top of page
1940 - 1944
Chroniques d'occupation


15 août 1940

Jour 58
 

 

Deux mille deux cents prisonniers, primitivement internés au Château de Brest, sont encore logés dans les baraquements de la caserne de Pontanézen.

 

Au nombre de deux cents environ, les employés de chemin de fer, les infirmiers, ont eu la chance de bénéficier de « permissions illimitées » et de pouvoir, démobilisés en fait, rejoindre leurs familles et reprendre leurs occupations dans la vie civile.

 

Les prisonniers ne peuvent obtenir cette permission illimitée — qu'ils attendent tous avec une légitime et compréhensible impatience — qu'après examen par l'autorité allemande des dossiers comprenant un certificat de l'employeur, une attestation du maire et du sous-préfet certifiant que le renvoi du prisonnier est utile à la reprise de la vie économique.

 

Les permissions ne sont accordées, en principe, par l'autorité allemande qu'aux employés de certaines entreprises civiles, aux commis des postes, télégraphes, téléphones, aux boulangers, forgerons, bourreliers, dont la présence est indispensable dans un village.

 

Dans tous les cas, le commandant du camp ne peut accorder la libération du prisonnier que si « la demande est formulée par l'autorité allemande. »

 

LE CAMP

 

Ce fut en 1779, que furent créés premiers baraquements de Pont-an-ézen (le pont aux ânes).

L'hôpital de la Marine avait été détruit par un incendie le 21 novembre 1776 et le séminaire des Jésuites — aujourd'hui caserne Guépin — converti en hôpital.

La guerre de 1778 créa un tel afflux de blessés et de malades qu'il fallut, en 1779, chercher des locaux susceptibles de recevoir immédiatement les convalescents.

 

La Marine fit choix des fermes situées sur la paroisse de Lambézellec près de l'ancien grand chemin de Brest à Gouesnou.

 

Les fermiers furent congédiés.

Des salles, couvertes en chaume, furent élevées à la hâte et les convalescents y furent provisoirement transportés en attendant, après l'acquisition de six champs de la ferme de Keranrout, qu'un hôpital fût créé.

 

La Marine agrandit son terrain du côté du midi en acquérant, le 24 juillet 1781, encore huit champs appartenant M. de Kervénoël.

 

L'hôpital fut ensuite transformé en caserne pour un détachement de l'infanterie de marine.

De nouveaux baraquements furent construits.

Deux auberges s'installèrent à proximité et des maisons s'édifièrent de chaque côté de la route.

Le village prit peu à peu l'extension qu'il a aujourd'hui.

Le détachement était devenu le 6e régiment d'infanterie de marine, puis le 6e colonial.

En 1917, de nombreux nouveaux baraquements s'édifièrent. (*)

 

(*) Note de Retro29 : À remarquer l’impasse historique sur cette période. Censure, censure …

 

Des nouveaux bâtiments, récemment construits, logèrent trois pelotons de garde républicaine mobile.

Ils furent suivis, fin 1939, d'installations provisoires, et les baraquements de Pontanézen, entourés d'une haute barrière de fils barbelés, abritent aujourd'hui 2.200 prisonniers de diverses régions françaises et aussi de notre empire colonial.

 

LES PRISONNIERS

 

En camions, diverses corvées, commandées par des sous-officiers français, partent ce matin dans plusieurs directions.

Les prisonniers sont astreints à des travaux de terrassements, à la récupération de matériels abandonnés, à la réparation de véhicules, etc.

 

En voici occupés à niveler la cour par l'apport de terre amenée par wagonnets sur une petite voie Decauville.

D'autres munis de masses, cassent les cailloux ou égalisent le terrain.

 

— II nous faudrait le cylindre à vapeur des ponts et chaussées pour faire quelque chose de propre, nous confie le sergent chargé du travail qu'il voudrait mener à bien, car tous travaillent ici avec courage et bonne volonté, heureux, en somme, d'avoir une occupation, dérivatif indispensable pour chasser « le cafard » qui les menace.

 

LA DISTRIBUTION DES LETTRES

 

Voici justement le vaguemestre qui revient de la poste.

Son sac est lourdement chargé.

Le rassemblement est vite fait.

Le sergent est entouré.

Dans tous les yeux brille une lueur d'espoir.

 

L'appel des élus commence.

Les heureux emportent triomphalement le carré de papier si impatiemment attendu.

Les uns brisent fébrilement l'enveloppe, dans leur hâte d'avoir des nouvelles.

D'autres l’enfouissent dans une poche et se retirent à l’écart.

Ils veulent être seuls pour lire, relire attentivement la lettre de l'être cher :

Maman, épouse ou fiancée qu'il leur tarde tant de revoir d'étreindre, d’embrasser.

 

La tête basse, ceux qui, malgré leur attente, n’ont pas eu le bonheur d’entendre tomber de la bouche indifférente du vaguemestre leur nom, s’éloignent tristement ou font « contre fortune, bon cœur ».

— Ce sera mon tour au prochain courrier, dit rageur, mais goguenard, un parigot, un tout jeune homme — on ne lui donnerait quinze ans — semblant retenir une larme.

Son teint est bronzé.

Ses cheveux frisés, soigneusement séparés par une raie impeccable, sont coiffés d’un béret à pompon rouge.

Il est vêtu de toile bleue.

— Je suis de Bizerte. nous dit-il.

J'ai 17 ans et trois mois.

J'ai écrit quatre fois chez moi et n'ai pas encore reçu une seule lettre.

Que deviennent mes parents ?

