top of page
1940 - 1944
Chroniques d'occupation


18 août 1940

Jour 61
 

 

On fait la queue dans cette grande épicerie.

C'est enfin le tour d'une dame qui a pris le soin de préparer la liste de tous les articles dont elle a besoin.

 

En esquissant son plus gracieux sourire commercial, une aimable vendeuse lui demande :

— Vous désirez, Madame ?

— Je vous apporte une commande que vous me ferez livrer demain sans faute, n'est-ce pas ? Voici ma liste.

Attendez, je vais vous expliquer ce que je veux.

D'abord, un litre d'huile d'arachide, pas d'huile d'olive.

Je n'en aime pas le goût et puis elle est trop chère.

Ensuite, un kilo de chocolat d'une bonne marque, une livre de cacao, un quart de thé, trois bottes de lait condensé et un paquet de farine lactée pour mes enfants, une boite de Phoscao pour ma mère, une demi- livre de fromage de gruyère, une tranche de Roquefort...

— Mais, Madame...

— Attendez. Je n'ai pas fini.

Vous joindrez un litre de vinaigre de vin, un kilo de sel blanc, un paquet de Persil et un de Lux,

Je crois que c'est tout et que je n'oublie rien.

Ah si ! Une livre de café, trois pains de savon de Marseille et une douzaine de savonnettes parfumées.

 

La vendeuse peut enfin placer son mot :

— Nous n'avons aucun de ces articles, Madame.

Tout ce que vous demandez est épuisé.

Nous ne recevons plus rien.

Je regrette beaucoup. Madame...

— Comment ?

Dans une grande maison comme la vôtre, on ne peut trouver tout ce dont on a besoin.

Allez me chercher le patron.

— J'y cours, Madame.

​

 

Mis rapidement au courant, le patron intervient :

— Désolé, Madame, de ne pouvoir vous donner satisfaction.

Les circonstances ne nous permettent pas de nous réapprovisionner.

Jusqu'ici nous avons vécu sur no» stocks.

Malheureusement, ils sont épuisés.

 

D'une part, nous ne pouvons employer ni le téléphone, ni le télégraphe, ce qui est fort gênant dans les affaires.

D'autre part, les courriers sont lents.

Nos fournisseurs, quand nos commandes leur parviennent, ne peuvent livrer par suite du manque de transports.

 

Je parle, bien entendu, des produits régionaux.

Inutile de songer à ceux provenant du Midi, de l'Est de la France ou de nos colonies.

 

Les conserves de tomates le savon, les produits pour la lessive, les cristaux ainsi que tout ce qui est à base de cacao, le chocolat, sont introuvables,

Nous savons combien sont utiles, Madame, pour l'alimentation des enfants :

Le lait concentré et la farine lactée, mais nous ne pouvons nous en procurer.

 

La graisse végétale qui nous venait des usines de Marseille manque, ainsi que les huiles d'arachide et même d'olive Vous pour la lessive, un litre d'alcool à brûler... avez dû lire que le ministre de l'Agriculture recommandait de reprendre la culture des graines oléagineuses.

Nous reviendrons peut-être un jour à l'huile de colza, de navette ou d'œillette dont se servaient nos grands- mères, mais en attendant...

— Il va falloir se mettre la ceinture, compléta la petite femme moderne, subitement calmée.

— Avez-vous encore, au moins, de la levure alsacienne pour me permettre de faire de la pâtisserie.

— Hélas I Madame, la scission entre la Bon« libre et nos régions ne permet plus d'en recevoir.

— Alors donnez-moi des conserves :

Quelques boites de saumon, de crabes, de langoustes et pour les desserts des fruits au sirop.

 

— Tout cela était importé et est épuisé

 

Je viens de recevoir des boites de sardines et de maquereaux à l'huile de la nouvelle pêche, mais je ne puis, avant quelque temps, les mettre en vente, il faut attendre que ces poissons aient perdus leur goût de saumure.

 

Vous êtes une bonne cliente, je puis encore vous vendre quelques boites de confitures.

Profitez-en car le stock s'épuise et je crains qu’en raison du manque de sucre et de la rareté des fruits, dont le prix est d’ailleurs exagéré, on ne puisse renouveler l’approvisionnement.

 

— Je comptais recevoir demain toute la commande que je vous destinais.

Me voilà bien déçue.

— Je vous remercie et suis très honoré de votre confiance, Madame.

Mais même si j’avais pu vous procurer toutes ces marchandises, j’aurais été dans l'impossibilité de vous les livrer à domicile :

le manque d’essence, l'interdiction de faire sortir mes voitures m'en auraient empêché.

​

D'autres clientes réclament.

Le patron doit intervenir.

La scène se renouvelle.

Les clientes s'en vont outrées, leur sac à provisions aux trois-quarts vide, en commentant cette raréfaction des marchandises et les restrictions qu'elle va comporter.

​

 

DANS L'ENTREPÔT D'UNE GRANDE MAISON D'ALIMENTATION

 

Parmi les grandes maisons d'alimentation, l'Économie Bretonne était, sans doute, celle dont les stocks étalent les plus importants.

