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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


5 septembre 1940

Jour 79
 

 

Un des locataires de l'immeuble portant le numéro 36, rue Saint-Marc, en Lambézellec, incommodé par l'odeur pestilentielle semblant provenir du logement de son voisin, M. Pierre Le Maire, retraité de la marine, âgé de 60 ans, alla prévenir, hier, à 13 h. 30, M. Rost, garde champêtre du Pilier-Rouge.

 

Celui-ci l'accompagna sur les lieux, mais ne pouvant ouvrir la porte, prévint M. Le Roux, commissaire de police.

 

On s'apprêtait à forcer la serrure lorsque survint une femme, une pauvre d'esprit connue dans le quartier sous le sobriquet de « Marie Chapeau », parce qu'elle porte un chapeau garni de fleurs en papier.

 

Marie Chapeau possédait la clef du logement où elle venait fréquemment.

Elle prétendit avoir vu son ami couché, il y a quelques jours, mais n'avoir pas voulu le déranger, croyant qu'il dormait.

 

M. le docteur Guyader a procédé aux constatations et a conclu que la mort, qui lui a semblé naturelle, remontait à plus d'un mois.

 

De l'enquête menée par M. Le Roux, il résulte que Marie Chapeau avait caché la mort de son ami dans l'intention de continuer à toucher sa pension.

 

À diverses reprises elle avait recouvert de nouveaux vêtements le corps du défunt « de peur que son ami ait froid »

a-t-elle dit, mais évidemment dans le but d'atténuer l'odeur nauséabonde qui se dégageait du cadavre.

 

M. Le Roux a transmis le résultat de son enquête au parquet.

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Lorsqu'au début de l'année, un peu tardivement, avouons-le, il fut décidé d'intensifier la production dans les établissements travaillant pour la défense nationale, le ministre du Travail songea à utiliser la main-d’œuvre indigène

 

On procéda dans diverses régions du Maroc au recrutement de travailleurs.

Le ministère du Travail leur fit un contrat d'une durée de six mois qui devait leur assurer le logement, la nourriture, les soins médicaux et un salaire de 15 à 20 francs par jour, pendant la durée de leur séjour en France

 

Les travailleurs marocains arrivèrent à Marseille le 17 mars où ils furent formés en compagnies.

L'une d'elles, comprenant 102 hommes, fut destinée à l'arsenal de Brest.

Elle était composée de travailleurs courageux, généralement adroits, qui devaient être employés comme manœuvres par les services des constructions navales. ,

 

Il fallait pour commander ces hommes des officiers connaissant bien les mœurs, les coutumes, les habitudes marocaines.

La compagnie désignée pour l’arsenal de Brest eut la chance d'être placée sous le commandement du lieutenant Jean Perrigault.

 

Journaliste de talent, Jean Perrigault avait eu l'occasion, au cours de ses nombreux reportages au Maroc, de parcourir avec les missions officielles, toutes les régions de notre territoire sous mandat et il connaissait mieux que personne, pour avoir vécu près d’eux, les qualités et défauts des grands enfants que sont restés les Marocains.

 

Il prit avec joie le commandement  de sa compagnie, commandement qu’il considéra non comme une fonction, mais comme une mission et, le 25 mars, il arrivait de Marseille avec ses 102 hommes qu’on lui avait confiés et se présentait aux constructions navales.

 

La compagnie de travailleurs fut casernée dans les bâtiments situés sur la rive droite de la Penfeld, près du pont de Kervallon, entre la porte de l’arrière-garde et l'île factice.

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Les bâtiments qui lui étaient affectés étaient d’anciens magasins, entourés d’un énorme amas de ferrailles rouillées.

Pour en atteindre les portes, il fallait traverser un véritable cloaque, franchir des flaques d’eau, s’enfoncer jusqu’aux chevilles dans une boue rougeâtre et visqueuse.

 

Le lieutenant Perrigault mit ses hommes au travail.