 

Un gradé le rassure :

« Les courriers sont interrompus. »

La traversée de la Méditerranée est difficile.

 

Dans la ville désertée, bien tristement sera célébrée aujourd'hui la fête patronale du 15 août.

 

Et pourtant, Jusqu'à l'an dernier, ce fut la fête la plus joyeuse, la plus animée, attirant toute la Cornouaille.

Que dis-je, toute la Cornouaille ?...

On y venait de Brest, de Morlaix, de Lorient et même de plus loin encore.

 

Mais les temps ont changé !

Excepté à l'heure des offices religieux, Quimper aura ce jour l'aspect désolé qu'il a chaque dimanche, depuis quelques mois.

 

Dès le matin, la jeunesse partira, à bicyclette, vers les plages voisines, et les familles iront, l'après-midi, flâner le long des routes, musarder à travers champs.

Quimper sera vide...

Triste 15 août dans la ville que l'on appelait « le sourire de la Cornouaille » et sur laquelle plane un voile de mélancolie !

 

En cette fête patronale de 1940, nous ne verrons pas, dès le matin, arriver de toutes parts les jeunes filles aux riches costumes de la région, les jeunes gens fiers de les avoir à leur bras, toute une foule joyeuse amenée par les cars, les chars à bancs, les autos, et qui formait un ensemble merveilleux dont les touristes s'emplissaient les yeux et gardaient un inoubliable souvenir.

 

Nous ne verrons pas aujourd'hui les hôtels, les restaurants pris d'assaut et obligés de faire, pour le déjeuner, deux ou trois services.

 

Aux menus copieux succèdent ceux des restrictions, sévèrement limités, écourtés et d'où, ce jeudi, la viande sera proscrite.

 

Les quelques promeneurs qui circuleront dans les allées de Locmaria s'arrêteront peut-être à tel ou tel endroit et se diront :

« Ici, l'an dernier, nous avons gagné, pour vingt sous, à telle loterie, jusqu'à cinq kilos de sucre ! »

 

Et partout, ce seront les mêmes conversations :

des commentaires sur les derniers événements ; des appréciations, parfois fantaisistes, sur leur cause, et tout cela sera triste, triste !

 

On entendra le même refrain :

— Croyez-vous, chère amie, que depuis quinze jours, je n'ai plus une goutte d'huile!...

— Et moi, pas un grain de café!...

— Les épiciers sont démunis ; pas un morceau de savon, pas une boite de pâtes !...

— Et les légumes secs ? Il paraît qu'ils manqueront, cet hiver !...

 

Bougon, un monsieur dira :

— À quoi bon avoir des légumes secs, si nous n'avons pas de gaz pour les faire cuire !...

 

— Pas de gaz, pas de charbon, et le bois à un prix inabordable !...

Si l'hiver est rigoureux, qu'est-ce que nous allons prendre !...

 

Plus philosophe ou plus insouciant, un autre dira :

— À quoi bon se faire du mauvais sang ?

Si nous n'avons ni gaz, ni charbon, nous nous chaufferons avec les chevaux de bois !...

 

Et ce mot nous ramène à la fête du 15 août…

Cette année, dans les allées de Locmaria, sur la place du Champ-de-Bataille, adieu les flonflons cacophoniques !

Finis les petits manèges de chevaux, avions, lapins, devant lesquels les enfants trépignaient !

Finis le « casse-gueule », les montagnes russes, les chenilles ondulant voluptueusement sous leurs dais bariolés, d'où s'échappaient les cris de la jeunesse en liesse !

Finis les tirs ! les loteries, devant lesquelles on s'écrasait, où chacun tentait sa chance !

Finies les confiseries et les boutiques de gaufres, aux relents lourds de graisse, qui avalent leur succès !

 

Et, l'après-midi, les courses de chevaux, à l'hippodrome de Cuzon, n'auront pas lieu.

 

Quelle affluence à cette réunion, où les joueurs se précipitaient au pari mutuel pour prendre un ticket à 100 sous capable de leur faire gagner jusqu'à 2 francs !...

 

Nos élégantes ne pourront faire admirer, devant les tribunes, leurs toilettes neuves et papoter sans arrêt, sauf pendant le passage des trois, même quatre chevaux engagés dans chaque course !....

 

Puis c'était le retour de la foule à Quimper, dans la poussière des centaines d'autos venant stationner partout et surtout devant les écriteaux :

 « Stationnement interdit », presque aussi inutiles à cette époque qu'aujourd'hui, mais pour deux raisons bien différentes.

 

Alors les cafés étaient trop petits, les terrasses envahies :

c'était l'heure de l'apéritif... interdit ce jeudi 15 août !...

 

Qui nous eût, l'an dernier, parlé de cette suppression et prédit que nous serions réduits à nous contenter de bière, de sodas, de fades malagas, de vin blanc fraise et de vichy ?...

 

Plus de bal populaire bruyant et animé, et enfin, ce soir, nous ne verrons pas la foule se rendre, avant la tombée de la nuit, sur les quais de l'Odet Jusqu'au Cap Horn, pour avoir une bonne place, afin de ne rien perdre des merveilles du feu d'artifice.

 

C'était le clou de la fête ; le peuple délirait d'enthousiasme.

À chaque fusée montaient des cris : « Oh! la belle bleue !... »

 

Les bravos éclataient quand le « bouquet » mettait fin à toutes les nouvelles productions d'une savante pyrotechnie, qui finissaient en fumée, comme viennent de se terminer nos illusions et nos rêves !...

bottom of page