1940 - 1944
Chroniques d'occupation
21 août 1940
Jour 64
C'est mardi, l'un des jours de marché aux légumes de la place Ferrer.
Quand nous y arrivons, à 7 h. 30, une vive animation y règne déjà.
Mareyeurs du Conquet ou de Portsall qui sont allés dans les différents petits ports des alentours chercher le poisson qui leur manquait pour aller le livrer à Brest, déchargent de grands paniers remplis de homards, dormeurs et crabes araignées.
Des caisses contiennent des poissons de toutes sortes pêchés la veille ou dans la nuit ;
lieus, tacots, mulets, vieilles, maquereaux etc...
Une odeur de marée fraîche se répand aussitôt dans l'air, tandis que les marchandes des halles s'affairent.
Il y a toujours un peu d'embauche pour certains à l'arrivée des voitures amenant ces denrées, qui, en raison de leur fraîcheur tenteront bien vite la clientèle.
Si les clients de la halle aux poissons sont encore, à cette heure, assez rares, il n'en est pas de même sur la place où se tient le marché aux légumes.
Maraîchers, cultivateurs, propriétaires de jardins que les temps difficiles ont fait improviser marchands ont, depuis longtemps déjà, offert leurs produits aux ménagères matinales.
Cultivateurs et cultivatrices des communes environnantes et de localités fort éloignées ont quitté, à l'aube, champs, fermes ou jardins pour venir vendre leur récolte à la ville.
Ils ont gagné le marché dans leur carriole, quelques-uns en camionnette ;
d'autres, dont l'habitation est aux environs, ont placé leurs légumes dans une voiture à bras.
Ces véhicules occupent toute la longueur de la rue Jules Michelet où ils sont rangés.
Ménagères, petits revendeurs, se pressent au milieu de tout ce déballage de légumes divers, renfermés dans des sacs ou des paniers.
On doit faire des enjambées pour passer d'un lieu à l'autre.
On marchande, on discute les prix de tel ou tel produit.
C'est une véritable bourse du commerce qui se déroule sur la place.
La vente au détail n'étant permise qu'à partir de neuf heures, on n'achète, ici, que par grosses quantités.
Aussi, beaucoup de ménagères, soucieuses de leurs intérêts n'hésitent-t-elles pas à se lever un peu plus tôt que de coutume pour faire quelques provisions qui leur dureront huit ou quinze jours et qu'elles auront payé meilleur marché.
Elles retournent chez elles, les bras lourdement chargés.
Pommes de terre, en sacs ou en cageots de 100, 50 ou 25 livres, salades, poireaux, radis, oignons, s'enlèvent rapidement.
Une douzaine par ici, une douzaine par là.
— Combien ce cageot de pommes, demandons-nous à un maraîcher de Loperhet ?
— Trente francs. Il y a 20 livres, cela fait 1 fr. 50 la livre. Elles sont excellentes.
Nous n'en doutons pas.
La semaine passée cependant, il y en avait à 20 sous.
Tout cela dépend aussi de la qualité.
Un peu plus loin, une ménagère marchande des salades.
— Huit francs la douzaine.
— Et les radis ?
— Dix francs.
La cliente hésite, contemple les belles bottes.
— Vous me les laisserez à neuf francs.
Le vendeur a répondu négativement, mais la cliente s'est baissée et prend les bottes qui, une à une disparaissent dans le sac qu'elle a déposé à terre.
Derrière nous, une petite marchande charge dans une voiture d'enfant des pommes de terre, des carottes, des oignons.
Les pommes de terre se vendent 60 francs les 100 livres ;
les carottes, vingt sous la livre ;
les oignons, de 6 à 8 francs le paquet de douze ;
les poireaux, 7 francs ;
les petits pois, de 4 à 5 francs le kilo.
Le mardi et le vendredi, au marché de la place Ferrer, on fait de bonnes affaires.
Principales cotations :
pommes de terre rouges, 60 fr. ;
blanches, 55 fr. les 50 kilos ;
carottes 100 francs les 50 kilos, en paquets 12 à 15 fr. la douzaine ;
oignons, 100 fr. les 50 kilos, 6 fr. les douze paquets ;
échalottes, les 12 paquets 8 fr. ;
choux, la douzaine 20 à 30 fr. ;
artichauts, 5 fr. le kilo ;
haricots verts, 5.50 à 6 fr. le kilo ;
tomates, 3 fr. 50 le kilo ;
pommes du pays, 2 fr. 50 à 3 fr. le kilo ;
poireaux, 6 à 7 fr. les 12 paquets ;
salade, 10 fr. la douzaine ;
petits pois, 5 fr. le kilo ;
radis, les douze paquets, 10 francs.
Quatre-vingts ouvriers procèdent actuellement à la pose d'un câble téléphonique sur le côté gauche de la route Brest-Landerneau.
Adjugés par les P. T. T. à une entreprise privée, les travaux avaient été interrompus en juin dernier. Ils ont été repris il y a trois semaines et seront bientôt terminés
Échelonnée sur une centaine de mètres, l'équipe la plus nombreuse creuse au pic une tranchée dans un sol rocailleux qu'il faut fréquemment défoncer à l'aide de perforeuses pneumatiques.
Quand le gros câble, puissamment protégé, est allongé au fond de l'excavation, une autre équipe d'une douzaine d'hommes l'enterre aussitôt en rebouchant la tranchée.
Ce travail achevé, toute liaison téléphonique aérienne à grande distance sera supprimée.
Le câble souterrain sera le dernier tronçon qui, raccordé à Landerneau à celui déjà posé, réunira Brest à Nantes par Châteaulin, Quimper, Quimperlé, Vannes et Redon.
Il restera ensuite à relier Brest à Paris, soit par Redon-Rennes, soit par Nantes-Angers-Tours.
Toute la France sera ainsi équipée de lignes téléphoniques souterraines.
Dans notre région, où les tempêtes sont si fréquentes, et faisaient souvent subir des dégâts aux lignes aériennes, l'emploi du câble souterrain améliorera les communications téléphoniques... quand nous pourrons enfin les utiliser.