c'était certainement ce chien que le brave cantonnier avait pris pour un cochon sauvage.

 

La nouvelle de la découverte d'un vieux solitaire dans la région avait fait certainement battre fortement plus d'un cœur de vrais chasseurs, car depuis de bien longs mois cet animal a disparu du pays et dans aucune des forêts finistériennes, il ne semble plus exister de sangliers ;

ils ont disparu du département du Finistère, on les a trop chassés, sans ménager les laies, aussi il n'en reste plus.

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Cette histoire de cochon sauvage nous rappelle ce qu'écrivait il y a environ 25 ans, M. Th. Janvrais (1), dans une importante revue cynégétique, au sujet des sangliers dans le Finistère et où il signalait aussi l'existence d'un curieux monument élevé près de Huelgoat à la mémoire d'un grand veneur, fait qui intéressera certainement non seulement les chasseurs, mais aussi bon nombre de touristes et de promeneurs dominicaux, qui se rendent dans ce coin unique de notre département, à la recherche de quelques curiosités locales.

 

L'histoire de ce monument est aujourd'hui oubliée dans la région et son existence est même peu connue dans le pays, aussi nous pensons qu'elle intéressera les lecteurs du journal et nous la reproduisons.

 

Jadis, le pittoresque et vaste bassin du petit fleuve côtier breton l'Aulne, resserré par les collines giboyeuses et sauvages de l'Arres et des Montagnes Noires, sur les confins du Morbihan, des Côtes-du-Nord et du Finistère, était couvert et entouré de nombreux bois taillis et de belles forêts de haute futaie.

De superbes lambeaux subsistent toujours :

Les forêts de Duault et de Coat-Tréau, celles de Conveau et du Huelgoat, les bois de Kerjean, de Toulaëron, du Laz, des Salles, du Hellas, de Lemézec, du Beurc'hoat, etc.

Tous étaient abondamment peuplés de lièvres, de lapins, de renards, de chevreuils et surtout de loups et de sangliers, sans compter d'excellents gibiers de plaine.

 

C'est pourquoi en l'an III de la grande Révolution, l'on payait jusqu'à 200 livres la destruction d'un loup et, dans les vieilles archives de ce pays, j'ai vu qu'un jour de cette même époque, le directeur du district de Carhaix paya à Louis Jourdan, modeste cultivateur de la commune de Plounézével, la somme de 420 livres, pour avoir tué une louve pleine.

Il devait en être de même pour les sangliers, aussi nombreux que les loups en Cornouaille.

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Chasse aux loups 2.jpg

 

Alors, comme aussi par la suite, s'organisaient de grandes chasses, de remarquables battues très en renom dans le pays armoricain, les meilleurs fusils d'Angleterre et d'Écosse et d'ailleurs y venaient même participer, grâce à l'aménité et à la splendide hospitalité des lieutenants de louveterie de ces régions giboyeuses.

Un grand chasseur britannique, le révérend R.-W. Dawiez, nous en a laissé d'ailleurs de captivantes descriptions, qui ont paru en France d'après la traduction du comte René de Beaumont « Chasse aux loups et aux sangliers en Basse-Bretagne ».

Le rôle de M. de Saint-Prix, le grand veneur, qui en était l'infatigable et habile organisateur sous le second empire, y est merveilleusement mis en relief.

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17 octobre 1912 - Chasse aux loups.jpg

 

Presque un demi-siècle auparavant, un autre grand chasseur, aussi son prédécesseur comme lieutenant de louveterie, dans ce même et joli pays du Huelgoat, tant visité des touristes, faisait également merveille.

Il est même fort regrettable que l'on n'ait pas consigné en d'intéressants mémoires, toutes ces prouesses cynégétiques, ainsi que celles de ses compagnons de chasse.

C'est l'un de ses exploits que nous allons relater, d'autant plus qu'il fit alors beaucoup de bruit en Bretagne et qu'il fut la cause de l'élévation du monument dont nous voulons parler.

Présentons d'abord celui qui en fut le héros.

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Dès l'an II de la première République, le citoyen François-Charles Blacque (2), nous apprend un document inédit du temps, était l'un des principaux propriétaires des riches mines de plomb argentifère du Huelgoat et de Poullaouen.

La Convention nationalisa un moment ces souterraines exploitations qu'anathémisait un peu plus tard le poète Brizeux en ces vers :

 

Sur notre vieux pays malheur, quand ses collines

Partout retentiront du fracas des machines...

 

Mais la régie révolutionnaire n'ayant pas eu de succès, les mines argentifères furent rendues, peu de temps après, à M. Blacque-Belair et à ses associés concessionnaires.

Celui-ci les a gérées pendant plus de quarante ans, tout en devenant député français, sur ses vieux jours.

