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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


24 juillet 1940

Jour 36
 

 

Les services de l'artillerie navale seront les plus atteints du fait de la situation actuelle.

Si les constructions navales peuvent envisager une reprise partielle de leur activité, dans un délai plus ou moins rapproché, on ne saurait en dire autant des services de l'artillerie.

 

Pour l'instant, l'ingénieur général Fayolle, directeur de l'artillerie navale et de la pyrotechnie de Saint-Nicolas, occupe ses artificiers, d'accord avec les autorités allemandes, à la récupération des munitions anglaises disséminées un peu partout sur les routes et dans les champs.

Elles constituent, en effet, un danger pour les enfants et les profanes.

Nous avons déjà signalé des accidents graves, sinon mortels, occasionnés par ces munitions.

C'est donc un travail utile, mais il sera de courte durée

 

M. l'ingénieur général Fayolle, s'efforçant de procurer du travail à ses ouvriers, a pensé que pour parer à la pénurie d'essence, la remise en marche et l'exploitation des chemins de fer départementaux, la transformation des camions pour la marche au charbon de bois et la réadaptation d'un manège de chevaux à une batteuse à essence rendraient d'utiles services.

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LA REMISE EN MARCHE DES CHEMINS DE FER DÉPARTEMENTAUX

 

L'autocar avait détrôné le petit tortillard qui, à travers champs, roulait, poussif, lentement, mais finissait par suivre ponctuellement son horaire.

 

La rareté de l'essence a déjà obligé à revenir à la traction hippomobile.

Pourquoi, comme le propose le directeur de l'artillerie navale, ne rétablirait-on pas le petit train ?

 

Les lignes Landerneau-Lesneven-Saint-Pol-de-Léon et Douarnenez-Audierne rendraient pour le ravitaillement en légumes et poissons de grands services à la population.

 

M. l'ingénieur général Fayolle a offert aux services des Ponts et Chaussées de remettre en état les voies, avec son personnel, de reposer les rails et traverses enlevés sur 1.500 mètres environ, de remplacer les rails dont s'est servi la marine par ceux des voies dont la remise en service ne serait pas envisagée, de réparer les locomotives et les wagons et même de se charger de l'exploitation.

 

Un rapport dans ce sens a été adressé au préfet du Finistère.

 

Il faut souhaiter qu'il ait son agrément car, en l'absence des transports routiers, les petits chemins de fer départementaux, malgré toutes les critiques que leur emploi périmé ont pu soulever, rendraient aujourd'hui à la population les plus appréciables services.

Il faut donc souhaiter, non seulement que ce projet soit adopté, mais encore que sa réalisation commence au plus tôt pour donner, avant qu'il ne soit trop tard, du travail aux ouvriers.

 

LES GAZOGÈNES

 

L'artillerie navale a envisagé aussi la transformation, des camions automobiles.

Pour éviter la consommation d'essence elle les munirait de gazogènes, avec chauffage au charbon de bois.

 

De nombreux transporteurs emploient ce mode de locomotion et s'en trouvent bien.

Il est économique et le coût de la transformation serait compensé par l’économie de combustible.

 

POUR LES BATTAGES

 

Enfin, toujours dans les mêmes buts — procurer du travail aux ouvriers et économiser l’essence — l'artillerie navale propose la réadaptation d'un manège de chevaux à une batteuse à essence

 

Un devis a été établi pour la fourniture des différentes pièces nécessaires au prix le plus bas.

Un catalogue sera adressé aux maires des communes et aux entrepreneurs de battage que cette solution pourrait Intéresser.

 

Ces trois projets méritent un examen attentif et il faut remercier ceux qui en ont pris l’initiative dans un but d’intérêt général.

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Les Brestois sont désemparés parce qu'ils ne prennent plus, sur la place de la Liberté, trente ou quarante autobus quotidiens pour les mener dans tout le Finistère ;

dix pour Landerneau, autant pour Lesneven, quatre ou cinq pour Carhaix, etc..

 

Il suffit pourtant d'être né avant 1900 pour se rappeler que ces commodités sont toutes récentes.

Mais que faire ?

À l'égard des conquêtes de la technique, l'homme a toujours été un vilain petit ingrat.

Il les trouve naturelles parce qu'il en prend vite l'habitude.

Et comme il est aussi un vilain petit paresseux, il crie comme un brûlé quand il ne peut plus parcourir, assis dans son fauteuil, les kilomètres que son père et son grand-père ont toujours faits à pied.

 

Certes, beaucoup de ces moyens de transport, dont les circonstances présentes nous privent, se révélaient extrêmement utiles, et même fortement avantageux.

Il y a des voyages et des transports qu'on doit considérer comme des auxiliaires de la production, et qui, par conséquent, lorsqu'ils deviennent impossibles, diminuent la production et donc la richesse générale.

 

Dans ses « Principes d'économie politique » Charles Gide avait nié que la circulation constituât l'une des étapes du circuit des richesses.

Il la considérait en soi comme stérile : on ne circule pas pour circuler, déclarait-il.

Réduisant la circulation à l'échange et au crédit, il n'étudiait pas, pour elle-même, l'industrie des transports.

 

Ce brave professeur exagérait.

Quand on est sûr qu'une marchandise périssable arrivera rapidement sur un marché éloigné, auquel la lenteur des communications ne permettait point de faire des envois, on est incité à en produire davantage.

Voilà un cas évident où le perfectionnement des transports se révèle directement productif.

 

La circulation stérile vient d'une mauvaise organisation des transports.

Par exemple, faire circuler deux trains par jour sur un trajet, alors que le trafic n'en exigerait qu'un, pour faire plaisir à Monsieur le conseiller général, voilà de la circulation stérile.

C'est le public, c'est-à-dire à l'acheteur, qui est responsable de l'existence de trop d'autocars (comme aussi de trop d'écoles sans élèves et de trop de palais de justice sans justiciables).

 

La conséquence consiste dans un déséquilibre industriel.

On peut légitimement se demander s'il n'existe pas trop de fabriques d'automobiles en France, qui produisent trop d'autocars, non justifiés par le trafic commercial, trop de voitures de tourisme à utiliser uniquement pour l'agrément de leurs propriétaires, et pas assez de tracteurs agricoles, ou autres appareils directement complémentaires de la production.

Ne trouverait-on pas là une répartition répréhensible de diverses activités industrielles du pays ?

Monsieur le ministre de la Production pourra sans doute s'en occuper un jour.

Quand un particulier possède, j'imagine, un million, il ne met pas comme on dit, tous ses œufs dans le même panier.

Dans l'organisation de l'économie et de la richesse d'un pays, les dirigeants devraient ainsi veiller à ne pas laisser se développer outre mesure certaines industries qu'ils protégeraient ainsi contre les crises.

 

Nous ne rêvons point ici la suppression du machinisme, et en particulier celle de l'automobilisme.

Non seulement beaucoup de gens vivent de l'automobile, mais le machinisme tout entier a permis dans tous les pays du monde des accroissements énormes de population depuis un siècle.

Supprimer le machinisme équivaudrait à condamner à mort tous les hommes auxquels son développement a tout simplement permis de naître.

 

Nous ferons simplement deux remarques auxquelles l'actualité confère une certaine valeur.

 

L'automobile, même indispensable, dépense de l'essence, et l'essence doit être payée en devises étrangères (alors que la circulation hippomobile reposait sur le cheval, produit national).

La circulation automobile s'affirme donc plus que stérile, désastreuse.

 

Notre seconde remarque aura plutôt le caractère d'un vœu.

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