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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


3 septembre 1940

Jour 77
 

 

Après de longues vacances occasionnées par une fin d'année scolaire agitée, les écoles primaires ont à nouveau ouvert leurs portes et les élèves ont retrouvé la plupart de leurs maîtres, récemment démobilisés.

 

Il était dur, pour ces enfants, de quitter les jeux et les promenades par cette belle journée ensoleillée, alors que tant de mûres noircissaient au bord des chemins où il fait si bon courir et jouer.

Il faudra maintenant venir chaque jour dans ces classes où, hier, sur la chaire du maître s'empilaient les cahiers, crayons et porte-plumes, toutes les fournitures scolaires qu'on allait distribuer et qui déjà donnaient un avant-goût des devoirs que l'on allait avoir à faire, des leçons à apprendre, toutes choses beaucoup moins agréables que le jeu.

 

Qu'allait-il se passer ?

Le maître avait l'air soucieux.

Les grands des trois premières classes furent réunis dans une seule et, quand tout le monde eut pris place en se serrant sur les bancs, le directeur, un ancien combattant de la Grande Guerre, décoré de la croix de la Légion d'honneur et de la croix de guerre, fit solennellement son entrée.

 

Tout le monde se leva, sentant bien qu'il allait se passer quelque chose de solennel.

 

— Mes enfants, nous allons d'abord rendre un hommage à ceux qui sont morts pour la France, en observant en leur mémoire une minute de silence.

 

Tous les enfants gardèrent l'immobilité.

 

 

Beaucoup, sans nouvelles de leur papa depuis bientôt trois mois, ne purent retenir leurs larmes.

 

— Maintenant, mes amis, je vais vous lire des extraits des discours prononcés les 16, 20, 23 et 25 juin par le maréchal Pétain, chef de l'État français.

Écoutez-les et retenez les raisons militaires et morales qui nous ont valu notre défaite.

 

Après cette pénible lecture, le directeur commenta les textes des discours.

Il mit l'accent sur cette phrase :

« C'est vers l'avenir que nous devons tourner nos efforts. »

 

— Oui, dit-il, vous aurez à restaurer la France ;

c'est en travaillant d'arrache-pied, dès maintenant, à l'école, que vous préparerez le nouvel avenir de la patrie.

 

« Soyez donc studieux, suivez attentivement les leçons de vos maîtres, écoutez leurs conseils, travaillez à la renaissance de la patrie.

Vive la France ! »

 

Les enfants répétèrent avec ferveur :

« Vive la France ! »

 

Puis le directeur refit la lecture des discours devant les petits qui, s'ils ne comprirent pas très bien les paroles du maréchal Pétain, écoutèrent attentivement les commentaires du directeur qui fit tous ses efforts pour les mettre à la portée de ces jeunes intelligences.

 

Intimidés, les bras croisés, les petits écoutèrent dans le plus grand silence et crièrent d'un seul élan :

« Vive la France ! »

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Voici des précisions sur la nouvelle réglementation des restaurants :

 

Chaque repas ne peut comporter plus de trois services, en tenant compte des restrictions imposées sur la consommation de la viande.

Le menu est obligatoirement limité comme suit, même le dimanche :

 

Premier service :

Un hors-d’œuvre crudités, une douzaine d'huîtres ou une douzaine d'escargots.

 

Deuxième service :

L'une des quatre formules suivantes :

un plat de viande, un légume ou pâtes ;

un poisson, un légume ou pâtes, un fromage ;

deux légumes ou pâtes, un fromage ;

un plat d'œufs, un légume ou pâtes, un fromage.

 

Troisième service :

un fruit cru ou cuit.

 

LA CONSOMMATION DE LA VIANDE

 

Le tableau ci-dessous indique les restrictions pour les départements où la consommation de la viande est interdite les lundi, mardi et mercredi.

Lorsque, par arrêté préfectoral, les jours de restriction de la consommation sont déplacés, le tableau doit être modifié en conséquence :

 

Déjeuner :

boucherie interdite les lundi, mardi et mercredi ;

charcuterie : lundi et mardi ;

triperie et viande de cheval : lundi ;

volaille, lapin et gibier, autorisés tous les Jours.

 

Dîner :

boucherie interdite tous les jours ;

charcuterie autorisée les mercredi et dimanche ;

triperie et viande de cheval interdites mardi, mercredi et dimanche ;

volaille, lapin et gibier interdits jeudi, vendredi et samedi.

 

L'AUGMENTATION DU PRIX DU LAIT

 

Par arrêté du ministre de l'Agriculture en date du 21 août, le prix du lait a été augmenté de 10 centimes par litre.

En application de cet arrêté, le prix du lait a été porté à Paris à 2 fr. 30 à partir d'aujourd'hui.

 

Les autorités d'occupation ne se sont pas opposées à cette mesure, qui a pour but, en garantissant maintenant les intérêts des cultivateurs, d'encourager une production normale de lait pour l'hiver prochain.

​

 

Bien que la grève du Vieux-Saint-Marc soit toujours enduite d'une épaisse et noire couche de mazout, des centaines de pêcheurs s'échelonnaient hier tout le long du banc inépuisable, sur lequel, à chaque grande marée, on pêche la crevette et des ormeaux, pétoncles, palourdes, bigorneaux et autres coquillages.

