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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


17 août 1940

Jour 60
 

 

Les prisonniers qui ne sont pas occupés aux corvées lisent, assis à l'ombre, leur journal favori (La modestie s'oppose à ce que nous le désignions explicitement).

 

D'autres jouent « aux sous ».

Le plus adroit, celui qui a placé un sou le plus près d'une ligne tracée sur le sol partage avec ses partenaires tout le produit de la partie, du moins les sous tournés du côté pile ou du côté face selon les cas.

Ce n'est pas ruineux.

On double ou on triple sa mise.

Le gain est de quatre ou six sous et servira à s'offrir à la cantine une bouteille de limonade qui, avec la bière, sont les seules boissons autorisées.

 

Au lavoir, plusieurs prisonniers lavent leur linge avec application.

Les chambrées, avec leurs chalits (*) bien alignés, recouverts de maigres paillasses, sont propres.

(*) Cadre de lit en bois ou en métal.

 

LES CUISINES

 

Mais voici les cuisines.

De nombreux cuisiniers s'activent autour des énormes récipients où bouillonne la soupe.

Avec une grande louche, l'un des cuisiniers emplit les boutéions que des hommes à bicyclette vont porter à leurs camarades sur les chantiers éloignés où Ils sont occupés.

 

— Nous faisons de notre mieux, nous dit le chef, pour accommoder les légumes qui nous sont distribués.

 

On ne peut varier le menu :

C'est toujours la soupe et le rata.

Nous touchons suffisamment de légumes ;

pommes de terre ou haricots, mais la portion de viande est minuscule : 50 grammes, par repas !

Une bouchée quand on a enlevé les os et la graisse.

Il parait que c'est la ration du soldat allemand, mais nous qui étions habitués à en recevoir 350 grammes par jour, nous trouvons la réduction pénible.

 

Depuis quelque temps, nous « touchons » le soir de la charcuterie.

Nous avons aujourd'hui du pâté de foie.

Comme nous recevons 500 grammes de pain par jour et que ceux qui ont de l'argent peuvent en acheter à deux boulangers qui passent chaque jour, il est pratiquement à discrétion, et l'on finit, l'appétit aidant, par manger à sa faim.

 

Ce qui nous manque le plus, c'est le pinard.

Tout le temps de « la flotte », ce n'est pas drôle.

Si nous avions seulement un quart de vin, les jeudis et dimanches, nous serions heureux.

 

Tous ceux que nous avons pu interroger, nous ont tenu à peu près le même langage.

 

Ils ne se plaignent ni du travail, ni de la discipline auxquels.

Ils sont astreints, ils s'accommodent de la cuisine, sachant qu'il est difficile pour ne pas dire impossible de faire mieux, sachant aussi qu'on se rattrapera et qu'on se pourléchera quand « la classe arrivera », mais un peu plus de viande et surtout , — ah ! surtout —, un quart de pinard procurerait un adoucissement sensible à la captivité.

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L'INFIRMERIE

 

C'est une baraque, comme les autres, au centre de laquelle, un bureau-salle de visite est installé.

 

Deux médecins, trois secrétaires y sont occupés.

Un médecin de la marine vient de passer la visite.

Deux malades dont l'état  semblait présenter quelque gravité nécessitant leur hospitalisation vont être envoyés à l'hôpital de Saint-Brieuc.

 

En cas d'urgence, les malades peuvent être immédiatement transportés à l'hôpital maritime de Brest où des salles sont encore en service.

 

Quelques malades, dans un état fébrile sont gardés à l'infirmerie dont une corvée de quatre hommes assure chaque Jour l'hygiène et la propreté.

 

Une petite épidémie de diarrhée, de coliques plutôt, en régression d'ailleurs, a fait son apparition dans le camp.

L'eau a été examinée et reconnue potable.

Les prisonniers atteints sont exempts de travail, doivent observer un jour de diète et ne manger pendant deux jours que des pommes de terre bouillies.

Ce régime suffit généralement pour amener la guérison.

 

Les Dames de la Croix-Rouge viennent, en outre, d'être autorisées à apporter chaque soir aux malades du bouillon de légumes.

 

— Voici, nous dit le jeune docteur, les courbes des maladies.

Le trait jaune est celui des diarrhées.

Après être monté assez haut, il est redescendu et a depuis deux ou trois jours des tendances à remonter, très peu, il est vrai, mais cela nécessite une surveillance.

 

Nous avons fait faire une nouvelle analyse de l'eau dont j'attends les résultats.

Nous allons surveiller la charcuterie.

Il faudrait à ces hommes des vitamines, sous forme de fruits ou de légumes crus.

Évidemment ce n'est pas facile au prix où sont les fruits.

 

Le vin, distribué en faible quantité pourrait peut-être apporter un remède.

Il active la digestion et contient des vitamines.

Il vaudrait peut-être mieux en faire une distribution normale afin d'éviter son introduction en cachette au camp, car si, pris à petite dose, il est utile, il serait désastreux absorbé en trop grande quantité.

 

Les prisonniers nous posent des questions auxquelles nous ne pouvons malheureusement pas répondre :

— Quand serons-nous démobilisés et pourrons-nous travailler pour faire vivre nos familles ?

 

C'est là leur grand souci.

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Ce baraquement est réservé aux troupes coloniales.

Il y a là des noirs de Madagascar, du Sénégal, de l'Afrique équatoriale, des Algériens au teint bronzé, des étrangers de la Légion.

 

Un caporal-chef, originaire du Sénégal, du plus beau noir, est chef de chambrée.

Son visage est couturé de cicatrices régulières :

deux traits partant en oblique du nez jusqu'au menton.

Sur les joues, deux lignes barrées de trois traits dessinés perpendiculairement.