 

M. Thomas, son sympathique directeur, à qui nous contons la scène à laquelle nous venons d'assister dans une maison de détail, veut bien nous confier :

 

— Il est, en effet, impossible de se réapprovisionner en produits provenant de l'est, du midi, du nord et de la région parisienne.

Nous ne pouvons que difficilement nous procurer les produits régionaux, des semoules et tapiocas, des biscuits de la région nantaise, des fromages fabriqués dans notre département et quelques autres produits.

Peu de choses, en vérité.

Je viens d'apprendre qu'une fabrique de chicorée s'est installée à Lourdes.

 

— Pour notre petit déjeuner, nous pourrons toujours, à défaut de café, prendre de la chicorée au lait.

— Nous avons un stock de cafés verts, mais nous ne pouvons le griller.

Nous réclamons en vain le coke nécessaire.

Le préfet a interdit la livraison de tout combustible.

 

— C'est peut-être excessif, car sans gaz, sans alcool à brûler, comment allumer la cuisinière pour faire chauffer les repas ?

Au bois ?

Mais son prix, avec les frais de transport, est onéreux, car on en consomme beaucoup.

 

— Parlons-en des transports.

En septembre dernier, nous avions 70 voitures, y compris les véhicules utilisés par nos nombreuses succursales.

Ces voitures ont été supprimées dès la déclaration de guerre.

 

Quand la pénurie d'essence s'est fait sentir, nous avons demandé vingt-deux laissez-passer.

Pour assurer d'une façon à peu près normale le ravitaillement de nos succursales éloignées — réparties sur trois départements — nous considérions nombre comme indispensable.

 

En appliquant, au petit bonheur, le principe de réduire de 50 % les demandes, on nous a accordé treize laissez-passer ce qui est notoirement insuffisant.

 

Remarquez que sur ces 13 voitures nous utilisons pour les localités les plus éloignées deux camions sont munis de gazogènes.

 

Partout où l'on peut utiliser le chemin de fer, nous avons recours à ses services.

Nous ne nous servons des camions que pour les localités se trouvant dans un rayon de 60 à 80 kilomètres et démunies de voies ferrées.

 

En 1920 — qui aurait pu prévoir alors ce qui nous attendait ?

— nous nous étions débarrassés de nos chevaux et avions transformé nos écuries en garage d'autos.

 

Il nous a fallu racheter cinq chevaux, leur harnachement, transformer des voitures pour assurer les livraisons aux succursales de la ville.

Tout cela nous entraîne à des frais considérables pour tenter d'éviter une complète paralysie des affaires, faire vivre notre personnel et assurer, de notre mieux, le ravitaillement de notre nombreuse clientèle.

 

C'est bien simple :

Si aucune mesure n'est prise rapidement pour la reconstitution de nos stocks épuisés, si l'on ne parvient pas à assurer le réapprovisionnement en denrées alimentaires, nous n'aurons bientôt plus rien.

​

 

Autrefois, les foires et marchés aux chevaux à Quimper étaient très importants ;

on voyait, sur les différentes places de la ville, aux foires du 15 avril et du 2 mai, 800 chevaux et poulains de l'année et même parfois un nombre plus considérable.

 

À ce chiffre on doit ajouter celui, assez élevé, des bêtes achetées avant la foire, sur les routes menant à Quimper, ce qui, du reste, fut interdit.

 

Les principaux acheteurs étaient des marchands de Landivisiau, de la Charente et du Sud-Ouest de la France.

 

Cette année ces foires furent beaucoup moins importantes en raison de la réquisition des chevaux de travail dans les campagnes ;

néanmoins, les poulains furent amenés en assez grand nombre à Quimper.

 

Actuellement la foire mensuelle, le 3e samedi du mois, est loin de nous offrir un lot de 300 chevaux environ, comme avant la guerre.

Cependant, on y trouve encore quelques beaux spécimens.

 

Les chevaux de travail de la région se vendent entre 8.000 et 12.000 francs et les poulains, en moyenne 2.500 francs.

​

 

M. Merle, directeur des services vétérinaires du Finistère, nous dit :

Il serait intéressant que les foires reprennent comme par le passé pour apporter plus de régularité aux cours.

Les achats directs à la ferme vont être interdits définitivement, afin de permettre la reprise de l'activité des foires et des marchés, qui avaient tendance à disparaître dans de nombreux centres du département.

En raison de la pénurie d'essence, les marchands ne pouvant, malgré l'interdiction, parcourir les fermes, les foires seront mieux achalandées, les transactions seront plus régulières et les prix, étant connus, mieux appropriés.

La reprise des foires, dans ces conditions, servira les intérêts des éleveurs et des acheteurs.

 

M. Merle est mieux placé que quiconque pour émettre un avis au sujet de ces foires et donner des conseils aux intéressés.

 

De plus, le commerce dans les centres où auront lieu les foires ne pourra qu'y gagner.

​

bottom of page