1940 - 1944
Chroniques d'occupation
4 août 1940
Jour 47
La municipalité de Saint-Pierre, en accord avec les comités d'œuvres sociales qui collaborent avec elle,
s'est inquiétée des mesures propres à atténuer les modifications profondes qu'ont apporté les circonstances actuelles dans la vie de ses concitoyens les plus déshérités.
Elle a créé l'Œuvre des Soupes populaires qui, depuis le 1er août, fonctionne grâce au dévouement des membres de la Caisse municipale des écoles et qui reçoit chaque jour, soit gratuitement ou pour la somme de 2 fr. 50 par repas, les ouvriers et leurs familles qui, du fait des circonstances, ont perdu l'emploi qui constituait leur gagne-pain.
Le Colis municipal du mobilisé, grâce à l'heureuse compréhension des membres de ce comité, va devenir le Colis du prisonnier de guerre.
Enfin, la municipalité envisage de céder temporairement à la Société des Jardins ouvriers les terrains communaux sur lesquels, par suite des événements, n'ont pu être réalisés les projets étudiés et terminés que la guerre a brusquement interrompus.
Ces terrains seront transformés en « jardins ouvriers ».
D'autre part, les travaux d'entretien des chemins et des propriétés communales permettront d'embaucher un certain nombre d'ouvriers de Saint-Pierre-Quilbignon actuellement sans travail ni ressources.
Au début du siècle, le chanoine J.-M. Abgrall, correspondant de la Commission des monuments historiques, publiait une brochure portant ce titre : « En vélo autour de Quimper ».
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L'essence étant rare, le nombre des autos très limité, la bicyclette est, plus que jamais, « la petite reine de la route » et c'est pourquoi j'ai pensé à l'opuscule de l'érudit chanoine.
Jamais, en effet, on ne vit sur les routes autant de cyclistes des deux sexes qui, en longues caravanes, sous les ardents rayons du soleil, avec leurs corsages, jupes, chemisettes ou maillots bariolés et de couleurs éclatantes, font penser, lorsqu'on les voit de loin, à quelques pelotons de coureurs du Tour de France, voire du Vélo-Sport-Quimpérois.
Et si j'ai pensé aussi à la brochure « En Vélo autour de Quimper », c'est parce que , aujourd’hui comme autrefois, beaucoup de Quimpérois n'ont que de rares buts de promenade, toujours les mêmes, et ignorent qu'il en est d'autres fort intéressants où pourraient les mener des petits chemins bretons ombragés et tortueux comme ceux que chanta Jos Parker, et bien plus agréables que les larges routes goudronnées, couvertes de gravillons et sur lesquelles l'ombre est rare, la chaleur étouffante et la réverbération détestable.
Il est évident que les routes conduisant aux plages seront toujours les plus fréquentées ;
quoi de plus délicieux qu'un bain de mer à cette époque ?
Mais, même sur ces routes, je vais signaler quelques coins devant lesquels des milliers de cyclistes passent « au sprint », sans y jeter un coup d'œil, alors qu'ils pourraient s'y arrêter quelques instants en admirant des vestiges du passé.
LE DRENNEC
Commençons par la route Quimper-Bénodet, cette coquette plage dont le nom vient de Penn-Odet, tête ou embouchure de l'Odet.
J'invite les promeneurs à faire une courte halte, pour se reposer, devant la jolie fontaine de N.-D. du Drennec.
Ils admireront son édicule gothique dominé par un petit calvaire et dont une niche abrite une vieille statue de Notre-Dame de la Pitié fort bien conservée.
Combien d'entre eux sont allés sous les arbres séculaires près du village du Rû, où se trouvait la chapelle Saint-Gilles, coin charmant où villégiaturaient jadis les Gallo-romains fortunés ?
FOUESNANT-BEG-MEIL
Les cyclistes, abandonnant à Ty-Glaz la route de Bénodet pour se rendre à Fouesnant, le Cap Coz ou Begmeil, n'ont pas souvent pensé à faire un petit crochet pour aller voir la chapelle de Sainte-Anne de Fouesnant, si jolie dans son cadre admirable.