 

C'était un galant et charmant homme qui, si je m'en rapporte à une tradition locale, s'occupait plus de ses chasses que de ses mines.

Il passait la grande partie de l'année dans ce coin de la Cornouaille bretonne, si giboyeuse comme nous l'avons dit.

Homme de cheval émérite — et ses descendants aussi — il était encore un remarquable veneur possédant un superbe « van-trait », bien connu de toute la région.

Sa passion était la chasse au sanglier, dont il s'était fait un solide renom parmi tous les veneurs de l'Ouest.

 

Cependant, c'est l'une de ces belles battues au sanglier qui faillit un jour lui coûter la vie, mettant ainsi en défaut la vieille parole de Gaston Phoebus :

« Doncques bon veneur aura en ce monde liesse et déduit, et en l'autre le paradis ».

 

Voici donc ce qui arriva, l'un des derniers jours de l'automne de l'année 1821, au zélé et habile lieutenant de louveterie Blacque de Belair, dans une grande chasse au sanglier.

 

Alors que ses compagnons s'étaient dispersés dans tous les bois environnants, M. Blacque s'était mis à l'affût sur la plus haute colline, près d'un gros hêtre du bois broussailleux du Beurc'hoat — bois de la Vache — d'où il pouvait en même temps surveiller toute la battue, car de ce magnifique coteau l'on domine toute la pittoresque vallée du Hellas et les flancs des taillis et futaies qui en garnissent les revers.

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Sanglier 02.jpg

 

Soudain, un vieux solitaire, fuyant ou craignant sans doute la poursuite d'une meute, sortit brusquement du fourré voisin et chargea furieusement le veneur embusqué.

Surpris par cette vive attaque, M. Blacque fut vite jeté à terre et fortement piétiné par l'énorme sanglier, qui s'acharnait encore à lui déchirer les cuisses avec ses redoutables crocs.

Tombé auprès du tronc de l'arbre et quoique étendu presque sur le dos par son terrible adversaire, l'habile et vaillant chasseur ne perdit pas son sang-froid, il put relever, de sa main droite, le canon de sa carabine et viser la bête à bout portant dans l'oreille, la tuant net.

C'était un coup de maître et son propre salut.

 

Malgré de profondes et graves blessures et quoique perdant beaucoup de sang, ce qui l'affaiblissait de plus en plus, le courageux veneur fit un suprême effort, prit son cor et « sonna la mort ».

 

« C'est M. Blacque-Belair qui sonne, dit son vieux piqueur aux chasseurs près de qui il se trouvait sur l'autre versant.

Mais ce n'est pas son coup de langue habituel...

Il doit y avoir sûrement quelque chose ! »

 

On accourut vers le plateau du Beurc'hoat et l'on trouva l'intrépide chasseur évanoui, ne donnant plus signe de vie et tout baigné dans son sang, avec un énorme sanglier couché en travers sur lui, mais mort.

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Sanglier 01.jpg

 

M. Blacque survécut.

C'est en souvenir de ce tragique accident de chasse que ses amis et admirateurs firent ériger, sur les lieux mêmes, le monument qui en perpétue actuellement le souvenir et qui n'est guère connu que des chasseurs qui louent ces grands bois de l'État ou de quelques braconniers de Ia contrée.

 

C'est un monolithe quadrangulaire en beau granit du Huelgoat, d'une hauteur d'environ trois mètres hors de terre.

Il est planté sur le plateau, en plein taillis, au milieu d'un bouquet de gros hêtres laissés là tout exprès pour l'ombrager délicieusement.

Sur la face nord est un petit médaillon de bronze, assez peu artistique et presque effacé, incrusté dans la pierre taillée :

Il donne en un maigre relief la reproduction de la scène de chasse que nous venons de conter.

 

On voit en effet un chasseur renversé, à demi-couché sur le côté droit et appuyé à un gros tronc d'arbre.

Il est tête nue et l'on aperçoit sa casquette de veneur tombée dans l'herbe derrière lui.

Un formidable sanglier est planté sur ses jambes, en train de lui labourer les cuisses à belles dents, tandis que sa victime tient le canon de son fusil de la main droite et lui en décharge le coup dans l'oreille gauche.

Sur le bronze, on lit cette date mémorable : 21 septembre 1821.

 

Mais aucun nom ne vient dire au passant de ces lieux peu fréquentés, en l'honneur de quel héros de chasse fut érigé ce menhir. (3)

Les rares habitants qui le connaissent et au pied duquel l'un d'eux m'a obligeamment conduit, disent que c'est la colonne de M. Blacque et croient, à tort, qu'il repose lui-même sous cette grande pierre quadrangulaire.