 

Des hommes, des femmes, des enfants, des familles entières sont là, du bassin du Gaz à la pointe de Kérangal, dès 6 heures du matin, munis d'immenses haveneaux ou de pioches, de râteaux, de tiges de fer à l'extrémité recourbée.

 

Dans les rochers, on revêt le costume de pêche.

Des femmes sont en maillots de bain, d'autres enfilent des pantalons d'hommes, chaussent des sandales ou des bottes de caoutchouc.

Les hommes revêtent de vieux vêtements de toile et, dès que la mer commence à descendre, tous entrent dans l'eau, s'y enfoncent jusqu'aux aisselles et fouillent, d'un haveneau expert, les herbes et les goémons.

 

D'autres — tels des trappeurs — penchés vers le sol, cherchent sur le sable à découvrir les petits orifices — imperceptibles pour des yeux non exercés — leur signalant la présence d'un coquillage enfoui qu'ils déterrent avec leur pioche.

 

*

**

 

Quand, vers 13 h. 30, la mer commença à monter, chacun choisit sur la grève, inondée de soleil, un coin assez propre pour déjeuner.

 

Des filets à provisions, furent extraits les boîtes de conserves, les fruits, le pain et la bouteille de vin ou de cidre que l'on mit à rafraîchir.

 

L'appétit était aiguisé par cette trempette matinale et le mouvement que l'on s'était donné.

Chacun souhaitait faire une pêche miraculeuse, mais les résultats n'atteignirent pas les espérances.

 

Au dessert, de groupe en groupe, on ne s'en montrait pas moins le produit de sa récolte avec fierté :

 

— J'en ai bien une demi-livre, disait une jeune femme en maillot bleu ciel qui, la tête couverte d'un immense chapeau de paille multicolore, laissait complaisamment le soleil dorer ses cuisses et son dos nus.

 

Penchés sur la boite de bols qu'elle allait triomphalement porter en bandoulière, ses voisins ne voyaient guère grouiller dans le goémon gluant et humide qui l'emplissait qu'une douzaine de minuscules crevettes translucides.

 

— Moi disait cet autre, j'ai préféré, aujourd'hui, les coquillages à la crevette.

J'ai eu trop de mal à en prendre un demi-quart hier dans toute ma journée.

Je n'ai pas lieu de me plaindre :

J'ai quatre douzaine de palourdes, et des grosses, quatre pétoncles, deux ormeaux, six praires, une demi-douzaine de bigorneaux et deux petits crabes.

 

— Si vous ne voulez pas attraper la fièvre typhoïde, dit un rabat-joie, vous ferez bien de faire cuire tout cela.

La grève est si sale...

 

— Pas de danger.

J'ai été vacciné au début de la guerre.

 

Les conversations vont leur train.

Des rires fusent.

Cette belle Journée de liberté passée au soleil a rendu un peu de bonne humeur à tous ces pêcheurs occasionnels qui se consolent de leur pêche médiocre, en respirant à pleins poumons l'air salin qui leur a ouvert l'appétit.

​

 

Hier, vers 14 heures, par suite soit l’imprudence d'un fumeur ou de l'un d nombreux gamins qui, journellement pendant cette période de vacances, vont s'amuser au fond du bois de Boulogne sur le versant qui domine la route du Moulin à Poudre, le feu s'est déclaré dans les broussailles.

 

Rapidement, il prit de l'extension et quelques minutes, de hautes flammes dégageant une épaisse fumée, s'étendirent du haut en bas du versant sur une longueur de 50 mètres environ.

 

Les pompiers de la ville, alertés, se rendirent immédiatement sur les lieux rejoints bientôt par ceux de la marine et les pompiers allemands.

 

Les pompes, alimentées par des bouches d’incendie et un ruisseau voisin, furent mises en batterie, et en un rien de temps de nombreuses lances déversaient l'eau sur le feu.

 

Il ne fallut pas moins de deux heures pour que les pompiers, que dirigeaient M. l'officier principal des équipages de la flotte Toul, le capitaine Chanquelin et un officier allemand, se rendissent maîtres du feu.

 

Un accident s'est malheureusement produit.

Le maître pompier de la marine Yvenou s'est trouvé pris au milieu des flammes et a été assez sérieusement brûlé à la face et aux mains.

 

Il a reçu les premiers soins à l'ambulance de l'arsenal.

 

Un service d'ordre avait été établi par la police et la circulation des voitures a été arrêtée pendant plus de 2 heures route du Moulin à Poudre.

 

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À 17 heures, les pompiers regagnaient le poste de la rue Jules Michelet, lorsqu'on les avisa que le feu avait pris dans des détritus déversés sur la grève du bassin Trichler.

 

Cet incendie avait sans doute encore été provoqué par des gamins.

 

Les pompiers s'en sont rendus maîtres après une heure d'efforts.

 

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On signale aussi que le feu a pris dans des herbes sèches, au parc à triage au port de commerce.

Il a été éteint par des militaires allemands.

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