Mais tout est admirable dans ce pays que chanta souvent notre poète Frédéric Le Guyader :
« Le pays des pommiers et des fruits savoureux.
Paradis des buveurs, Eden des amoureux... »
Une visite à l'intérieur de l'église de Fouesnant peut être instructive :
Les hautes piles de la nef, ses colonnettes, leurs chapiteaux, les arcades, d'un pur style roman, méritent de retenir l'attention.
Beg-Meil est aussi un paradis terrestre:
Vastes plages qu'abritent des arbres aux essences variées, petits chemins sinueux sous la voûte des branches, talus fleuris de plantes sauvages, alors que les entrées des riches propriétés laissent contempler, dès le printemps, les fleurs les plus variées, les arbustes les plus rares, à travers lesquels on aperçoit le scintillement de la mer, les verts bosquets de la baie de la Forêt et, au loin, la côte de Concarneau.
Pour le retour, si l'on rentre par Bénodet, ne pas négliger de contempler la chapelle de Perquet, un de nos plus beaux monuments romans.
EN ROUTE POUR CONCARNEAU
Si, de Quimper ou de Fouesnant, on va vers Concarneau, il convient de prendre, au bas de la côte de Lesnevar, la vieille route qui, praticable pour les cyclistes, leur permettra d'admirer d'abord le vieux moulin « du chef du bois », juste au tournant.
Cet ancien rendez-vous de chasse forme un ensemble harmonieux de bâtiments bien conservés, blottis dans des massifs épais d'où sort en murmurant une source limpide qui alimente des ruisseaux étroits et tourmentés, qui fertilisent les terrains enclavés dans des coteaux boisés et les champs dorés par les épis ou les fleurs des ajoncs.
Et nous arrivons à l'anse de Saint-Laurent qui s'abrite, elle aussi, dans un nid de verdure où les branches des arbres se baissent pour sentir la caresse du flot montant et respirer l'odeur de la brise marine.
C'est ensuite l'arrivée aux Sables-Blancs.
Du haut de la côte on aperçoit le panorama de Concarneau, le grand large, les Glénans, le fond de la baie de la Forêt, la côte de Kerléven à Begmeil en passant par le Cap-Coz.
C'est, par un soleil radieux, un spectacle de toute beauté, plus magnifique encore au soleil couchant.
J'ai cité rapidement, sans avoir la prétention de faire un cours d'archéologie quelques vieux monuments et de jolis sites que les cyclistes, les promeneurs devraient voir en quittant les larges routes conduisant aux plages les plus fréquentées ;
dans un prochain article, je les conduirai à l'intérieur des terres, sur un rayon de 20 ou 25 kilomètres, et, vraisemblablement, je ferai connaître des paysages merveilleux que beaucoup de Quimpérois ignorent encore.
(À suivre.)
Concarneau n'a pas reçu, cet été, la visite de ses habituels touristes.
L'animation est cependant grande sur ses quais.
C'est aujourd'hui jour de marché.
Sur la place, entre sa massive église et les fortifications de la Ville close, voitures et éventaires des forains s'alignent, entourés déjà, malgré l'heure matinale, de ménagères, de Concarnoises qui n'ont pas pris le temps d'ajuster les dentelles de leurs coiffe au bonnichon cylindrique, entouré d'un ruban rose, bleu ou noir, posé sur leur chevelure à la manière d'une toque de magistrat.
LA CRIÉE
Dans le long hangar de la nouvelle criée, un son de cloche retentit.
Comme chaque matin à 7 h. 45, ses portes s'ouvrent.
Que peut-il s'y passer ?
Une immense « Défense d'entrer » surmonte la porte.
Son gardien, peu complaisant, refuse de donner la moindre explication, le plus petit renseignement.
Tout un côté du hangar est occupé par les bureaux et salles d'expéditions des mareyeurs dont on peut lire les noms sur les enseignes placées au-dessus des bureaux.
Seuls, avec les marchandes en gros, ils ont le droit de prendre part aux ventes aux enchères.
Ils sont agréés par la Chambre de commerce de Quimper, après dépôt d'une caution dont le taux varie selon l'importance de leurs achats.
