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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


30 juillet 1940

Jour 42
 

 

MM. l'abbé Aubert, curé de Saint-Houardon, son vicaire, M. l'abbé Palplace ;

M. Moreul, pharmacien, étaient au nombre de ceux qui, par devoir, n'avaient pas voulu quitter la ville.

 

M. l'abbé Aubert se tenait au presbytère, prêt à secourir les blessés.

La place séparant le presbytère de l'église fut bientôt jonchée d'éclats d'obus.

 

Un projectile venait d'atteindre l'asile voisin de la Providence.

Sous la conduite de religieuses, les enfants et vieillards valides avalant été évacués dans les bois de Pencran, mais il y restait les vieillards intransportables sous la garde de la courageuse Mère Supérieure et d'une vaillante Sœur de charité.

 

L'explosion de cet obus fit grand bruit, endommagea la toiture de l'établissement et mit à mal clapier et poulailler.

 

M. l'abbé Aubert crut entendre des appels, des plaintes qui lui parvenaient assourdis, entre les éclatements.

 

Il se hâta de sortir et se dirigea vers l'église d'où les gémissements semblaient provenir.

Il traversa rapidement la rue, rasa les murs des maisons du parvis et eut la chance, bien que la barrette dont il était coiffé fût jeté à terre par trois fois, sous le souffle des projectiles, de ne pas être atteint.

 

Il aperçut à travers la fumée âcre des explosifs un homme, un marin, poussant des gémissements que lui arrachait une blessure au pied, provoquée par un éclat.

 

M. Aubert, aux mains et au visage jaunis par les manipulations de mélinite, vit qu'il s'agissait d'un travailleur militaire échappé de la pyrotechnie de Saint-Nicolas.

 

Le curé de Saint-Houardon le chargea sur son dos et refit en sens inverse le trajet de la zone dangereuse qu'il avait à parcourir.

 

Bien que robuste, il désespérait d'arriver à destination : le blessé était lourd.

Son vicaire, l'abbé Palplace, vint heureusement à son aide.

À eux deux, ils portèrent rapidement le blessé au presbytère.

M. l'abbé Aubert lui fit un garrot pour arrêter l'écoulement du sang et un pansement au pied fracassé.

 

L'abbé Palplace se rendit à la Providence demander un brancard et tous deux s'apprêtaient à transporter le blessé à l'hôpital, quand passa une voiture ambulance qui s'en chargea.

 

L'abbé Aubert eut la satisfaction de recevoir quelques jours après les remerciements de celui qu'il avait sauvé et de constater que son état s'améliorait.

 

Un habitant de Landerneau, désirant garder l’anonymat s'était aventuré dans les rues, après le ralentissement du tir.

 

Deux autos arrivaient de front, suivies de quelques motocyclistes.

Deux soldats descendirent d'une auto, revolver au poing et lui demandèrent :

— Où sont les Anglais ?

— Il n'y en a plus, ils sont partis depuis deux Jours.

— Ne mentez pas, ou sinon…

— Je vous assure qu'il n'y a plus ici un seul Anglais.

— C'est ce que nous allons voir !

 

La pointe d'avant-garde se remit en marche et pénétra dans la ville.

 

La pointe d'avant-garde s'était arrêtée sur le quai, près de la mairie.

 

M. Jean-Louis Rolland, député-maire, ceint de son écharpe, et M. Paul Simon, député, se portèrent seuls au-devant du jeune capitaine commandant le groupe, et se présentèrent :

 

— Vous avez de la chance que nous n’ayons eu personne de tué, leur dit-il, car alors nous nous serions trouvés dans l'obligation de raser votre ville.

 

Du côté du quartier du Grand Turc, où trois maisons brûlaient, les lueurs lugubres de l'incendie embrasaient le ciel.

 

Le député-maire demanda au capitaine l'autorisation d'aller combattre ce sinistre, dans la crainte qu'il ne s'étendît.

 

Un groupe d'autos blindées et de tanks légers, encadrés de motocyclistes, arrivait.

Le capitaine conduisit le maire à son supérieur, qui octroya l'autorisation demandée.

 

Conduite par le cantonnier-chef, la motopompe partit aussitôt avec le maire et les chefs de services restés à la mairie.

Les maisons du Grand Turc avaient des fenêtres ouvertes.

Pensant que des coups de feu étaient partis de ces ouvertures, des soldats avalent lancé dans les maisons des grenades incendiaires.

Avec l'aide de quatre soldats allemands, le cantonnier-chef put mettre deux lances en action.

On ne pouvait que faire la part du feu, dont on se rendit maître après une heure de travail en limitant les dégâts dont nous parlerons dans un prochain article.

 

*

**

 

Les autorités allemandes prirent possession de la ville à 17 h. 15 et hissèrent près du quai le drapeau à croix gammée.

Pendant des heures ; les troupes allemandes défilèrent.

 

La population, rassurée, quitta ses abris.

La punition infligée à la ville de Landerneau pour la « résistance » que sa municipalité avait tout fait pour éviter fut légère.

Elle dut, pendant huit jours, durant un quart d'heure, de midi à midi 15, faire sonner à toute volée les cloches de l'église de Saint-Houardon.

 

(À suivre).

 

M. Moreul, pharmacien à Landerneau, nous adresse une lettre dont nous détachons les passages suivants :

 

Le service d'ordre sur le pont a été assuré jusqu'à midi par M. J.-L. Rolland, maire, assisté d'un employé de mairie.

 

À 13 heures, plus de service d'ordre ; le maire est à son poste, à la mairie.

Des enfants et des femmes, affolés par les premiers coups de canon, circulent, je les aiguille vers la bonne direction ou les abrite derrière mon officine.

 

Je me coiffe alors de mon casque (un souvenir de l'ancienne guerre, comme vous le dites), et muni d'un fort gourdin, je me plante au centre du carrefour pour assurer la bonne circulation et chasser les ivrognes.

Car je craignais des incidents causés par ceux-ci, et la mort du lieutenant de vaisseau Moreau est due à l'un d'eux, qui a fait déclencher le tir d'une mitrailleuse.

Un fusant a éclaté au-dessus du pont, des débris ont roulé sur la chaussée et sur le seuil de mon officine ;

l’un d'eux a touché mon casqué et laissé son empreinte.

 

Le combat terminé, c'est moi, et moi seul, sans malheureusement le concours d’aucun autre, qui me suis porté au secours de la voiture d’ambulance de la marine qui venait d’être fauchée.

 

J’avais pris ma camionnette, dans laquelle on peut mettre des brancards.

Je rencontre d'abord un soldat blessé se trainant péniblement ;

je le pris et le conduisis au Calvaire.

En revenant, je trouve le lieutenant de marine Classe, blessé et porté à bras par des marins.

Je lui offris mes services et il me répondit :

« Ça va, je ne suis pas trop fatigué, occupez-vous de mes hommes. »

Je recueillis alors deux autres grands blessés qui arrivaient, portés à bras sur des brancards, et les transportai rapidement à l'hôpital, où je me mis à la disposition du médecin en chef.

 

Je regrette, dans toute cette affaire, de n'avoir été aidé que par les marins.

En ouvrant ma pharmacie le jour du bombardement, je n'ai fait que mon devoir.

En prenant la faction sur le pont et en me portant à mon âge (73 ans) au secours des blessés, j'ai fait plus que mon devoir.

Je ne m'en enorgueillis pas, mais je me refuse à me laisser ou ridiculiser ou minimiser et je reste fier d'avoir donné l'exemple du courage et du sang-froid.

 

Th. MOREUL.

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