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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


5 juillet 1940

Jour 17
 

 

Depuis deux jours, camions et camionnettes font sans arrêt la navette entre Landerneau et Brest et débarquent dans la grande cour du Château leur chargement de soldats de tous âges dont la plupart ont été faits prisonniers après l'occupation.

 

Certains d'entre eux ont combattu dans les Flandres et ont été ramenés dans leurs dépôts pour reformer les unités auxquelles ils appartenaient.

 

D'autres, les plus vieux, faisaient partie de régiments territoriaux ou de travailleurs.

Les plus jeunes, appartenant au premier contingent de la classe 1940, n'avaient accompli que quelques jours de service militaire.

 

Quelques-uns, blessés à Dunkerque, dans des combats d'arrière-garde, ont été soignés à l'hôpital maritime.

Pour leur permettre de se rétablir complètement, des congés de convalescence leur avaient été accordés.

Ils n'ont pu se rendre dans leurs familles et sont, en attendant qu'une décision soit prise en leur faveur, internés au Château avec leurs camarades.

 

Dans la Cour du Château

 

Dans la cour, inondée de lumière, encadrée par les antiques bâtiments qui abritèrent tant de glorieux régiments, par groupes, les prisonniers vêtus d'uniformes kakis ou de vêtements civils, des marins sans cols bleus, font les cent pas ou forment des groupes en supputant les chances d'une démobilisation prochaine.

 

L'arme à la bretelle, quelques sentinelles surveillent placidement les prisonniers qui jouissent d’une certaine liberté d’allure, peuvent par l’entremise de commissionnaires complaisants, faire acheter au dehors du pain ou de la charcuterie, et ne sont astreints à aucun travail pénible.

 

Des équipes sont occupées aux corvées de quartier, au nettoyage des locaux.

Quelques-unes sont employées au dehors à la caserne Fautras ou à l'École navale à des rangements de voitures ou de matériel, qui ne nécessitent aucun déploiement de forces physiques.

 

*

**

 

Tous se plaignent de ne pas recevoir de lettres, d'être dans l'ignorance du sort qui a été réservé aux leurs et c'est là la plus exaspérante épreuve qu'ils aient à subir.

 

De la nourriture, ils ne se plaignent pas de trop.

Leurs cuisiniers sont des prisonniers comme eux qui font de leur mieux pour accommoder la soupe, les légumes et la faible ration de viande qui leur est allouée.

 

*

**

 

Tout cela ne serait rien s'ils recevaient des nouvelles des êtres qui leur sont chers.

Ne pas recevoir de lettres, quand on sait qu'il doit y en avoir quelque part qui ne peuvent arriver et n'arriveront peut-être jamais, est le pire supplice.

 

C'est aussi celui que subissent les parents, les épouses, les fiancées qui, depuis deux mois, attendent chaque jour l'arrivée du facteur, guettent son pas et le voient passer leur porte furtivement, sans s'arrêter, pour distribuer plus loin un journal ou une missive provenant de la ville ou des environs ou parvenue, on ne sait comment, à la poste et vieille, hélas ! de plusieurs semaines.

 

Où est-il ? Que fait-il ?

 

Le doute, les pensées les plus noires, assaillent tous ceux qui attendent d'être fixés sur le sort de l'être aimé et veulent quand même jusqu'au bout garder l'espoir de le revoir bientôt.

 

*

**

 

À la porte du Château, une foule de ces parents anxieux attendent l'arrivée d'un nouveau convoi, scrutent au passage l'intérieur des voitures, cherchant à reconnaître dans cet entassement d'hommes, celui qu'ils espèrent entrevoir.

 

Et les camions pénètrent entre les deux grosses tours de l'entrée, déversent leur contenu.

Les soldats s'alignent, sont conduits dans les locaux qui leur sont réservés.

Parfois, quelqu'un jette un nom, griffonné sur un bout de papier, à la foule anxieuse et une maman ou une épouse peuvent pendant quelques minutes serrer dans leurs bras un petit soldat.

Elles s'en vont alors, du bonheur plein les yeux, sous les regards jaloux de ceux qui attendent toujours courageusement, désespérément.

 

On dit qu'à la fin de la semaine, les communications seront reprises avec Paris.

Le service des postes fera tous ses efforts pour hâter la distribution des lettres en souffrance.

Encore un peu de patience et courage !

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Près de la route de Paris, entre le Coq Hardi et le Pont-Neuf, sur le champ de Kerbernard, de nombreuses automobiles anglaises fortement endommagées ont été abandonnées.

 

Parmi les ferrailles de l'important matériel détruit, il n'est pas rare de trouver des engins dangereux :

Projectiles et grenades, dont la manipulation est délicate pour des profanes et qu'il faut se garder de toucher.

 

Deux enfants :

Louis Le Brenn, 12 ans, dont les parents habitent 6, rue du Télégraphe et Robert Le Dû, 15 ans, 17, rue Magenta, dans le même quartier, en Lambézellec, étaient allés, mercredi, au sortir de l'école, explorer le matériel délaissé de Kerbemard.

 

Les deux gamins découvrirent un obus de petit calibre et, ignorants du danger, eurent la malencontreuse idée de vouloir récupérer — ainsi que l'un d'eux devait l'avouer plus tard — la poudre qu'ils croyaient trouver à l'intérieur.

 

Pauvres gosses !

Ils ne savaient pas que la poudre noire est remplacée, depuis longtemps, par des explosifs dont ils allaient éprouver la puissance.

 

Tous deux se mirent en devoir de dévisser la fusée.

Les mouvements brusques qu'ils imprimèrent à l'obus armèrent le dispositif de mise de feu et, subitement le projectile éclata.

 

Le gamin de 12 ans, Louis Le Brenn, fut atteint à la tête par un éclat qui lui fit une affreuse blessure.

 

Robert Le Dû fut blessé aux jambes et à la main gauche.

 

Au bruit de la détonation, des passants étaient accourus.

M. Février qui passait en auto, prit dans sa voiture les deux blessés et d'accord avec M. Gestin, 1er adjoint au maire de Saint-Marc, habitant non loin du lieu de l'accident, les conduisit à l'hospice civil.

 

Louis Le Brenn ne pouvait survivre à sa blessure.

Une heure après son entrée à l'hôpital, en dépit des soins qui lui furent donnés, il rendait le dernier soupir.

 

L'état de Robert Le Dû, bien que sérieux, ne semble pas devoir mettre ses jours en danger.

 

Il faut déplorer l'imprudence commise par ces deux enfants.

 

Il parait indispensable de faire enlever par des artificiers tous les engins dangereux parsemés un peu partout.

On nous signalait hier, abandonnés dans une guérite, sur le terre-plein du Château, au port de commerce, près du bâtiment construit par l'entreprise Dodin, quatre obus, peints en jaune, c'est-à-dire explosifs, munis de leurs fusées.

 

La plus élémentaire prudence commande de les mettre hors de la portée des passants.

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