 

— Dès ma naissance, explique le caporal-chef, ma maman m'a confié à une voisine pour me tracer sur la figure avec une lame, ces marques indélébiles indiquant la tribu à laquelle j'appartenais.

 

— C'est douloureux ?

 

... On ne s'en rend pas compte, on est trop petit, mais quand on atteint l'âge de douze ans, on vous lime les dents en pointe, ça, on s'en rappelle, car ça fait mal.

 

Et il montre, en riant, une dentition d'une blancheur éclatante, dont les canines se terminent en pointes acérées.

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Un autre, un grand gaillard à l'air très doux, aux yeux mobiles et expressifs, a un regard d'enfant.

Il s'exprime en un français très correct.

Nous l'en félicitons :

 

— C'est un bienfait des Pères blancs, dit-il, de nous apprendre à parler correctement le français.

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Mais l'heure du déjeuner arrive.

Nous ne saurions abuser plus longtemps de l'obligeance des officiers allemands qui nous ont accompagnés dans cette visite d'un camp, bien tenu, placé sous le commandement d'un capitaine sévère, rigide en ce qui concerne la discipline, mais bienveillant et humain.

 

Nous quittons à regret ces prisonniers tenus éloignés de leurs familles, cependant que des femmes, épouses ou mères, chargées de colis, attendent à la porte l'heure de les déposer au corps de garde, en songeant au dimanche, où pendant quelques instants, elles pourront s'entretenir avec l'être cher dont elles espèrent le retour prochain au foyer familial.

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Inauguré le 6 Juin 1937, le stade nautique de Tréornou vit sa quatrième saison.

Certes, celle-ci ne peut ressembler à ses précédentes où presque chaque dimanche, de juin à septembre, les amateurs de sport nautique pouvaient voir les tritons locaux aux prises avec les meilleurs clubs de la région bretonne, de Paris, ou d'ailleurs.

 

Pendant la guerre il ne pouvait être question pour le C. N. B. d'organiser des compétitions du fait de la mobilisation de ses meilleurs éléments et de sa situation isolée dans l'ouest, ses partenaires les plus proches se trouvant à Rennes, à Saint-Nazaire, à Angers et à Paris.

 

Le comité du C. N. B. avait cependant l’intention de consacrer son activité à la natation utilitaire :

apprendre à nager aux enfants, orienter les mieux doués vers la natation sportive, est un vaste champ d'activité.

 

Le mauvais temps retarda l'ouverture du stade, à la fin de mai.

Puis, le 18 juin au soir, celui-ci fut occupé, jusqu'aux premiers jours de Juillet.

 

Tréornou fut alors ouvert au public, mais, jusqu'aux vacances il ne connut d'animation que les jeudis et dimanches.

La venue du soleil aidant, le stade de Tréornou a retrouvé son aspect normal.

La voix puissante du pick-up ne chante plus dans le stade, mais les ébats joyeux des enfants suffisent à égayer cette paisible propriété, située en pleine campagne, à 400 mètres de l’église de Lambézellec, sur un plateau d'où Ion domine toute la ville de Brest.

 

Ouvert le matin, de 9 heures à midi, l’après-midi, de 14 heures à 18 h. 30, Tréornou reçoit journellement une moyenne de 400 baigneurs en majorité, des enfants des deux sexes.

Certains sont accompagnés de leur maman, d’autres, appartenant à des patronages laïques ou religieux, viennent en groupes, à des jours et heures déterminés.

 

Dans le but d'encourager l'heureuse initiative que le Cercle Athlétique Brestois a prise d'organiser chaque jour des séances de cultures physiques et de jeux en plein air pour les enfants, le C. N. B. a également ouvert son stade à ces enfants, dont le nombre dépasse actuellement cent cinquante. . . „

 

Le C. N. B., qui a toujours eu pour principe de mettre à la disposition de tout le monde les modestes installations qui étaient son bien, s'accommodera donc de l'orientation nouvelle que M. Borotra entend imprimer aux sports.

 

Si le stade a quelque peu souffert de l'occupation — 10.000 francs de dégâts environ — le club peut néanmoins poursuivre sa tâche dans des conditions normales.

 

L'école de natation est gratuite pour les enfants, membres du club, qualité que chacun peut acquérir moyennant une cotisation annuelle de 15 francs.

Cette école est dirigée cette saison, par un ancien du club : Guy Callarec, , que la démobilisation a rendu à son foyer.

 

Les personnes non adhérentes au C. N. B. ont la faculté de prendre des leçons particulières, soit pour apprendre à nager, soit pour se perfectionner dans les nages sportives.

 

Ainsi que nous l'écrivions récemment dans ces colonnes, l'eau du bassin de Tréornou n'est pas cette saison, traitée au sulfate d'alumine, pour des raisons d'économie.

De ce fait l'eau conserve la couleur sombre et peu attrayante de l'eau de rivière, mais elle est propre, périodiquement javellisée et renouvelée Journellement.

 

La toilette du bassin ayant été terminée hier, les fervents habitués de Tréornou apprendront avec plaisir que, dès aujourd'hui, la baignade leur est de nouveau ouverte.

 

Nous avons dit, récemment, que pour marquer ses vingt ans d'existence, le comité du C. N. B. étudiait la possibilité d'organiser une réunion populaire, au cours de la présente saison.

 

La date du 1er septembre a été envisagée et des démarches vont être incessamment faites pour obtenir l'autorisation, des autorités françaises et allemandes.

Un match de basket-ball, organisé par le C. A. B., un match de water-polo, entre deux équipes du C. N. B., diverses épreuves de natation, une exhibition de plongeons et de sauvetage, constitueront le programme de cette réunion, dont l'annonce sera, nous en sommes persuadé, des mieux accueillies par les nombreux sportifs de notre ville.

 

Noël KERDRAON

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