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1943

Les anciennes forêts
de Bretagne

 

12 mars 1943 - Les anciennes forêts de Bretagne.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 12 mars 1943

 

Aujourd'hui que le besoin de bois se fait si cruellement sentir, on souffre bien plus qu'avant la guerre du déboisement de la Bretagne.

L'Ille-et-Vilaine, notre département le plus boisé, ne porte de forêts que sur les sept centièmes de son étendue ;

le Finistère, le plus dénudé, sur quatre centièmes seulement.

Tout cela est fort maigre, et sans l'élagage des haies nous nous trouverions fort réduits à un moment où chaque région ne doit compter que sur elle-même.

Pourtant, la Bretagne fut boisée, très boisée avant les défrichements.

La chose est hors de doute pour les régions intérieures assez abritées des vents océaniques.

Aujourd'hui encore, l'homme a respecté ou replanté l'arbre sur les crêtes rocailleuses de Paimpont, de Quenécan et de Conveau.

Ses boisements réussissent très bien dans les Landes de Lanvaux qui forment maintenant une longue traînée forestière.

À plus forte raison l'arbre repousserait-il dans les zones les plus basses comme les bassins de Rennes et de Châteaulin, si quelque catastrophe venait à transformer en désert notre pays.

 

Mais les antiques forêts s'étendaient-elles jusqu'au bord de la côte, et montaient-elles à l'assaut des crêtes occidentales les plus exposées aux tempêtes d'ouest, comme l'Arrée et le Menez-Hom ?

Là-dessus, il y a discussion, certains soutenant que l'arbre a jadis tout recouvert, d'autres pensant que la violence du vent a quelque peu restreint son domaine.

 

Aujourd'hui, les botanistes ont des moyens d'investigation qui permettent de raisonner sur des faits et non plus sur des impressions.

Dans toute l'Europe, des savants se sont appliqués à l'étude des anciennes forêts, et voici comment ils procèdent.

Ils font des prélèvements dans les tourbières, et étudient au microscope les grains de pollen que l'on y trouve souvent en très grand nombre.

Ces grains diffèrent selon les arbres dont ils proviennent, et l'on arrive ainsi à reconstituer les forêts qui croissaient au voisinage des tourbières, fidèles conservatrices de la végétation du passé.

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La première analyse pollinique faite en Bretagne est due à Gunnar Erdtmann (*), qui a étudié en 1924 la tourbe de Trémaouézan, près de Landerneau.

Depuis, d'autres analyses ont été faites par Georges Dubois, portant sur les tourbières littorales du Léon (Carantec, Cléder), de Cornouaille (Concarneau, Loctudy) et du Cragou, près de Berrien.

Ces tourbières sont très probablement néolithiques, donc contemporaines, au moins en partie, de l'édification des menhirs et dolmens.

 

Eh bien, toutes contiennent de nombreux pollens.

À Carantec, par exemple, on a la preuve que le pays a été boisé d'aulnes, mêlés à quelques chênes et hêtres ;

puis les chênes et hêtres ont ensuite prédominé.

Le littoral léonard paraît donc avoir été recouvert, à la fin du néolithique, d'une forêt comportant les essences qui domineraient actuellement en Bretagne si on laissait la forêt se reconstituer.

De même, près de Concarneau, au vallon de Talamot, l'on voit prédominer l'aulne et le chêne, avec quelques rares coudriers, ormes et pins.

Les tourbières de Loctudy, qui nous conservent l'image de la végétation ancienne du littoral bigouden aujourd'hui si ras et si dénudé, nous montrent le chêne succédant à l'aulne, mêlé à quelques hêtres, coudriers et ormes.

Il semble bien que le littoral cornouaillais ait porté surtout des chênaies, et que l'aulne ait poussé dans les endroits humides, proches des tourbières.

D'ailleurs, les tourbières de la côte bigoudène contiennent, outre des pollens, de nombreux troncs d'arbres couchés.

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À l’intérieur, l'étude des tourbes de Trémaouézan et du Cragou conduit à des conclusions analogues.

À Trémaouézan, c'étaient l'aulne et le bouleau qui prédominaient ;

le chêne et le coudrier apparaissant seulement un peu.

Aux rochers du Cragou, le bouleau prédomine très nettement ;

l'aulne, l'orme, le frêne, le coudrier sont peu représentés.

 

Il n'y a pas d'étude pollique portant sur les tourbes du Yeun-Elez (marais de Botmeur) ;

mais on sait tout au moins qu'elles renferment de nombreux troncs de bouleaux ;

la tourbière a remplacé cette forêt à une époque assez récente, et il semble qu'aujourd'hui elle tende à céder elle-même la place à la lande à bruyères, ce qui indiquerait une nouvelle évolution vers la forêt.

 

Brocéliande n'est donc pas un mythe.

À l'époque néolithique, le tapis naturel était, dans la Bretagne entière, la forêt :

chênes en général; aulnes dans les endroits humides; bouleaux sur les hauteurs.

Puisque les côtes les plus éventées étaient forestières, à plus forte raison le reste du pays l'était aussi.

La discussion ne reste ouverte que pour les îles et pour les sommets proprement dits, c'est à dire des étendues insignifiantes.

La lande, en Bretagne, était sans doute à peu près inconnue au néolithique comme formation naturelle ;

sur les défrichements qu'abandonnaient les constructeurs des menhirs et des dolmens, elle le cédait à nouveau à la forêt sans tarder.

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Pourrions-nous donc reboiser nos crêtes pelées et nos bords de côtes dénudés ?

Ce n'est pas certain, car le climat peut avoir changé depuis le néolithique, dans un sens défavorable à la forêt ;

d'autre part, l'absence prolongée de tapis forestier peut avoir rendu, en certains endroits, le sol impropre à l'arbre.

L'essai vaudrait pourtant d'être tenté, en partant des coins abrités et en procédant progressivement.

Les études qui ont été faites montrent l'extension un peu inattendue des anciennes forêts :

Elles doivent être un encouragement à des tentatives qui, si elles réussissaient enrichiraient notablement notre pays.

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(*) Otto Gunnar Elias Erdtman était un botaniste suédois et un pionnier de la palynologie.

Avec la publication de sa thèse de 1921 en allemand, l'analyse pollinique se fait connaître en dehors de la Scandinavie.

Erdtman a systématiquement étudié la morphologie du pollen et a développé la méthode de l'acétolyse dans les études polliniques.

Son manuel : Une introduction à l'analyse du pollen a joué un rôle déterminant dans le développement de la discipline.

En 1948, il crée le laboratoire palynologique du Muséum suédois d'histoire naturelle de Stockholm.

Il a dirigé le laboratoire jusqu'en 1971, à partir de 1954 avec le titre de professeur.

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