 

Nous sommes heureux de signaler ce monument inconnu et oublié, non seulement à tous les chasseurs français, mais aussi aux nombreux touristes qui viennent chaque année excursionner dans le pays du Huelgoat.

 

Souhaitons que les intéressants détails que nous avons pu donner concernant l'histoire de ce curieux monolithe de la région finistérienne, grâce à M. Th. Janvrais, rappellent aux très nombreux disciples de Saint-Hubert que, dans notre contrée surtout, la chasse a eu ses héros et ses victimes, desquels on ne parle jamais.

 

Pourtant ce sport, peut-être le plus complet de tous, devrait avoir aussi, il semble, ses granits, ses marbres, ses plaques, ses monuments commémoratifs, comme tant d'autres aujourd'hui en vogue, automobile, cyclisme, football, aviation, etc.

 

Hélas, il est peut-être un peu tard pour en parler, car les belles et grandes chasses d'antan, souvent périlleuses, ont disparu, il n'en reste que des rappels de plus en plus éloignés, adressés à tous ceux qui aiment la nature avec ses bois, ses champs, et dans notre Bretagne ses ajoncs et ses genêts d'or, et, comme consolation cependant, la petite chasse bien démocratique, parfois intéressante, lorsqu'elle ne s'effectue pas trop fréquemment sur des terrains complètement, ou à peu près, vierges de gibier.

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(1) Théophile Janvrais est le pseudonyme de Pierre Ambroise Théophile Pélicot, également connu sous le pseudonyme de René d’Ys.

Il est né à Montours le 20 novembre 1865.

Il décède probablement à Pléneuf avant 1949.

Entre 1885 et 1889, il est instituteur à Bruz.

En 1895, il est domicilié à Plénée-Jugon.

En 1902, il publie Nos marins-pêcheurs : leur alcoolisme ; Les abris du marin, Paris, A. Challamel, 24 p.

Il est répertorié comme homme de lettre à Rostrenen en 1905, même si ces adresses officielles sont le manoir Les Trois-Vergers à Montours et 11 rue Louis-le-grand à Paris.

 

(2) François-Charles Blacque-Belair (17 avril 1781, Paris - 20 avril 1860, Paris), est un banquier et homme politique français.

Fils de Jean-Jacques Blacque, sieur de Belair, conseiller du roi, notaire au Châtelet et échevin de Paris, et de Catherine Victoire de Varenne, il était lieutenant de vénerie, banquier et maître de forges.

Propriétaire et maire de Poullaouen de 1821 à 1836, il se déclara en faveur de la révolution de juillet 1830, qui le fit conseiller général et député.

Blacque de Belair fut élu à la Chambre, le 21 octobre, par le 3e arrondissement du Finistère (Châteaulin), et réélu le 5 juillet 1831.

Son mandat lui ayant été successivement renouvelé aux élections des 21 juin 1834 et le 4 novembre 1837, Blacque-Belair continua de voter presque toujours avec l'opposition libérale.

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(3) Article du Télégramme de Brest 7 décembre 2008

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Une stèle, dans la forêt du Beurc'hoat, rappelle un événement qui a marqué les esprits.

Un beau jour de septembre 1821, le lieutenant de louveterie François-Charles Blacque Bel Air chasse dans la forêt du Beurc'hoat.

Soudain, la partie de chasse tourne au drame. Un sanglier de belle taille se fâche et le charge.

Maire et député

Jeté à terre et piétiné par l'animal furieux, faisant preuve d'un grand sang-froid, il réussit à relever le canon de son fusil et à tuer, à bout portant, le sanglier. Blessé, il sonne dans son cor de chasse pour qu'une bonne âme vienne le secourir.

Ayant survécu à l'aventure, l'ingénieur des mines devient ensuite maire de Poullaouen de 1821 à 1836 et député de l'arrondissement de Châteaulin.

Une signalétique

Une plaque représentant un chasseur enfonçant son fusil dans la gueule d'un sanglier orne la stèle de granit. La moitié de la plaque a été détériorée.

Désirant valoriser le petit patrimoine chargé d'histoire situé sur son territoire, la communauté de communes a fait réaliser, par l'entreprise Thermo Tech, un panneau retraçant l'événement et portant la même illustration que la plaque.

Ce dernier a été installé récemment sur la stèle par les employés communautaires Arnaud Picardet et Loïc Autret.

Il restera à mettre en place une signalétique pour indiquer cette curiosité aux promeneurs.

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Source : Le Télégramme de Brest 11 janvier 2004

 

M. Primel a, pendant de nombreuses années, servi de guide pour accéder à cette stèle que nul pancarte n'indique et seuls ceux connaissant les lieux peuvent retrouver.

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Source : Le Télégramme de Brest 2 février 2022

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