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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


2 août 1940

Jour 45
 

 

Dans la soirée du 18 Juin, toutes les routes et passages à niveau autour de Lesneven furent coupés par des barrages constitués, aux passages à niveau, au moyen de wagons du chemin de fer départemental renversés ou dérailles ; sur les routes, par des voitures, charrettes ou camions, chargés de pierres ou de billes de bois.

 

Ces barrages étaient au nombre de sept :

À Croas-ar-Rod, sur la route de Landerneau, avec une mitrailleuse ; au passage à niveau de Kernaon, sur la ligne de Ploudaniel ; à Kerana, sur la route du Folgoët à Brest ; à Pen-ar-Coat, sur la route de Guissény ; au Saint-Esprit, sur la route de Plouider, enfin au passage à niveau de la route de Lanhouarneau et à la gare de Lesneven.

 

Si les barrages étaient nombreux, le détachement chargé d’en défendre les abords était maigre :

Une trentaine de soldats coloniaux, sous les ordres d’un lieutenant, avec quelques fusils-mitrailleurs et l’unique mitrailleuse de la route de Landerneau.

 

La population de Lesneven se montra très hostile à cette inutile démonstration.

Le maire, M. le docteur Duterque, et le premier adjoint, M. Airio, représentèrent au lieutenant le danger que pouvait faire courir à la ville l’établissement de barrages qu’il serait incapable de défendre puisqu’il ne disposait que de cinq ou six hommes pour chacun d’eux.

 

— Si vous tenez à vous battre, dit un ancien officier, courroucé, allez-vous établir en rase campagne, là-haut sur la crête, en dehors de la ville, mais demandez alors de puissants renforts...

— J’exécute les ordres qui m’ont été donnés, répliqua le lieutenant.

Ma mission est moins de combattre que de fournir des renseignements sur l'avance des Allemands.

 

Le premier soin de ceux-ci étant de couper les communications téléphoniques, on ne savait encore exactement, le mardi soir, où se trouvaient les troupes assaillantes

 

LA POPULATION AVAIT DOUBLÉ

 

Depuis ou quatre jours, la population de Lesneven avait doublé.

La ville hébergeait déjà 600 réfugiés français et belges, des repliés volontaires de Brest et étaient arrivés en grand nombre.

 

Les habitants les avaient accueillis fraternellement, mais ce surcroît de population créait une crise des denrées.

Le pain faillit manquer.

 

M. Briat, régisseur de la cantine des réfugiés, avait heureusement pu se procurer, aux moulins du Châtel, 5.000 kilos de farine et, grâce à la bonne la bonne volonté des boulangers, faisant un nombre de fournées supplémentaires, on put augmenter d’une façon à peu près normale les distributions de pain et tous les réfugiés purent être nourris à la cantine.

 

Malgré l’hostilité grandissante de la population, cinq ou six hommes prirent position, le soir, derrière chacun des barrages, et la nuit se passa dans le calme et l’attente.

 

Le 19 au matin, le lieutenant reçut l’ordre d'abandonner ses positions.

Ses hommes s'échappèrent, l'officier, resté dans la ville devait être plus tard fait prisonnier.

 

Vers 10 heures, un automobiliste annonça que les Allemands étaient à une dizaine de kilomètres de la ville.

La municipalité se hâta de faire enlever les barrages.

On n’eut pas besoin de prier longtemps les habitants pour qu’ils rendissent le passage libre.

 

À 11 h. 30, l'avant-garde allemande fit son entrée.

Pendant une courte halte qu'elle fit sur la place, des patrouilles de motocyclistes circulèrent.

On n'avait pas eu le temps d'enlever les wagons obstruant le passage à niveau de Kernaon.

Ils le déblayèrent, s'engagèrent jusqu'à la gare et après une courte reconnaissance, regagnèrent la place.

L’avant-garde s’engagea sur la route de Gouesnou.

 

Trois jours après, la municipalité organisait des services d’autocars pour rapatrier les habitants de Brest et de Landerneau, qui regagnèrent leurs pénates peu à peu.

 

À GOUESNOU

 

À l’angle des routes de Plouvien et de Lesneven avait été placé un barrage fait d'un double rang de chevaux de frise semblables à ceux employés à Guipavas.

 

Un officier, originaire de Lesneven, commandait à Gouesnou le centre de résistance.

 

À l’entrée du bourg, à une centaine de mètres des chevaux de frise, à l'abri d'un muretin, une pièce de 75 fut mise en batterie.

