1938
Au Folgoët
par François Ménez
Source : La Dépêche de Brest 7 septembre 1938
J'avais espéré, jusqu'au dernier moment, que, cette année, le poste de Rennes-Bretagne, relayé par Radio-Mondial, qui eût permis aux Bretons des colonies les plus lointaines d'entendre la voix de leur pays, aurait « mis en ondes » le pardon fameux du Folgoët.
Les circonstances, paraît-il, ne l'ont pas permis.
C'est dommage, parce que, de tous les pardons de Bretagne, plus que ceux de Locronan ou de Tréguier, plus même que celui de Sainte-Anne d'Auray, qui fait trop songer aux foires de Lourdes et de Lisieux, celui du Folgoët est celui qui a le mieux gardé son caractère de piété grave et de pittoresque traditionnel.
Cela tient, pour une part, à ce qu'il se célèbre en septembre, à une époque annonciatrice déjà d'automne, où les touristes sont à peu près tous partis.
Les distractions profanes en sont bannies, de même que les parades foraines.
Le pardon du Folgoët demeure vraiment ainsi, suivant l'expression de Le Braz, « une fête de l'âme », où se traduit le génie de ce pays, « le petit Léonais », comme l'appelle Cyrille Le Pennec, du couvent des Carmes de Saint-Pol, à la fois mystique et rude, raidi dans la peur du péché, parsemé de calvaires et de lieux saints.
C'est tout un peuple, animé de l'ardeur des vieux siècles de foi qui, le 8 septembre, bat les murs de la collégiale, débordant du « pourpris sacré ».
L'office est célébré en plein vent, sur le vaste tertre, bordé d'auberges de pèlerins, où un autel de pierre est édifié.
Et c'est un des spectacles les plus impressionnants de la Bretagne des pardons.
Quand le Credo éclate, comme un tumulte d'ouragan, clamé par des milliers de voix, on pourrait se croire ramené au temps du Père Maunoir et d'Amice Picard la stigmatisée, sous l'immense ciel où dérivent, en escadres aux voiles gonflées, les premiers nuages de l'automne des sarrasins.
Tout imprégné qu'il soit de gravité, le pardon du Folgoët n'en a pas moins un attrait prenant, dû au cortège des femmes et des jeunes filles accourues de toutes les paroisses du Léon, depuis Saint-Pol jusqu'à la Terre sainte de Plouguerneau, et qui ont sorti « des profondeurs de l'armoire de chêne le hennin ajouré, les tabliers et les châles élégants », la robe de soie rouge damassée, comme au temps de la reine Anne, passementée d'or, relique du passé, exhibée seulement en ce grand jour.
Il n'est pas de plus émouvante manifestation de foi en Bretagne.
Même sous la pluie, ce pardon a son enchantement, nous dit le chanoine Kerbiriou, dans une notice sur le Folgoët qu'il vient de faire paraître, fort à propos, à la veille du pardon de septembre, en collaboration avec l'abbé Guéguen.
La « merveille du Léon » et le pèlerinage qui s'y rattache avaient sans doute, depuis Cyrille Le Pennec, donné lieu à de très nombreuses monographies.
L'intérêt de la notice tout récemment publiée, c'est de s'étendre sur quelques points demeurés jusqu'à présent dans l'ombre et de faire ressortir, à propos de l'église du Folgoët, quelques aperçus originaux.
Ayant localisé, « dans sa solitude mélancolique, sur le grand plateau vaste comme une dalle de granit », l'incomparable monument, « la somptueuse basilique sans transept ni abside, toute ramassée comme une rose autour de son chœur », le chanoine Kerbiriou nous en retrace, à grands traits, l'histoire, depuis le miracle du lys et Jean le Conquéreur.
Il note l'abondance et la variété des legs, donations et fondations, qui favorisèrent l'œuvre entreprise :
dons de terrains, champs ou parcelles de terre par pièces ou en sillons ;
parfois des propriétés bâties, des maisons, un hôtel, un manoir ;
des offrandes en nature : écuellées, hanapées, boisseaux de froment ;
des offrandes en espèces : rentes sur des terres ou des constructions, en menue monnaie, en argent, ou même en ducats ou en écus d'or du poids de France.
Il montre les pèlerinages, les processions s'organisant, depuis l'épiscopat de Philippe de Coëtquis jusqu'à Marie-Amice Picard, extatique et stigmatisée, qui, pour gagner les pardons et les indulgences, allait
« souventes fois l'année se confesser et communier aux lieux où elle savait que les trésors de l'Église étaient ouverts ».
