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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


23 août 1940

Jour 66
 

 

Le sabotage à la main tend à disparaître.

Malgré les grandes difficultés à vaincre pour remplacer le travail manuel par un procédé mécanique plus prompt et plus économique, l'on est parvenu à créer un système consistant en une mèche de forme spéciale coupant à la fois par le bout et les côtés et animé d'un mouvement de rotation rapide.

 

Un instrument rappelant le pantographe permet, par toutes les positions qu'il peut prendre, de manœuvrer la mèche dans toutes les directions, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du sabot, de sorte qu'une seule machine suffit pour le dégrossir et le finir.

 

*

**

 

Les sabotiers du bois de la Haye parlent peu.

Attentifs à leur travail, ouvriers consciencieux, ils peinent sans perdre une seconde pour accomplir la tâche qu'ils se sont imposée pour la journée.

 

Loin des bruits de la ville, cette heureuse famille ignore la radio.

Elle se contente du chant des oiseaux.

Au théâtre, au cinéma, elle préfère le spectacle de la nature.

II ne faut pas plaindre les sabotiers.

Comme l'a dit Boileau :

« L'homme de la nature est le chef et le roi ».

 

Et puis, ne serons-nous pas obligés d'utiliser les services des sabotiers et de nous remettre bientôt au port des sabots de bois ?

 

LE CUIR MANQUE

 

Il n'est, en effet, plus possible de trouver dans les magasins : « chaussure à son pied ».

 

Pour les hommes, toutes les tailles normales, 41, 42, 43 sont introuvables.

Il ne reste que quelques « 44 fillette », dans lequel le pied serait peut-être un peu trop à l'aise.

 

Les dames ne sont pas plus favorisées.

Les pointures 37, 38, 39, 40 manquent et le réassortiment ne semble pas, en raison de l'absence du cuir, devoir se faire de sitôt.

Il ne reste dans les magasins que quelques « rossignols » dans ces pointures :

des bottines montantes, souliers de toile ou de bains de mer, ou chaussures de luxe invendues ou invendables en raison de leur prix.

 

LES AVANTAGES DU SABOT SUR LES SOULIERS À TALONS-ÉCHASSES

 

— Ah ! nous a dit un médecin, si l'absence de chaussures à talons exagérément élevés pouvait faire renoncer à cette mode stupide, cause de la déformation de l'ossature de tant de pieds et de tant de colonnes vertébrales !

 

Les excès de cette mode torturent les femmes qui, pour faire petit pied et paraître plus grandes, tolèrent... disons stoïquement de meurtrir leurs orteils repliés, recroquevillés, tordus à la chinoise.

 

Les malheureuses suppriment dans cette position le jeu de l'articulation principale permettant au pied d'osciller d'avant en arrière.

Les muscles qui assurent ce jeu, en marche normale, les fléchisseurs et les extenseurs de la jambe deviennent impuissants, immobiles, voués à l'atrophie et leurs fonctions réduisent la circulation veineuse.

 

Ne pouvant plus circuler en auto, la femme élégante devra marcher à pied.

Le sabot de bois à talon plat supprimera l'allure raide et saccadée que lui donnait le port des hauts talons.

 

Le déplacement en avant de son centre de gravité et des aplombs d'équilibre l'avait obligée au rejet en arrière des épaules, à la saillie du ventre en avant, ce qui lui donnait une attitude lasse et abandonnée qui s'est accentuée avec l'élévation progressive du talon et avec la réduction de ce même talon à la grosseur d'un gros crayon.

 

Le port du sabot de bois reposerait ces pieds endoloris.

La marche activerait le travail musculaire des membres inférieurs qui est d'une importance déterminante sur la circulation générale.

 

L'immobilité des muscles de la jambe dans la marche sur hauts talons accentuait la stagnation du sang en causant aux femmes de l’hypertension, des douleurs lombaires, du ventre et varices violettes, hideuses sous leurs bas transparents.

 

L’organisme de la femme proteste contre l'anomalie du fonctionnement que la position vicieuse du pied lui impose.

Il faudrait bien faire comprendre aux femmes — surtout aux jeunes — que le port de talons cambrés d’une hauteur supérieure à 4 centimètres mesurés verticalement, ne peut faciliter ou exagérer les troubles circulatoires dont elles se plaignent.

 

Malgré les incessants conseils des hygiénistes, les femmes coquettes, trop attachées à observer la mode, ont toujours résisté à la suppression radicale du haut talon ;

le manque de chaussures de cuir, en les obligeant à porter des sabots de bois, va peut-être supprimer le danger du talon-échasse et ce sera tant mieux.

 

Tant mieux aussi pour les sabotiers.

Alors comme Anne de Bretagne, chantons :

« Ah ! Ah ! Ah ! Vivent les sabots de bois ! »

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