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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


3 juillet 1940

Jour 15
 

 

L'augmentation continue du prix des repas dans les restaurants a favorisé l'extension des crêperies.

 

Il y a peu d'années encore, elles étaient installées dans de modestes boutiques.

Accroupie devant une vaste cheminée où flambaient des tisons, la crêpière étendait avec une raclette, sur une grande plaque de fonte, préalablement graissée avec une couenne de lard, la pâte liquéfiée de farine de froment ou de blé noir.

 

Quelques clients modestes s'attablaient sur des bancs, de chaque côté des tables faites de planches de bois blanc, soigneusement lavées, et dégustaient, pour quelques sous, une douzaine de crêpes brunes ou blondes, arrosées de gros lait ou de « caillibottes ».

 

Les temps ont changé.

Les crêperies se sont modernisées.

Elles sont aujourd'hui fréquentées par une tout autre clientèle qui les a obligées à transformer le décor.

 

Les unes ont voulu leur donner un caractère d'auberge bretonne.

Sur les murs, des images coloriées représentent une noce précédée du biniou et de la bombarde, ou des danseurs de gavotte, un jour de fête.

Les meubles rustiques sont garnis de vaisselles, de poteries, de statuettes en terre de Quimper.

 

À la place d'honneur, trône une vieille horloge sculptée au couteau dont le tic-tac et le mouvement régulier du balancier de cuivre, bien astiqué, animent cet intérieur rustique aux boiseries faites de portes de lits clos, dont les balustres du rouet symbolique se détachent sur un rouge d'andrinople.

 

Les tables de bois blanc de jadis sont remplacées par d'antiques pétrins, au couvercle brillant et bien ciré.

 

D'autres crêperies ont préféré le décor d'un moderne restaurant aux petites tables recouvertes de nappes à carreaux et coquettement fleuries.

 

Toutes ont adopté le triple réchaud à gaz qui permet à une habile crêpière, bigoudène à haute coiffe brodée ou fouesnantaise à collerette tuyautée, de confectionner à la fois, trois crêpes savoureuses, cuites à point, qu'elles font sauter avec dextérité dans la poêle brûlante.

 

On ne les porte plus à la bouche avec les doigts, comme autrefois, on les découpe précieusement au couteau en les tenant de sa fourchette.

 

Si le diamètre des crêpes est aujourd'hui sensiblement réduit, le prix, par contre, a fortement augmenté.

C'est encore, cependant, dans les crêperies que l'on peut déjeuner et diner a assez bon compte, d'un potage dont le prix sur la carte est de deux francs, d'une tranche de jambon de 4 francs et de crêpes vendues 1 fr. 25 la pièce.

 

Un œuf au jambon est coté 5 frs., deux, six francs.

On peut corser le menu d'un fromage, 2 fr. 50. d'un cœur-crème, 3 fr., d'un fruit de 1 fr. 50 ou 2 francs.

 

Enfin, au lieu de crêpes nature à 1 fr. 25, pour trois francs, les gourmets peuvent se faire servir des crêpes aux œufs, au jambon, au fromage, à la confiture ou au chocolat.

 

Le cidre est, la boisson la plus couleur locale, mais on peut, boire du vin, de la bière, de la limonade ou du thé, du lait, du chocolat et du café, voire même du Champagne.

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Quelques crêpières possèdent des autos et vont dans les fermes environnantes s'approvisionner en œufs, rares il y a quelques jours, sur le marché.

 

Les autres ont de fidèles fournisseurs qui ne les laissent manquer ni d'œufs ni de lait.

Le ravitaillement des crêperies est donc à peu près normal.

 

Beaucoup de personnes, se contentant le soir d'un repas léger, dînent à la crêperie, d'autres y achètent, par douzaine, des crêpes, pour les manger en famille.

 

Après avoir passé à la poêle dans du beurre fondu, la crêpe constitue ou un agréable entremets ou un plat confortable qui emplit l'estomac.

 

Le nombre des crêperies à Brest ayant considérablement augmenté, il faut croire que la crêpe a les faveurs de nombreux amateurs.

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