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1937

Morlaix
Imagiers d'autrefois et d'aujourd'hui

 

 

Source : La Dépêche de Brest 4 septembre 1937

 

Notre ville a le bonheur de posséder d'excellents artisans auxquels, au début de cet article, nous tenons à rendre un légitime hommage.

 

C'est à l'un de ces artisans que nous allons consacrer aujourd'hui les lignes qui vont suivre.

 

Grâce à lui, nous avons pu admirer à loisir de magnifiques statues et une cloche, dont l'authenticité n'est pas douteuse, qui proviennent de l'ancienne chapelle de Saint-Mélar, à Lanmeur, qui n'existe plus de nos jours.

 

Cet artiste que tout le monde connaît à Morlaix, puisque c'est de M. Tréauton qu'il s'agit, ne se contente pas de créer, il sait aussi collectionner et rechercher, en connaisseur, les objets d'art ancien dont la Bretagne est riche.

 

Lorsque vous entrez dans le magasin que M. Tréauton tient dans la rue Longue, vous ressentez une bien curieuse impression.

 

La pénombre qui règne en ce lieu où, de prime abord, les objets les plus hétéroclites paraissent rassemblés, vous fait apparaître tout ce qui vous entoure sous un aspect qui vous transporte à une époque que vous n'avez jamais connue, mais que votre imagination se plait à reconstituer à sa façon.

 

Le magasin de M. Tréauton tient à la fois du sanctuaire et du capharnaüm !...

 

Des saints bretons vous environnent.

Décharnés, mais néanmoins pleins de grandeur, ils semblent fixer l'intrus qui vient d'entrer et qui en éprouve quelque gêne.

 

Vous remarquez encore de jolis meubles, aux admirables sculptures, dont certains sont authentiquement anciens, tandis que d'autres sont des reproductions que l'œil exercé sait seul reconnaître.

 

Çà et là, des panneaux de pur style gothique ou renaissance, provenant de quelques vieux meubles, garnissent les parties des murs restées libres.

 

Des objets d'art de toute beauté et de toutes sortes attirent le regard.

Au bout de quelques minutes, la petite population de saints semble s'animer.

Ils ont pris contact avec l'intrus et chacun semble disposé à lui conter la légende — œuvre remarquable d'imagination — qui s'attache à son nom.

 

Vous êtes bientôt familiarisé avec ces statues qui évoquent le passé, avec ces sculptures, avec ces vieux meubles dont vous comprenez mieux la beauté.

 

M. Tréauton a chez lui plusieurs statues authentiques provenant de l'ancienne chapelle édifiée à la gloire de saint Mélar.

 

Celles de Saint-Mélar (parfois appelé Saint-Mélaire) et de Saint-Joachim qui sont les mieux conservées et les plus belles semblent avoir été exécutées par le même imagier breton.

Il convient de citer aussi, en tant qu'œuvre d'art, une splendide vierge du XVe siècle.

Quand, il y a près d'un siècle, la vieille chapelle de Saint-Mélar fut démolie, les statues qui s'y trouvaient et la cloche furent réparties chez les fermiers des environs à Lanmeur.

 

C'est là que M. Tréauton découvrit ce Saint-Mélar, en bois, haut de un mètre, qui porte un ample manteau rose recouvrant en partie une robe jaune de l'époque, un collier rose et dont la tête est coiffée de la couronne jaune de comte.

 

À côté du pied gauche du saint, l'artiste a placé le pied qu'on lui coupa, tandis que dans la main droite il tient la main qui lui fut également coupée ainsi que le veut la légende que voici :

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LA LÉGENDE DE SAINT MÉLAR

 

Vers l'an 530 régnait en Basse-Bretagne Milliau, fils de Budic.

Entouré de sa femme Haurille et de son fils Mélar, il gouvernait sagement et son peuple l'aimait.

Son frère félon Rivode, le tua traîtreusement au cours d'une grande réunion des seigneurs de Cornouaille.

 

La légende dit que par son intercession se produisirent de grands miracles.

 

Il est toujours invoqué à Ploumiliau ainsi qu'à Guimiliau.

 

Rivode s'empara du pouvoir et régna tyranniquement.

Puis, craignant qu'à sa majorité Mélar lui demande raison de la mort de son père et de l'usurpation du trône, il résolut de s'en débarrasser.

Il tenta tout d'abord de l'empoisonner mais d'un signe de croix l'enfant faisait disparaître les poisons.

Furieux de l'insuccès, Rivode arma une « compagnie de gens déterminés » pour tuer Mélar.

Devant la jeunesse et la bonté de « l'angélique adolescent », les soldats ne purent se résoudre à faire périr l'enfant.

Cependant, ayant compris que leur mission était d'évincer un rival éventuel de leur maître, ils lui tranchèrent la main droite et le pied gauche, afin qu'il lui fût pour toujours impossible de tenir une épée et de monter à cheval.

 

Sa mère lui fit faire alors un pied d'airain et une main d'argent.

