1940 - 1944
Chroniques d'occupation
1 juillet 1940
Jour 13
Un avis paru samedi, dans ces colonnes, informait le personnel ouvrier des divers services de la marine qu'il serait payé mardi — c'est-à-dire demain — du reliquat et des indemnités de charges de famille qui lui restaient dus.
Afin d'éviter aux intéressés un déplacement inutile, nous confirmerons dans La Dépêche de demain si cette date de paiement est maintenue par tous les services.
Il est possible en effet que certains d'entre eux soient dans l'obligation de reculer cette date à mercredi.
En ce qui concerne le personnel ouvrier de la pyrotechnie de Saint-Nicolas, l'accès de cet établissement étant interdit aux civils jusqu'à nouvel ordre, il devra se faire payer à Brest, aux lieu, jour et heure qui lui seront indiqués en temps opportun par La Dépêche.
Afin d'éviter l'encombrement qui s'est produit lors du paiement de mercredi dernier, le service compétent envisage de payer le personnel de la pyrotechnie un jour après celui appartenant aux ateliers de la direction.
Cette mesure permettra également de disposer d'une organisation matérielle susceptible d'assurer la paye dans de meilleures conditions de rapidité.
Étant donné, d'une part, la diversité des sommes à payer et, d'autre part, le peu de coupures dont dispose le trésorier, il est recommandé à chacun de se munir autant que possible de petits billets ou de pièces pour faire l'appoint.
Pour le personnel de la pyrotechnie dont le domicile est éloigné de Brest et qui, de ce fait, se trouverait dans l'impossibilité matérielle de se présenter aux guichets le jour de la paye, des dispositions spéciales ont été prévues.
Elles seront portées à sa connaissance par La Dépêche.
Ajoutons que la paie des « ouvriers mobilisés » sera réglée en même temps que celles des autres ouvriers, mais sur la base d'un demi-mois.
Il en sera de même pour toutes les autres catégories de personnel, à l'exception des « travailleurs militaires », auxquels il est recommandé de ne pas se déranger Jusqu'à nouvel ordre.
Pour la remise des bulletins de paye au personnel, les agents techniques sont avisée que la direction compte sur leur concours.
Il leur est recommandé de prendre contact avec le chef de comptabilité, cet après-midi, à la direction, où Ils sont invités à se présenter.
Aux alentours de l'arsenal, tous les, restaurants fréquentés par les marins ou le personnel de l'arsenal ont, faute de clients, fermé ou entrebâillé leurs portes.
Le soir, certains ont parfois la visite de soldats allemands qui se font cuire des œufs, griller une côtelette ou se contentent de jambon.
Rue Louis Pasteur, les restaurants autrefois si fréquentés, à midi, du Coq Gaulois et de la Marine, sont aujourd'hui déserts.
À la même table, le personnel, le patron et la patronne déjeunent silencieusement, attendant l'improbable client et des temps meilleurs.
Ici, le patron possède dans les environs une petite ferme et fait l'élevage des poulets.
Au lieu de les faire figurer sur des assiettes, rôtis et dorés, il les expose crus.
Dans l'étalage s'alignent ces poulets dodus, et gras, excitant la convoitise des passants, mais n'attirant que peu d'acheteurs.
Traversons le pont.
Il en est de même à Recouvrance pour les restaurants vivant autrefois de la marine.
Cependant au Restaurant du Pont, quelques rares clients se font servir, pour 12 francs, le menu suivant :
Potage, un hors-d’œuvre au choix :
saucisson, radis, filet de hareng ; poisson frit, ragoût de veau aux petits pois, salade, fraises et une chopine de vin.
Le Petit Moderne, rue Louis Pasteur, a vu disparaître en partie sa clientèle habituelle.
Quelques officiers allemands la remplacent.
— Il faut être du métier pour s'en tirer aujourd'hui, nous dit l'aimable restauratrice.
Le ravitaillement est assez malaisé.
L'huile est rare et vaut très cher.
Les parents de ma belle-fille qui m'aide très courageusement, sont heureusement bouchers, ce me permet de me procurer la viande qui m'est nécessaire.
Quant au poisson, il est bien difficile d'en trouver.
Bien que payant tout plus cher, je n'ai pas augmenté mes prix.
On déjeune ici à la carte, les prix sont marqués, le client peut donc limiter sa dépense à son gré et suivant son appétit..
Plus haut, le restaurant Nicolas, par manque de personnel, a préféré fermer ses portes.
Il espère les rouvrir dans quelques jours.
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Rue de la Mairie, près des halles, les restaurants ont leur clientèle habituelle de marchands et de marchandes.
