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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


27 juillet 1940

Jour 39
 

 

Le ministre de l'Agriculture vient de déclarer que les récoltes des céréales et des fourrages seraient plutôt bonnes, cette année.

 

Nous avons demandé à des cultivateurs de la région si tel était leur avis.

Leurs opinions varient selon l'exposition de leurs cultures, mais en général ils s'accordent pour dire que les pluies persistantes de juillet nuiront à la qualité de la très prochaine récolte, dont le déficit pourrait atteindre 20 à 30 %.

 

NOUS NE MANQUERONS PAS DE PAIN...

 

— Rassurez-vous, nous dit l'un de leurs porte-parole, vous ne manquerez pas de pain l'hiver prochain.

Il reste, de l'an dernier, un stock important de blé.

 

Heureusement d’ailleurs.

Les pluies et le vent de ce mois maussade ont, dans de nombreux champs, couché les blés et causé quelques dégâts qui laissent craindre une récolte déficitaire de 25 % sur les prévisions.

 

L'épi couché germe sur la terre.

Au lieu d'être doré, gonflé par l'eau, il est brun, presque noir.

Sa qualité laisse à désirer, mais rien n'est encore désespéré.

 

Si, selon les apparences, le temps s'améliore, tout peut s'arranger, il suffit pour cela d'un peu de chaleur, de huit jours sans pluie.

 

Pas une trop forte chaleur cependant ;

autrement il se produirait une rapide évaporation de l'eau contenue dans l'épi, qui en ridant le grain, diminuerait son rendement en farine.

 

Les blés, semés à l'automne, donnent, en général, les meilleurs produits.

Sans doute, en raison des semailles d'octobre, retardées à la suite de la mobilisation, les plantes peu rustiques sont, cette année, les plus touchées.

Les blés de mars ont mieux résisté.

 

L'AVIS DU MINOTIER

 

— Je crains, dit à son tour un minotier, que le grain, par suite des pluies, ne donne un mauvais rendement.

Il est possible que le blutage soit de 60 au lieu de 70 %, l'extraction de la farine sera, en effet, moins complète, parce que toujours, à cause de l'humidité, une plus grande partie restera collée à l'enveloppe du grain.

 

Dans notre région, on procède, dès sa fauchaison, au battage du blé.

Le manque de place ne permet pas, comme dans les plaines de la Beauce, par exemple, de le laisser en meules pour ne le battre qu'en hiver.

Il n'a pas le temps, chez nous, de sécher à l'air.

 

Autrefois, quand chaque cultivateur attelait ses chevaux à son manège, le blé, battu par une journée ensoleillée, amené lentement à la batteuse, prenait le temps de sécher dans sa baie.

 

Aujourd'hui, avec la batteuse « à grand travail », comme on l'appelle, qui tire le grain de l'épi, le bat et le ventile en vitesse, le battage se fait par n'importe quel temps, même sous la pluie.

 

En effet, l'entrepreneur de battage n'a pas un jour à perdre.

À l'avance, il a pris date avec les cultivateurs d'un village.

Au jour dit, il a amené son matériel.

Tant pis s'il pleut, il faut se conformer à la date retenue et le grain est alors humide

 

D’autre part les céréales sont bien au nombre des produits agricoles les plus faciles à emmagasiner et à conserver mas encore faudrait-il que les grains fussent aérés, ventilés, remués.

 

En effet, la farine extraite du grain humide donne un pain plat et lourd, faute de ferment et le boulanger est contraint d'augmenter la quantité de levure s'il ne veut pas s’attirer les reproches de ses clients

 

Il apparaît, en somme, que le péril n’est pas grand.

Grâce au courage des femmes, des enfants, des vieillards qui ont pris toutes les fois qu’il le fallait la place des hommes, récoltes, dans notre région, seront sensiblement semblables à celles de 1939 qui durent être terminées hâtivement.

 

Le proverbe : « Avoir du blé dans son grenier, c'est avoir des écus dans sa caisse » conservera toujours son prix, et on pourra redire avec Voltaire que de tous les proverbes que le blé, cette production de la nature et de nos soins a fournis, il n'en est point qui mérite plus l'attention de nos législateurs que celui-ci :

« Ne nous mettons pas au gland quand nous avons du blé ».

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