1940 - 1944
Chroniques d'occupation
31 juillet 1940
Jour 43
Après l'arrivée des troupes allemandes, en moins de deux heures, les habitants de Landerneau, réfugiés dans les bois de Pencran et du Lech, avaient regagné la ville.
Beaucoup, hélas! ne devaient pas retrouver leurs maisons intactes.
En dehors des incendies du Grand Turc et de la ferme de Voas-Glaz plusieurs toitures avaient été détériorées, des façades d’immeubles étaient criblées d’éclats, des gouttières pendaient.
Dans le quartier de Plouédern, les dégâts étaient plus Importants.
LA MAISON DE Mme GOURVÈS
Mme veuve Gourvès, mère de deux gentilles petites filles :
Marie, 4 ans, et Jeannine, 3 ans, habitait une coquette maison de quatre pièces.
Depuis cinq mois, la pauvre femme avait été particulièrement éprouvée.
Elle avait perdu successivement son père, son mari et sa mère.
Ses quatre frères avaient été mobilisés dès les premiers jours de septembre.
Elle venait d'apprendre que deux d'entre eux étalent à Toulon.
Elle était sans nouvelles des deux autres.
L'un de ceux-ci devait se marier peu de jours après la déclaration de guerre.
Son départ précipité avait retardé le mariage.
Les meubles du futur ménage étaient déjà achetés et entreposés dans une des chambres de la maison de Mme Gourvès.
Laissons-lui la parole :
— Je travaillais à la briqueterie de Traon-Elom.
En partant, et chaque matin, je confiais mes deux fillettes à une œuvre charitable.
Je les reprenais le soir, mon travail terminé.
Mon salaire, joint aux produits de mon jardin, me permettait de subvenir à nos besoins.
La fermeture de la briqueterie m'obligea à rester chez moi.
Le mercredi matin, le 19 Juin, je fis comme tout le monde.
J'allai, avec Marie et Jeannine, me cacher là-haut, dans les bois du Lech.
Je ne pouvais apercevoir ma maison, mais J'entendais avec effroi le bruit des explosions successives semblant bien provenir de notre quartier.
La journée se passa dans des transes.
J'étais cependant loin de prévoir ce qui m'attendait...
Quand, le bombardement terminé, nous revînmes, vers 18 heures, voilà ce que j'ai retrouvé de ma maison :
Quatre murs branlants tout l'intérieur détruit, aucune trace de mon mobilier, de celui de mes parents, ni de celui, tout neuf, de mon frère.
Dans ma précipitation, en partant le matin, je n'avais emporté ni argent, ni papiers.
De toute cette propriété qui avait coûté tant de peines, il ne restait debout que cet appentis dans lequel j'élevais des lapins, qui ont échappé au désastre ainsi que mon chien, détaché le matin, retrouvé, nous attendant près des ruines encore fumantes de la maison.
J'étais assurée mais je ne sais même pas le nom de la compagnie.
Les polices ont disparu, comme le reste.
C'était mon mari, puis ma pauvre mère, qui s'occupaient de tout «cela.
«Je n'ai plus rien. Je cherche du travail. Je n'en trouve pas. »
Nous avons succédé aux lapins, c'est nous qui couchons maintenant dans l'appentis.
M. le maire y a fait percer une porte et nous a prêté des lits, ça peut aller en ce moment, mais que sera cet hiver ?
Les œuvres d’assistance ne fonctionnent plus.
Je me nourris de pommes de terre, mes enfants de pain et de lait.
Qu'allons-nous devenir si je ne trouve pas d'emploi ?
Je ne demande qu'à travailler.
Si la briqueterie remarchait, on m'y reprendrait peut-être ?
M. le maire m'a promis de s’occuper de moi, mais c'est long !
Mme Gourvès ne pleure pas, ne se la mente pas, ne sollicite rien.
Accablée par le malheur, elle attend et espère une aide secourable.
Courageusement, elle reprend ses occupations.
Ses deux petites filles, qui ne comprennent pas l’étendue du désastre, jouent devant la maison écroulée, avec un fer à repasser inutilisable retrouvé dans les décombres.
La plaque de métal a été à demi fondue dans l’incendie.
RUE SALENGRO
La plupart des maisons de cette rue ont endommagées par des éclats d’obus.
M. Joseph, négociant à Guissény, est propriétaire d’une maison, composée d’un rez-de-chaussée et d’un étage lambrissé, qu’il loue à Mme Alain Bodilis.
Deux couvreurs réparent le toit.
Quatre obus de 77 sont entrés par la fenêtre du premier étage.
Un cinquième a éraflé l'angle du mur et a été retrouvé, non éclaté, près du portail du jardin.
Au rez-de-chaussée, dans la salle à mange, un garçonnet de 13 ans fait déjeuner sa sœur Gisèle 7 ans.
Si l’on excepte les plafonds crevés, les pièces du rez-de-chaussée n'ont pas trop souffert.
Il n’en est pas de même au premier.
Un des quatre obus qui y ont pénétré a été retrouvé, non éclaté, sur le lit du garçonnet.
C'est un obus de 77, peint en vert, qui a été désamorcé et vidé de l'explosif.
« On le garde comme souvenir, dit le jeune garçon, avec les gros éclats des trois autres qui ont tout bouleversé ici. »
Une cloison a été soufflée.
Elle ne parait tenir en équilibre que par ses portants.
Une lourde baignoire en fonte émaillée a été déplacée, mais n'a pas été détériorée.
Les lambris en planches vernissées du plafond sont brisés par endroits.
Le mobilier a subi des dégâts.
La double fenêtre sur la façade de la rue été descendue.
On a provisoirement obturé les ouvertures béantes par des portes arrachées de leurs gonds.
Très délurée, la petite Gisèle interrompt le récit de son frère pour communiquer ses impressions :
— Comme il n'y a pas de café, commence-t-elle en beurrant une tartine, je prends du thé au lait et je l'aime bien.
Nous étions cachés, maman, mon frère et moi dans un creux, derrière un fossé dans un champ du Lech.
Il y avait deux chevaux en liberté dans le champ.
Affolés par les détonations, ils galopaient en tous sens.
J’avais peur qu’ils ne me sautent dessus.
Mais tout c’est bien passé.
Ils n’ont pas eu de mal non plus.
En rentrant, nous avons trouvé notre maison démolie.
Mais nous ne sommes que locataires et le propriétaire a dit qu’il était assuré contre les risques de guerre.
Il n’y aura que les meubles à remplacer.
Je mets des fleurs dans l’obus.
Il remplace un vase.
J'aurais bien voulu avoir la paire, mais les allemands ont emporté celui trouvé dans le jardin.
Je me souviendrai du 19 juin 1940
Le thé au lait refroidit.
Quittons l'amusante petite bavarde et allons à Guipavas.
(À suivre.)