En trois semaines, des tonnes d’encombrantes ferrailles furent enlevées, la boue disparut, le terrain fut nivelé grâce à des centaines de mètres cubes de mâchefer répandus ;

des jardins furent tracés et, le printemps aidant, les abords du camp des Marocains de Kervallon prirent l'aspect accueillant qu'ils ont encore aujourd'hui.

 

Dès le 21 avril, les Marocains avaient pu célébrer avec éclat la fête du Mouloud (de la nativité du prophète) et faire admirer par les autorités maritimes qui y assistèrent la belle organisation de leur camp qui valut à leur lieutenant de vives félicitations.

 

Nous avons voulu visiter hier ce qui reste de ce cantonnement, où avec l'aide intelligente de Mme Perrigault, le lieutenant commandant avait mis tout en œuvre pour donner « à ses enfants » le maximum de bien-être, afin que ces déracinés emportent de l'accueil reçu en France le meilleur souvenir.

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Quand on pénètre, par des sentiers rocailleux, dans ce camp à l'accès difficile, les yeux se portent d'abord sur les parterres fleuris où les capucines aux couleurs variées se mêlent agréablement aux dahlias échevelés, aux délicats œillets roses ou blancs que dominent les hautes tiges de glaïeuls aux clochettes multicolores.

 

Dans un coin, l'utile est joint à l'agréable sous forme de radis et de tomates qui rougissent au soleil.

 

Les Marocains qui ne sont pas de corvée se reposent et se chauffent à ses rayons, étendus à même le sol dans la cour.

Les uns raccommodent avec attention un vieux, pantalon ou reprisent une paire de chaussettes ;

d'autres se contentent de rester dans une attitude méditative, rêvant sans doute à leur pays qu'il leur tarde, maintenant, de revoir au plus tôt.

 

Il y a là les types les plus divers, des Chleuhs du Sous et de l'Atlas, des habitants des cercles des confins du Draa et d'autres régions de ce Maroc si riche.

Dans leur langue gutturale, ils échangent en dialectes berbères leurs impressions premières sur notre visite inopinée.

 

Les uns sont jeunes, imberbes, bronzés ou noirs.

D'autres ont le visage orné d'une barbe en pointe, dont les poils sont déjà grisonnants.

 

Le lieutenant Perrigault nous les présente :

 

Voici le Chibani (le vieux) ; sa tête est entourée d'un turban bleu, savamment enroulé.

C'est le plus ancien de la compagnie.

C'est aussi un vieux roublard qui a plus d'un tour dans son sac.

 

Chaque jour il sort et trouve le moyen, bien que ne possédant pas de carte d'alimentation, de rapporter au camp un à trois kilos de sucre.

 

Le truc qu'il emploie est bien simple.

Il entre dans une épicerie, prononce d'un ton autoritaire le seul mot français qu'il connaisse :

« Sucre » et attend.

 

Tous les arguments que l'on peut invoquer pour le persuader qu'on en manque n'ont aucune prise sur lui ;

il s'assied et attend qu'on le serve.

 

Comme il est impossible de se débarrasser de son encombrante présence, las de le voir rester là, impassible, l'épicier finit par lui donner satisfaction et le Chibani paie son kilo de sucre et va plus loin renouveler sa provision, qu'en bon commerçant il revend à ses camarades avec un légitime bénéfice.

 

Lorsqu'on raconte ses exploits devant lui ses petits yeux vifs pétillent de malice.

 

Voici Sidl Ahmed, le marabout, c'est un saint homme, très pieux.

Dans ses extases il dévoile le secret du monde intangible.

Aussi jouit-il d'une très grande Influence sur ses camarades, qu'il a la charge de conduire dans le « chemin de Dieu ».

Ce marabout est originaire de Tombouctou.

 

Le sergent-chef Ben Mouloud est un grand gaillard au visage bronzé, orné d'un collier de barbe.

C'est un ancien goumier, parlant un peu le français.

II sert d'agent de liaison.

 

Voilà sur la berge, la longue silhouette de Si Mohammed.

Toute la Journée, muni d'une longue gaule, il pêche à la ligne avec philosophie.