Or, l'enfant grandissait et, miracle ! Les membres mutilés eux aussi grandissaient et prenaient vigueur.

Le prince Rivode, inquiet voulut en finir et, après avoir corrompu le comte Kyoltanus, un seigneur vassal, il lui ordonna le meurtre de Mélar.

L'enfant avait 9 ans.

Prévenu, miraculeusement encore, du danger, il s'était retiré chez un sien parent, le comte Budich, dans son château, près de Kerfeunteun (actuellement Lanmeur déformation de Landmélar).

 

D'après la vie des saints d'Armorique d'Albert Le Grand, Kyoltanus, aidé de son fils Justin, trompa la confiance de l'enfant et l'ayant attiré en son hôtellerie, il lui trancha la tête et la mit en un sac de cuir.

La justice divine ne se fit pas attendre car Justin se tua en sautant par la fenêtre pour s’enfuir.

 

En ce qui concerne Kyoltanus, alors qu'il contemplait les terres, prix de sa félonie,

les « yeux luy tombèrent de la teste » et il mourut misérablement.

 

Quant à Rivode, il devint furieux et enragé et mourut, le troisième jour de sa maladie, sans avoir « jouy des Estats qu'il avait tant désirés ».

 

Toutefois, l'histoire qui subsiste de génération en génération chez certaines familles, à Lanmeur, veut au contraire que saint Mélar, averti miraculeusement une nouvelle fois, du danger, se sauva dans la campagne, où il savait trouver le secours des paysans.

 

Poursuivi par les soldats, il tomba et demanda du lait.

Ce serait à cet emplacement même qu'aurait été édifiée la chapelle de Saint-Mélar dont M. Tréauton possède la cloche.

Celle-ci porte en vieux français l'inscription suivante :

« La présente cloche a été faite pour la chapelle de Saint-Melar A. C. M. »

 

On y lit la date de 1634, entourée d'une hermine et d'une fleur de lys.

Les armes des Boiséon qui y figurent sont surmontées d'une couronne et entourées d'hermines.

Cette cloche a une hauteur de 0 m. 60.

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L'IMAGIER D'AUJOURD'HUI

 

À côté de ces statues et de ces objets authentiques, nous trouvons chez M. Tréauton de magnifiques reproductions ou des œuvres entièrement conçues par lui dans le style d'autrefois.

 

« J'ai eu comme professeur à l'école primaire supérieure de Morlaix, nous dit-il, M. Philippot qui me donna de solides notions de dessin et de modelage.

 

« Je n'ai eu, depuis ma sortie de l'école, qu'à me féliciter de la qualité de son enseignement et je lui conserve toute ma reconnaissance.

 

« J’ai étudié plus tard, très sérieusement, les styles gothique et puis je me suis efforcé de travailler dans les conditions et avec l'esprit de l'imagier d'antan.

Peu à peu, j'y arrivé.

Je me suis mis « dans la peau de mon personnage », l'imagier breton, de telle sorte que je puis faire œuvre d'imagination, créer quelque chose de personnel et d'original, en respectant fidèlement le style de l'époque que j'ai choisie. »

 

Mais, il ne suffit pas de rendre la forme, il faut, pour les statues, respecter les coloris.

De plus, le travail dans la masse demande beaucoup de patience et toute sculpture doit être bien finie.

 

M. Tréauton qui s'est spécialisé dans les meubles et objets d'art anciens pourrait aussi bien faire du moderne si tel devenait son plaisir.

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Ward Canaday

 

Notre concitoyen reçoit de nombreux compte visiteurs qui viennent parfois de très loin.

 

Il est en rapport avec un Américain, M. Ward Canaday qui est un grand admirateur de la Bretagne, où il est venu à différentes reprises, et qui a entrepris de reconstituer à Toledo (Ohio) tout un village breton avec un vieux manoir, une chapelle, etc…

 

Maintes statues bretonnes ont déjà quitté l’atelier de la rue Longue pour le nouveau continent.

 

M. Tréauton a d'ailleurs participé à un train-exposition de l’art français qui a séjourné deux mois à New-York ainsi qu'à Philadelphie et à Chicago et qui était organisé par l'Office du tourisme.

 

Il prend part aussi à une exposition permanente qui a lieu à la maison française à New-York où il présente des reproductions de saints du musée de Morlaix et de la chapelle de Notre-Dame-du-Mur.

 

En Angleterre, il expose au British Muséum, de Londres, grâce à l'intermédiaire de M. Johston Saint, plusieurs saints bretons et une magnifique reproduction du tombeau de Saint Renan.

 

À Paris, M. Tréauton participe fréquemment à des expositions.

L'an dernier, il a présenté au Grand Palais des statues et du mobilier qui ont fait l’admiration des connaisseurs.

Ainsi, tout en rendant service à l'art, notre imagier morlaisien fait pour sa petite patrie et pour la Bretagne la plus utile des propagandes tant en France qu'à l'étranger.

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