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1937

La fabrication des cartes à jouer
au XVIII siècle
à Brest et Morlaix

 

1937 - La fabrication des cartes à jouer au XVIIIe siècle à Brest et Morlaix.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 16 avril 1937

 

Avant 1720, la fabrication des cartes à jouer était une industrie à peu près inexistante en Bretagne, mais dès 1750 on compte dix centres de fabrication de la carte :

Rennes, Nantes, Brest, Lorient, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Hennebont, Morlaix, Vannes et Quimper.

 

Les artisans avaient profité de la liberté qui était accordée à tout venant d'exercer ce métier et le nombre des fabricants avait augmenté très rapidement.

La seule condition requise pour avoir le droit de fabriquer des cartes était de demander une autorisation

de « tenir boutique et ouvroir ouvert » aux magistrats municipaux, et cette formalité était accompagnée de la promesse de se conformer aux règlements de police et de payer les droits de ville fixés pour l'ouverture d'une boutique.

 

Puis en novembre 1751, une nouvelle réglementation de la corporation interdit sévèrement la fabrication des jeux à Saint-Brieuc, Vannes, Hennebont, Quimper et Saint-Malo.

Mais Brest et Morlaix font partie des cinq villes bretonnes qui ont conservé le droit de se livrer à la fabrication de la carte à jouer.

 

Les cartiers brestois et morlaisiens n'eurent jamais lieu de se féliciter outre mesure, d'ailleurs, de la faveur qui leur avait été accordée, car l'industrie de la carte ne fut jamais bien florissante dans ces deux villes.

Ils vendaient surtout des jeux d'allumette aux marins de passage, et ils en faisaient un peu l'exportation aux colonies.

Mais le commerce de la carte ne les faisait vivre que bien médiocrement, et un mémoire sur la direction de la Régie, daté de janvier 1784, nous apprend pourquoi cette industrie était si peu active à Brest :

« Cette partie a fait des progrès sensibles pendant la guerre par le concours d’étrangers qu'il y a eu à Brest et les enlèvements pour les colonies, seul débouché qu'ait le fabricant.

Il fournit peu aux débitants des endroits voisins.

Cette branche éprouve depuis la paix des diminutions sensibles pour plusieurs motifs :

Il rentre successivement des vaisseaux dans le port, sur lesquels il reste des cartes de provision qui sont débarquées pour le compte de différents officiers qui, non seulement les consomment chez eux, mais même les cèdent à leurs connaissances.

Voilà, sans doute, le gendre d’abus le plus dangereux, le plus commun et le plus difficile à détruire.

Il est encore essentiel de s'assurer l’embarquement des cartes destinées pour les colonies, parce qu'il serait possible que la fabricante usât de ce moyen pour se soustraire aux droits ;

il lui serait facile de faire des enlèvements simulés et d'en former un entrepôt et ensuite de distribuer des cartes en ville.

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La vente des cartes recoupées et surtout réassorties pourrait également nuire à cette branche si la suite en négligée.

 

J’observerai que cette vente n'aurait lieu que pour les gens du commun et serait par cette raison moins dangereuse ; la consommation opérée par cette classe est de bien peu d'objet.

 

La veuve Ammé, seule fabricante de cette ville, parait honnête dans son commerce et je ne présume  pas qu'elle se livre à aucun genre d'abus ;

son débit est proportionné aux circonstances.

Brest se dégarnit chaque jour ;

il y a maintenant peu d'étrangers, les académies sont désertes.

Conséquemment, il est impossible que cette branche puisse se soutenir sur ces comparaisons.

Elle doit naturellement éprouver des diminutions successives jusqu'à ce que cette ville soir au degré où elle était avant la guerre.

En 1781 les produits du droit se sont élevés à 10.000 livres. »

 

On voit par ces lignes dans quel état se trouvait l'industrie de la carte à Brest en 1784 puisqu’il ne restait plus même qu’une seule « fabriquante » dans la ville à cette époque.

Cependant d'autres cartiers devaient s'établir à nouveau peu après, mais sans plus de succès et, en l’an VII, ils subissent le droit du timbre, contre lequel ils protestent et menace de les ruiner complètement.

À Morlaix, la fabrication de la carte n’était pas plus prospère et en 1750 il n’y avait qu’un seul cartier dans la ville.

L’année  suivante, tous ceux qui s'étaient établis à Quimper et qui avaient été frappés par l’interdiction d'exercer dans cette ville vinrent ouvrir boutique à Morlaix

Et l’industrie de la carte devint un peu plus active à partir de ce moment dans la ville.

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On trouve dans un mémoire de 1784 de passage relatif à Morlaix :

 

« Des trois cartiers de cette ville, il n'y en a que deux dont la fabrication soit intéressante.

Le troisième ne fait presque rien.

 

Et le mémoire ajoute même au sujet de ce cartier :

« C'est un homme sans conduite, dont les affaires sont dans le plus mauvais état.

Aucun d'eux n'est soupçonné de se livrer à la fraude. »

 

On pourrait déduire de ces renseignements que les cartiers étaient pauvres, mais qu'ils restaient toujours parfaitement honnêtes.

En réalité, ils se livraient parfois à la fraude sur une assez vaste échelle et les commis de la Régie faisaient chez eux des visites domiciliaires et des perquisitions fréquentes.

On cite même une perquisition qui fut faite dans l'église collégiale de Notre-Dame du Mur, à Morlaix, par les commis qui soupçonnaient Michel Argouach, maître cartier morlaisien, de dissimuler dans l'église les faux moules et les coins qu'il utilisait.

 

Le chanoine, M. Jo intervint à temps pour que la perquisition ne pût avoir lieu, et Michel Argouach continua tranquillement à se livrer à la contrebande des cartes.

Il ne devait pas profiter longtemps de l'impunité.

En 1754, à la suite d'une perquisition fructueuse qui fut faite chez lui, il fut condamné à 3.000 livres d'amende et, comme il était incorrigible, il alla tout simplement s'établir à Brest où ses nouveaux exploits devaient encore lui coûter 1.000 livres d'amende et la déchéance de ses droits.

 

Michel Argouach ne fut pas une exception en Bretagne, et les commis de la Régie avaient fort à faire pour découvrir les fraudeurs qui utilisaient toutes les ruses de la contrebande.

Mais n'était-il pas tentant d'être fraudeur, puisque le commerce régulier de la carte nourrissait si médiocrement les fabricants de cette époque?

 

YANN ROUSSEAU.

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