Il représente la collégiale en pleine splendeur, sous le décanat de Robert Cupif, le clergé y comprenant un doyen, un sous-doyen ou vice-gérant, trois prébendiers, un pénitencier, un théologal, un prédicateur, un grand chantre, un maître de psallette, un sacristain, un organiste, un trésorier, tous chanoines, assistés de grands et petits choristes, de chantres et de bedeaux.
Ce furent les beaux temps du Folgoët, où le sanctuaire léonard se trouva associé bien des fois à la vie du pays, où les grands événements de l'histoire de Bretagne et de France y trouvèrent écho.
Ces temps ne durèrent point :
à la collégiale supprimée en 1681, après un peu moins de trois siècles d'existence, Louis XIV substitua un séminaire destiné à la formation d'aumôniers de marine et auquel, pour lui permettre de subsister, le roi accorda l'église collégiale avec les revenus qui en dépendaient, auxquels furent adjoints ceux de l'abbaye de Daoulas.
Les Jésuites qui en eurent la direction ne firent peut-être pas, des fonds qui leur étaient dévolus, le meilleur usage, car, dans une requête adressée au roi, en 1716, les Lesneviens, se solidarisant « avec les peuples de l'évêché de Léon et des autres de la Basse-Bretagne », reprochent aux Pères leur incurie.
Et le recteur de Guiquelleau, d'où dépendait le Folgoët, écrivant à son évêque, Mgr de la Marche, s'indigne de son côté contre les bons Pères, comme d'ailleurs contre les desservants des fondations « qui ont emporté une grande partie de l'argenterie de la chapelle et de ses vases sacrés ».
Le chanoine Kerbiriou, à propos de cette affaire, où il se garde de prendre parti, nous fait un piquant portrait de ce recteur du Léon, Goulven Le Melloc, franc d'allures, parlant haut, sans souci de ménager les puissants,
comme « ces recteurs de jadis, férus d'humanités, qui s'y entendaient pour tailler leur plume bien française », réputés pour leur éloquence rude et leur franchise de langage.
Il le représente, avec ses traits accusés, son allure énergique, « coiffé du bonnet carré, portant un surplis de grosse toile à larges manches », ou bien « revêtu de l'ample chape, offrant, à la porte de son église de Guiquelleau, le goupillon au Seigneur Évêque, venu pour sa tournée pastorale. »
Il peste contre la présence, dans la chapelle du Folgoët, de l'hôpital militaire destiné, au XVIIIe siècle, à recevoir trois cents soldats malades ou convalescents, « ruinés par des maux assez communs aux gens de troupe ».
Loin d'éprouver au Folgoët un soulagement à leurs maux, ils ne trouvent malheureusement dans ce bourg que trop de proies à des passions dont les excès achèvent de les ruiner et les mènent au tombeau.
Le digne pasteur, à force de persévérance, obtient la translation de sa paroisse, de l'église branlante du Guiquelleau dans la chapelle profanée.
Ainsi connaîtra-t-elle à nouveau de beaux jours, jusqu'à la Révolution, dont elle eut beaucoup à pâtir.
Et c'est l'histoire tragique succédant à l'histoire pieuse :
les statues mutilées, les armoiries martelées ou brisées les meubles vendus, de même que les archives, les livres, les manuscrits ; l'église elle-même mise à l'encan et devenant la propriété d'un fripier de Brest.
La paix revenue, elle fut rachetée par un groupe de paysans, et le Folgoët, en 1829, fut érigé en paroisse.
La collégiale, malgré la difficulté inouïe des voyages, en des temps où les routes étaient peu sûres, n'avait cessé d'attirer les foules.
Et sous l'épiscopat de Rolland de Neufville, le 8 septembre 1599, il advint que l'affluence de peuple fut si grande que Jean Mahé et Catherine Cadiou, sa femme, n'ayant pu y trouver de place dans une hôtellerie, « ils se virent obligés de se retirer dans une étable, où Catherine mit au monde un fils, à l'heure de minuit », comme la Vierge à Bethléem.
C'est donc une grande partie de l'histoire du Léon, avec ses fastes, ses troubles, ses guerres et ses épidémies qu'évoque cette admirable église qui, depuis le Conquéreur et la reine Anne, a vu défiler les pèlerins de tant de générations.
Nul édifice religieux, dans toute l'étendue de la Bretagne, ne résume mieux l'âme et le passé d'un pays.