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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


10 août 1940

Jour 53
 

 

Ce n'étaient encore, il y a une quarantaine d'années que de pauvres villages.

 

Aujourd'hui, les rues bien entretenues de Penmarch, Kérity, Le Guilvinec sont bordées de coquettes maisons aux façades blanches.

 

Onze usines de conserves absorbent les apports de la pêche.

Des hôtels confortables permettent aux touristes, attirés par le pittoresque de cette côte sauvage d'y passer un séjour agréable.

 

Cette année la population, qui vit presque uniquement de l'Industrie de la pêche, est consternée.

Depuis quinze Jours, les femmes employées dans les usines n'ont travaillé que deux demi-Journées pour, chaque fois, mettre en conserve de deux à cinq tonnes de sardines alors que, chaque usine pourrait en absorber journellement de 20 à 25 tonnes.

 

— Le manque de carburant, répète tristement un directeur d'usine, empêche les bateaux de sortir, mais si la pêche donnait nous manquerions sous peu d'huile.

Nous n'en n'avons pas reçu depuis la guerre et vivons sur nos réserves.

Nous manquerions de charbon et, bientôt, sans doute, notre provision de boites vides serait épuisée.

 

Là, comme à Concarneau, à Douarnenez  comme sur toute la côte finistérienne, hélas ! la pêche, les transports sont paralysés par le manque d'essence, de gas-oil ou de mazout.

 

La coopérative de Penmarch a reçu, vendredi dernier, 80 bidons de 50 litres d'essence qui, répartis entre les 110 bateaux de Saint-Pierre, Kérity et Saint-Guénolé leur permettront de sortir pendant encore huit jours, peut-être.

 

Pourtant, avec l'admirable solidarité qui anime nos pêcheurs, il ne sort qu'un bateau sur trois pour économiser le combustible.

Les pinasses n'ont ici qu'un équipage de huit hommes et chacun des bateaux remorque trois annexes avec une vingtaine d'hommes, quatre restant à terre mais percevant quand même leur part de pêche.

 

Retour de la pêche

 

Ce matin, 25 bateaux ont quitté, à 3 heures, le port du Guilvinec.

Dès midi, les ouvrières d'usines attendent impatiemment leur retour.

La pêche sera-t-elle assez fructueuse pour leur permettre de travailler quelques heures ?

 

Quelques canots accostent vers midi.

Ce sont des maquereautiers qui, à la ligne, ont  pris surtout des pironneaux, quelques lieus et rougets, sans trop s'éloigner du port.

Des bigoudènes les attendent sur la cale et achètent dix sous pièce les pironneaux encore frétillants.

 

Un voilier, long de 30 mètres, vient mouiller au large.

C'est un thonier de l'île de Groix avec son foc, sa trinquette, sa misaine et sa grand'voile qui lui permettent de ne pas tenir compte de la pénurie d'essence.

Il ne franchit pas la passe, parsemée de roches dangereuses pour ceux qui ne connaissent pas bien l'entrée du port.

Une barque du Guilvinec accoste le voilier Petit Auguste pour prendre le chargement de 270 thons, capturés en trois jours à 300 milles de Groix.

Les thons sont empilés sur le quai, gardés par des marins du Petit Auguste dont l'équipage n'est que de cinq hommes et un mousse.

La « marée de pêche » a duré onze jours.

 

« Les voilà ! », dit quelqu'un, et l'on distingue bientôt au loin les sardiniers.

 

Il est 14 h. 30.

Les bateaux accostent aux cales et escaliers.

Entassées dans des caisses carrées, les sardines sont vite débarquées.

 

Des hommes sont allés au comptoir d'achat, dirigé par Mme Bideau, chargée de répartir à tour de rôle le poisson aux onze usines :

5 tonnes aux plus importantes, 3 tonnes 500 à celles ayant un personnel plus restreint.

Chaque usine occupe, en effet, de 70 à 120 ouvrières.

Le prix de l'heure est uniforme.

Il est fixé à 2 fr. 85.

À l’usine

 

Les caisses de sardines sont rapidement amenées à l'usine sur des voitures à bras.

Le poisson est pesé.

Les représentants de chacun des bateaux se succèdent au bureau et annoncent leur apport.

Il est maigre : les plus favorisés — Ils ne sont pas nombreux — rapportent de 150 à 170 kilos.

La plupart des bateaux n'ont péché que de 60 à 120 kilos.

Quelques-uns n'en ont que 10 et deux n'annoncent que 6 kilos de sardines qui sont payées à raison de 650 francs les cent kilos.

 

Pourtant tous sont allés dans la baie d'Audierne et les bateaux, munis pour la plupart de moteurs de 40 cv., ont consommé près de trois bidons d'essence.

 

Les ouvrières au travail

 

Alignées de chaque côté de longues tables sur lesquelles est déversé le contenu des caisses, les ouvrières vident avec dextérité en leur arrachant la tête, les sardines qu'elles jettent dans des paniers.

 

Ces paniers sont aussitôt portés à d'autres ouvrières qui plongent les sardines dans de grands baquets pleins de saumure et les aspergent de poignées de sel gris

 

Le poisson séjourne une demi-heure dans la saumure.

Puis il est mis sur des grilles.

On le fait sécher au soleil car aujourd'hui il fait beau.

S’il pleuvait, on se servirait des séchoirs ventilés.

 

Dès qu’elles sont sèchent, les sardines sont cuites dans la friture, maintenue bouillante au moyen de serpentins dans lesquels circule de la vapeur entourant les bassines.

 

On laisse refroidir et égoutter le poisson pendant 3 ou 4 heures, puis il est mis en boites, recouvert d'huile et, après sertissage, les boites sont stérilisées pendant une heure et demie, si l'on procède à feu nu, pendant seulement une trentaine de minutes, à la vapeur, avec une température de 110°.

 

Les boîtes de sardines, ensuite emballées par format dans des caisses de bois, sont prêtes à être expédiées, mais leur contenu ne sera pas consommable avant deux ou trois mois.

Ce temps passé dans l'huile est indispensable pour faire perdre aux sardines un goût de saumure assez désagréable.

 

(À suivre)

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