1950
Le plat Henriot d'Adolf
Source : Qui ? : Le magazine de l'énigme et de l'aventure 9 octobre 1950
L’avant-garde allemande n'était pas encore arrivée aux portes de Quimper, le 19 juin 1940 que, tenant un grand et beau plat colorié sous le bras, le patron d'un café-tabac traversait, au pas de course, le pont qui enjambe l'Odet et pénétrait dans la fabrique de faïencerie d'art breton Henriot.
— Je vous rapporte le dernier chef-d'œuvre que vous avez sorti, déclara-t-il, tout essoufflé, à, M. Jules Henriot.
Voyez-vous que les Boches le trouveraient chez moi !
Je ne tiens pas à être fusillé.
M. Henriot haussa les épaules.
Évidemment, le coq gaulois qui ornait l'objet surmontait une légende que les circonstances rendaient dangereuse.
Depuis l’an 1778 qu'elle existe à Quimper, la maison Henriot sort, en effet, avec mille autres faïences d'art, une assiette ornée d'un coq et de cette légende :
« Quand le coq chantera, mon amour finira. »
Mais, durant l'hiver de 1939-40, un des plus vieux décorateurs de la maison était venu trouver le patron :
— M'sieur Jules, qu'est-ce que vous diriez si je remplaçais l'amour par Hitler ?
— Oui, enfin, si l'on mettait : « Quand ce coq chantera, Adolf nous aura » ?
— Ma foi ! fit M. Henriot, ton idée me semble bonne.
Vas-y, mon gars !
De sorte que plusieurs artistes de la fabrique se mirent à peindre à la main et à faire cuire au four des plats, des assiettes et même des cendriers sur lesquels Hitler était ainsi nasardé.
Quatre jours se sont écoulés depuis que le buraliste s'est séparé de son beau plat et, un matin, une demi-douzaine d'officiers de la Kommandantur quimpéroise se présentent à la porte de l'établissement.
Pas pour perquisitionner, bien sûr !
Simplement pour visiter.
Cette très vieille maison est un vrai musée où sont exposées les plus belles faïences de France, depuis les rustiques assiettes bretonnes, aux grosses fleurs, aux coqs et aux personnages naïfs, jusqu'aux délicats bibelots et statuettes signés par les peintres ou les sculpteurs régionaux :
Jim Sévellec, Armel Beaufils, Mathurin Méheut et Micheau-Vernez, en passant par les copies fidèles des anciennes fabrications de Moustiers, Nevers et Rouen.
— Ça y est, c'est la catastrophe ! fit M. Henriot en introduisant les Allemands dans la grande salle de sa firme.
Il était précisément en train d'y faire empiler dans des caisses, afin de le cacher en lieu sûr, tout son stock de faïences subversives.
Une bâche fut jetée sur les caisses et l'industriel faisait visiter la salle aux officiers, lorsqu'on l'appela au téléphone :
— Je suis occupé, répondit-il ; rappelez-moi dans une heure.
Mais, durant ce répit de quelques secondes, les Allemands avaient soulevé la bâche, jonglaient avec les cendriers dédiés à Adolf et en faisaient une razzia.
Ils avaient déjà rempli leurs poches, quand M. Henriot les rejoignit.
— Schoen ! Joli, joli ! firent les officiers en pouffant de rire.
Le lendemain, tout le stock, réquisitionné, prenait le chemin de l'Allemagne .
Il ne restait plus, à la faïencerie, que le plat du buraliste !
Et comme ce marchand de tabac, honteux sans doute, n'est jamais venu le réclamer, nous avons pu photographier, la semaine dernière, cette pièce unique et sensationnelle.
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Remerciements à Steph Dair pour sa contribution.
Rare coupelle en faïence polychrome année 1940 et légendée "Quand ce coq chantera Adolf nous aura", diam. 10,5 cm.
Signée au dos et légendée en anglais au dos.
Diam. 10 cm
Plat rond orné d'un coq écrasant une croix gammée surmontée des drapeaux français et anglais, et portant l'inscription
"Quand ce coq chantera, Adolf nous aura".
Diamètre en cm : 38,5 ; Hauteur en cm : 4
Cendrier patriotique en faïence.