Un peu en avant, devant l'entrée de l’ancienne gare, furent braquées des mitrailleuses placées de chaque côté de la route.

 

Routes de Lannilis, de Saint-Renan et de Brest, des voitures, des autocars entrecroisés formaient des barrages.

 

Le 19, à midi, le 75 tira coup de canon.

Ce n’était qu’un réglage de tir.

La population se dissémina dans les champs.

 

Mitrailleurs et canonniers attendirent, à leurs postes, jusqu’à 19 heures, pour voir arriver les premiers motocyclistes allemands.

 

Cinq ou six coups de canon furent tirés, puis la troupe laissa le champ libre.

Il arrivait d’ailleurs une auto dans laquelle se tenait debout, entre deux soldats allemands, un garde mobile de Plabennec.

 

Le gros de la colonne allemande passa sans s’arrêter et défila de 20 heures à 22 h. 30.

 

Elle put poursuivre ensuite sa route sans encombre jusqu'à Brest, où elle arriva à peu près en même temps que l'autre colonne venant, par la rue Jean Jaurès, de Landerneau.

On sait le reste.

 

Les « combats » autour de Brest avaient été la conséquence d'une mauvaise interprétation de la décision du gouvernement déclarant ouvertes les villes de plus de 40.000 habitants.

L'autorité maritime n'avait pas admis, en effet, qu'un port militaire pût être considéré comme ville ouverte.

 

FIN

 

M. Le Gorgeu, sénateur-maire, avait convié, hier, à une réunion qui se tint à la mairie, à 10 h. 30, les représentants de diverses sociétés de la ville, pour la constitution d'un comité d'entr'aide, dont le but serait de secourir les victimes de la guerre et de ses conséquences.

 

On ne fait jamais appel en vain aux bonnes volontés, quand il s'agit de faire le bien.

L'assistance fut nombreuse.

Tous ceux qui, déjà, pendant la guerre, n'avaient ménagé ni leur temps, ni leurs peines pour venir en aide aux mobilisés et à leurs familles dans le besoin, avaient répondu à l'invitation du maire.

 

M. Le Gorgeu a, à ses côtés, MM. Lullien, premier adjoint ; Toullec, chargé p. i. des œuvres sociales ; Lottiaux, secrétaire général.

 

Devant eux, prennent place Mmes les conseillères municipales adjointes Mmes Chabal, Callarec, Soufflet, Alexandre, Le Guyader ;

MM. le chanoine Courtet, curé de Saint-Louis ; le pasteur protestant, le contrôleur général Corre, du Comité d'entr'aide aux mobilisés ; le colonel de Réals et Mme Laulaigne, de la S.S.B.M. ; M. Thiébaut, de l'U.F.F. ; MM. Desroches, de l'U.N.C. ; Olivon, de l'Association fraternelle des mutilés ; Podeur, des blessés du poumon ; Mmes Picot, de la Charité fraternelle ; Berger, de l'Union catholique d'action sociale ; Mary, de l'Union civique et sociale ; MM. Berthelot. secrétaire de l'Union départementale des syndicats ouvriers ; Floch, secrétaire de la C.P.T.C. ; l'ingénieur en chef Guépin et Mme Thésée, des conférences de Saint-Vincent-de-Paul ; Mmes Le Couteur et Huau, du Comité d'entr'aide aux mobilisés ; MM. le docteur Delalande, de l'Automobile-club ; Branellec et Fichoux, président et vice-président des auxiliaires de la défense passive ; les représentants des patronages laïque et catholique ; des scouts et éclaireurs de France ; MM. Le Hénaff, receveur municipal ; Keraudy, chef du bureau de placement ; etc..

 

M. Le Gorgeu, après avoir remercié toutes les personnes qui ont bien voulu répondre à son appel, expose les buts très divers envisagés par le comité d'entr'aide qu'il s'agit de former.

 

La ville de Brest, dit-il en substance, qui vivait surtout de la marine et de l'arsenal, va se trouver particulièrement atteinte, il s'agit de venir en aide aux victimes de l'état de choses actuel.

 

Il convient de coordonner les efforts et ne pas laisser disperser les bonnes volontés ;

ce seront les tâches du comité central d'entr'aide qui sera placé sous le contrôle de l'administration municipale.

 

Son premier soin sera d'assurer la nourriture des personnes privées de ressources.

 

Il convient donc d'instituer des « soupes populaires ».

Un repas semblable sera distribué à midi et le soir à toutes les personnes reconnues nécessiteuses, après enquête sur leur situation.