Dans cette étroite boutique, derrière la devanture, une marchande de pommes frites voisine avec une marchande de crêpes.
Les odeurs de la friture se mêlent à celle de la graisse.
Pour 1 fr. 25, on emporte un cornet de frites croustillantes et dorées, saupoudrées de sel.
Si l'on veut prendre place à une table, on peut se faire servir pour 5 francs deux œufs et des frites ; un fromage pour 2 francs.
Les fruits coûtent 3 fr. 50 et le couvert avec un morceau de pain 1 fr. 50.
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Le Restaurant de la gare a de nombreux clients.
Les menus sont bilingues.
Voici quelques prix :
Potage paysanne : 1 franc.
Hors-d’œuvre : salade de pommes, pâté, palourdes beurre, au choix, 2 fr. 50.
Poisson : langouste mayonnaise, 10 francs ;
morue provençale, tranche de lieu marinière, daurade au gratin, au choix, 4 francs.
Entrée : poulet rôti garni de pommes, 14 francs ;
jambon jardinière, bifteck aux pommes, cervelle au beurre noir, au choix, 6 francs.
Œufs, 5 francs.
Légumes : salade de saison, pommes chips, jardinière au jus, 2 fr. 50.
Fromages : port-salut, camembert, 2 fr. 50.
Desserts : fraises, 3 fr. 50; orange, figues, 3 francs.
Couvert : 1 fr. 50, service non compris.
Vin : 1 fr. 50 ; café filtre : 2 fr. 50 ; tasse : 1 fr. 50.
En résumé, les restaurateurs se plaignent des difficultés de ravitaillement en beurre, huile, œufs, poissons et café.
— J'allais en auto, nous dit une restauratrice, m'approvisionner dans les marchés des environs.
La circulation est maintenant interdite, d'ailleurs je ne puis me procurer d’essence, il va donc falloir se contenter du marché des halles.
Encore faudrait-il, pour nous permettre de conserver nos prix, que toute hausse sur les marchandises de première nécessité soit réellement impossible.
— Je crois, dit un client, que tant que l'affichage des prix — un affichage rigoureux et scrupuleux — ne sera pas exigé des commerçants, non par tableaux, mais par étiquettes visibles pour tous sur chacun des objets mis en vente, il sera difficile de réprimer des abus.
Bref, les personnels qui alimentaient les restaurants ouvriers n'ayant plus, faute de travail, à prendre leur repas hors de leur domicile ;
l'abstention des voyageurs de commerce et des touristes dans d'autres établissements font que l'activité des restaurants se trouve, en ce moment, très réduite.
Il y a aussi les crêperies qui ont leur clientèle.
Nous en parlerons.
Si les laitières ont continué de ravitailler la ville chaque matin avec ponctualité, même malgré les alertes, les maraîchères ont également approvisionné le marché de façon régulière.
Certaines, venues de la région de Roscoff avec leurs lourdes charrettes, avaient dû voyager toute la nuit.
On sait que deux marchés aux légumes se tiennent chaque semaine place Ferrer, le mardi et le vendredi.
Maintes fois, au cours de la vente, la sirène a donné l'alerte.
Abandonnant sacs, paniers et cageots, vendeurs et acheteurs se dispersaient dans les couloirs des immeubles du voisinage.
Puis, au signal « danger passé », chacun venait reprendre sa place et les transactions.
Cette semaine, particulièrement, le marché s'est trouvé abondamment garni.
À noter que les choux-fleurs, qui ont tant souffert des gelées, ont terminé leur production.
Quant aux artichauts, qui furent également atteints par le froid, ils font actuellement leur apparition.
La saison des fraises prend fin.
En raison de la sécheresse, on ne peut espérer la voir se prolonger ;
aussi, dans une huitaine, les Plougastels seront-ils contraints d'abandonner leurs petits paniers pour se consacrer uniquement aux légumes.
La pomme de terre est abondante et hier matin on constatait une baisse assez importante des cours.
Sous les halles, les dalles des poissonnières demeurent à peu près vides.
Quelques caisses de poissons venues de Portsall trouvent immédiatement preneurs.
On sait que la raréfaction de l'essence ne permet plus aux pêcheurs de se rendre sur les habituels lieux de pêche.
Pour la même raison, les mareyeurs craignent de ne plus pouvoir très prochainement transporter le poisson à Brest.
Les crustacés règnent à présent en maîtres à la halle aux poissons.
Conservés dans les viviers, ils ne peuvent y demeurer qu'un temps limité, et comme leur expédition sur les grands centres est devenue impossible, crabes, homards et langoustes apparaissent à présent sur les dalles, à des prix auxquels on n'était plus accoutumé depuis longtemps.