Mareyeurs et marchandes forment le cercle autour de quelques caisses de petits rougets aux couleurs éclatantes, des « baquets » de merluchons et d'un seul panier de langoustines, produits du premier arrivage.
L’heure allemande ne favorise pas le travail des pécheurs.
Ils ne peuvent se rendre, le matin, dans les Glénans, trop éloignés, où le rouget est le plus abondant et doivent faire la pêche aux environs de Concarneau pour la débarquer avant neuf heures.
En effet, le départ du seul train mis à la disposition des mareyeurs, pour l'expédition du poisson sur Paris et Nantes, à lieu à 10 heures.
Il leur faut le temps de mettre dans des caisses abondamment garnies de glace, les fragiles poissons dont l'arrivée à destination et la vente ne pourront avoir lieu que trois jours après.
Le crieur met en vente les caisses de rougets.
La mise à prix est de 80 francs.
À voix presque basse, tombent les enchères : 85, 90, 92, 95.
Adjugé.
Une caisse atteindra 110 francs, ce qui porte à 16 ou 18 francs le kilo de ces délicieux petits poissons.
L’unique caisse de langoustines qui figurera aujourd’hui à la criée atteint le prix de 210 francs.
Son poids est d’environ vingt kilos.
Les baquets de merluchons sont acquis au prix moyen de 48 francs.
Le contenu de chacun d'eux est de dix kilos environ.
En hiver les prix de ces poissons sont montés jusqu'à 80 francs.
Pendant que les mareyeurs font porter leurs achats dans les magasins voisins, les « revendeuses » emportent en hâte les leurs, à l'extérieur, sur des tables alignées devant la criée.
La clientèle attend déjà.
Elles revendent en détail, à la pièce ou à la livre les poissons.
Les acheteurs marchandent.
Des merluchons et des petits carrelets sont vendus de vingt à trente sous, pièce.
LA PETITE PÊCHE
Vers 11 heures, marchandes et ménagères, paniers ou sacs à provisions au bras, se rendent en foule à l'extrémité du quai pour attendre l'arrivée des petites barques de pêche.
Elles arrivent bientôt avec des chargements de maquereaux ou « d'araignées », la sardine est surtout abondante.
Sous le soleil, entassées par milliers au fond des barques, elles jettent des reflets argentés.
Du haut du môle, au passage des barques, les acheteurs lancent des appels :
— Je t'en prends 2.000, Jean-Marie, à 180 francs le mille.
— 185, crie une femme.
Les pêcheurs ne paraissent pas entendre.
Ils contournent la jetée, indifférents, semble-t-il, à ces appels.
Le premier acquéreur reproche véhémentement à sa concurrente sa surenchère :
— Tu vas nous faire payer 10 francs de plus les 2.000, dit-il, ce n'est pas malin.
Sur les marches de l'escalier où accostent les barques, des femmes se pressent.
Ce sont des revendeuses plus modestes, elles achètent par cent, au prix admis de 20 francs le cent.
La distribution commence.
Avec dextérité les pêcheurs comptent par cinq leurs sardines, les mettent dans des paniers ronds et pansus.
Une dernière fois, les poissons sont plongés dans l'eau de mer et remis à leurs acquéreurs.
— Vous perdes du temps à les vendre ainsi par cent, crie la femme acheteuse à 185 francs.
Ce serait beaucoup plus simple de les vendre au mille.
Toute l'après-midi, les marchandes échelonnées sur le quai près de la place du marché, vont vendre aux ménagères, le maquereau au prix de 2 fr., la douzaine de sardines de 3 à 3 fr. 50 ;
des amateurs emporteront pour 3 francs la livre, des araignées.
Par comparaison, la veille, aux halles Saint-Louis, à Brest, on pouvait lire sur les ardoises, au-dessus des tables de marbre du marché au poisson les prix suivants :
-
maquereau, 2 fr. 50 ;
-
sardines, 3 fr. 50 et 4 fr. la douzaine ;
-
merlan, 4 fr. la livre ;
-
carrelet, 6 fr. ;
-
vieilles, 4 fr. ;
-
congre, de 5 à 7 fr. ;
-
petites soles, 6 fr. ;
-
araignées, 4 fr. ;
-
langouste, 10 fr. la livre.