 

Le prix du repas, comprenant une soupe et un plat de viande garni, sera fixé à 2 fr. 50 pour un adulte, à 2 francs pour les enfants de 5 à 12 ans.

Il sera gratuit pour les enfants au-dessous de 5 ans.

Des tickets gratuits seront accordés aux personnes reconnues, après un contrôle très strict, dans l'impossibilité de payer leur repas.

 

Ces soupes populaires seront d'abord servies dans les cantines scolaires, en commençant par la plus centrale, celle de l'école de la rue Monge.

 

S'il est nécessaire, l'on demandera à divers groupements d'organiser des soupes analogues.

 

Les sociétés de la Croix-Rouge sont chargées de, fournir des renseignements sur les prisonniers.

 

Par ailleurs, il sera indispensable d'organiser l'expédition de colis dans les camps de prisonniers, soit en Allemagne, soit en France, surtout dans notre région.

 

Il ne faudra pas oublier les démobilisés, retenus dans la zone libre et ne pouvant être rapatriés.

Le comité fera, auprès des autorités allemandes, toutes les démarches nécessaires pour assurer ces envois.

 

L'œuvre du vestiaire pourra aussi rendre de grands services en distribuant aux sans-travail du linge et des vêtements.

S'il est encore possible de se procurer des étoffes, on devra, sans doute, envisager la création d'un ouvroir.

 

Bref, conclut M. Le Gorgeu, les tâches ne manqueront pas.

Pour les accomplir, il sait pouvoir compter sur la bonne volonté de tous.

 

Les ressources proviendront de subventions, de dons et de versements par les groupements adhérents.

 

À une demande du maire, M. Berthelot répond qu'une grande majorité des ouvriers conservant leur emploi, ne se refuseront pas, pour venir en aide à leurs camarades sans travail, de verser le produit d'une heure de travail par semaine à la caisse d'entr'aide.

 

Les directeurs et chefs d'industrie ne manqueront sans doute pas d'apporter aussi leur contribution à cette bonne œuvre.

 

M. le maire donne ensuite lecture des statuts qui sont adoptés à l'unanimité:

 

Il est créé à Brest, sous le contrôle de l'administration municipale, un comité central d'entr'aide, dont le siège social est à la mairie.

 

BUT

 

Ce comité, auquel peuvent s'affilier tous les groupements existant à Brest, ainsi que les personnes isolées, se propose d'apporter aide à tous ceux qui ont à souffrir de la guerre ou de ses conséquences.

 

CONSEIL D'ADMINISTRATION

 

Le comité est administré par un conseil d'administration de 25 à 40 membres, comprenant de droit : Le maire ou son représentant ; les 6 conseillères municipales adjointes ; le receveur municipal ; le directeur du bureau de placement ; un représentant de la commission administrative du bureau de bienfaisance ; le curé de Saint-Louis ; le pasteur protestant ; le secrétaire de l'Union départementale des syndicats ouvriers ; le secrétaire de l'Union départementale de la C.F.T.C. ; un représentant de chacun des divers groupements affiliés et en outre, le cas échéant, des personnalités susceptibles de rendre « de signalés services » à l'œuvre.

 

BUREAU

 

Le conseil d'administration nomme un bureau comprenant :

1 président, 2 vice-présidents, 1 secrétaire, 1 secrétaire-adjoint, 1 trésorier, 1 trésorier-adjoint.

 

Le bureau règle toutes les affaires courantes, il propose au conseil d'administration la répartition des fonctions entre les divers groupements affiliés et les attributions de fonds selon les besoins.

 

RESSOURCES

 

Les ressources du comité, rassemblées en un fonds unique, proviennent de subventions, de dons, de versements par les groupements adhérents, etc...

 

Les dons en nature (vêtements, linge, aliments) seront acceptés.

 

DISSOLUTION

 

En cas de dissolution les fonds disponibles seront répartis, par les soins du conseil d'administration, entre les œuvres charitables existant dans la ville.

 

Il ne reste plus qu'à nommer les membres du bureau.

 

Le maire (ou son représentant) assumera les fonctions de président.

MM. le curé de Saint-Louis et le contrôleur général Corre sont élus vice-présidents.

M. Fichoux, secrétaire, et Mme Mary, secrétaire adjointe.

M. Le Hénaff, receveur municipal, trésorier, et M. Berthelot, secrétaire des syndicats ouvriers, trésorier adjoint.

 

La séance est levée à midi.

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