LE THON
À Concarneau, la petite pêche n'est, en quelque sorte, qu'un accessoire.
La principale industrie du pays est la pêche du thon.
Elle fait vivre, bien qu'elle ne dure, chaque année, que du 20 juin au 20 octobre, la majorité de la population.
Une trentaine d'usines employaient, avant la guerre, une moyenne de 250 à 300 femmes, en général femmes ou filles de pêcheurs, pour la conservation du poisson.
Concarneau était l'un des ports les plus importants, sinon le plus important de France, pour les arrivages du thon.
Les usines de Rosporden, Pont-Aven, St-Guénolé, Kérity, Le Guilvinec, Audierne, etc. venaient s'y ravitailler.
Assurés d'y pouvoir toujours écouler le produit de leur pêche, souvent à des prix plus rémunérateurs que dans d'autres ports de la côte, les pêcheurs allongeaient leur route :
Ceux du quartier d'Auray, les Ételois, et même les Grésillons et les Sablais venaient vendre leurs thons à Concarneau.
Les prix étaient alors variables.
Le prix minimum de la précédente campagne avait été établi à 450 francs les 100 kilos.
En réalité, les conserveurs les payaient jusqu'à 600 et 650 francs, mais on avait vu certaines années, les prix descendre jusqu'à deux et trois cents francs.
Estimant qu'il était juste de couvrir les risques que pouvaient courir, en temps de guerre, les marins thoniers obligés de naviguer des côtes d'Espagne à celles d'Angleterre pour trouver les bancs de ces poissons migrateurs, M. A. Rio, alors ministre de la Marine marchande, fixa, en mars dernier, par décret, le prix du thon à 950 francs, les 100 kilos, pour la campagne actuelle.
Les fabricants de conserves trouvaient ce prix excessif.
Les pêcheurs, eux-mêmes, avouèrent qu'ils ne s'attendaient pas à pareille largesse.
Il fallait, malgré les risques courus par la rencontre des mines ou les dangers de mitraillades par avions, les décider à poursuivre une pêche, utile entre toutes.
Le prix de 950 francs étant pratiqué sur toute la côte, les pêcheurs de ports éloignés, n'ont actuellement plus les mêmes raisons de venir vendre à Concarneau, le produit de leur pêche.
Ils se rendent dans le port le plus proche de leur résidence.
Mais, si la raréfaction des arrivages cause quelque appréhension, que dire du véritable danger que serait pour le ravitaillement du département et du pays tout entier, l'immobilisation de toute la flottille des chalutiers-thoniers qui, par manque de mazout et gaz-oil, va se trouver contrainte de ne plus prendre la mer.
Seuls, les bateaux de 50 à 60 tonneaux, gréés en côtre et pouvant naviguer à la voile avec de petits moteurs auxiliaires, pourront poursuivre la pêche.
D'autre part, les fabricants de conserves souffrent de la pénurie d'essence pour assurer les transports et vont, leurs réserves épuisées, manquer d'huile comestible pour les conserves.
Si la question du manque d'huile peut être résolue par la conservation du thon « au naturel », la solution pourra-t-elle intervenir pour la conserve de la sardine ?
Par ce nouveau procédé de conservation sans huile « au naturel » du thon, envisagé et expérimenté avec succès depuis deux ans, la fabrication peut être triplée dans les usines.
Ainsi préparé, le thon remplace avantageusement le saumon, dont une dizaine de millions de kilos étaient importés, chaque année de l'étranger.
À cette époque où grandissent les difficultés de ravitaillement, la conserve de thon procurerait un appoint appréciable.
Nous dirons donc en de prochains articles comment nos pêcheurs, comment nos usiniers pourraient poursuivre leur activité pendant cette campagne et si la pénurie de carburant doit se prolonger, comment on pourrait y remédier pour la prochaine campagne en industrialisant les constructions navales ce qui permettrait de donner du travail à un nombre important d'ouvriers de notre arsenal.
(À suivre)