 

Il pratique avec adresse son sport favori et retire de la Penfeld nombre de mulets et autres poissons qui améliorent l'ordinaire.

 

Ne tentez pas de le déranger, il est trop occupé.

​

 

M. Jézéquel est chargé du ravitaillement de la compagnie.

Il se rend, chaque jour aux subsistances de la marine, avec une corvée, chercher des denrées et au marché de la place Ferrer, acheter des légumes.

 

— Ils sont très difficiles pour le poisson, nous dit-il.

Ils ne mangent pas de thon parce que c'est un « cochon de mer » :

Ils ne veulent ni congre, ni anguille, parce que ce sont des poissons sans écailles.

Par contre, ils adorent la sardine et le maquereau.

 

Ils n'ont pas, d'ailleurs, à se plaindre ici de la nourriture.

À tous les repas, on leur fait une bonne soupe et leur ration de viande est de 300 grammes par jour.

 

Les légumes sont pratiquement à discrétion.

Nous touchons pour eux, à l'intendance, du bœuf ou du mouton frigorifiés, avec lesquels ils font des ragoûts.

 

Ces ragoûts mijotent dans une sauce pimentée dans la composition de laquelle entrent des navets, des choux, des carottes et... des raisins secs.

 

Ils font avec leur pain, dans cette sauce une sorte de pâtée et s'en fourrent jusque-là, gloutonnement, car nos Marocains ont un robuste appétit.

 

Deux fois par semaine, leurs cuisiniers leur servent du couscous, mets national qu'ils aiment par-dessus tout.

 

Dans un ustensile spécial, percé de trous comme une écumoire, la semoule qui sert à le préparer est cuite à la vapeur.

Mme et M. Jean Perrigault viennent souvent, les jours de couscous, déjeuner au camp.

 

Trois fois par semaine, nos Marocains ont du dessert :

des pommes en cette saison.

Deux fois par jour, ils boivent du café, mais ils ignorent le vin et l'alcool et ne consomment que de l'eau.

Ce n'est pas le thé à la menthe qu'ils absorbent toute la journée qui les rendra alcooliques.

 

— Allons au cantonnement, interrompt le lieutenant Perrigault.

 

(À suivre).

​

 

Du Conquet, de Portsall, de Tréglonou, arrive tous les matins, le poisson qui approvisionnera la halle de Brest.

Autrefois, on venait du Guilvinec, d'Audierne, mais la pénurie d'essence a changé tout cela.

Le nombre des pêcheurs a énormément diminué et les transports par voitures automobiles se sont fait de plus en plus rares.

 

Les équipages de notre marine de guerre étaient de grands consommateurs de poissons.

Aux premières heures de la matinée des corvées de matelots de chaque bâtiment venaient faire au marché une ample provision de poissons de toutes sortes.

 

— Depuis qu'il n'y a plus de marine, nous disait une détaillante, la consommation a diminuée,

sans exagérer, de plus de la moitié.

 

Dès 7 heures, d'accortes marchandes attendent place Ferrer, l'arrivée des mareyeurs et mareyeuses.

Quelques-unes ont une voiturette qui leur permettra d'aller à travers la ville vendre la marée fraîche.

 

Bientôt, les premiers arrivages ont lieu.

Trois, quatre voitures seulement amènent sur le marché le produit de la pêche de la veille.

Marchandes des halles et « crieuses de rues » se pressent autour des caisses qui sont vivement débarquées.

Les revendeuses ont fait leur choix et, moins d'un quart d'heure plus tard, la vente au détail peut commencer.

 

Nous avons pu alors causer quelques instants avec un mareyeur de Portsall et lui demander ce qu'il pensait de la pêche actuellement.

C'est dans l'un des petits cafés de la rue de la Mairie, face aux halles, qui connaissent à cette heure une grande animation, que nous nous sommes entretenus avec notre interlocuteur.

 

— Les événements actuels, causent de graves préjudices au pêcheur, plus particulièrement à celui dont c'est le vrai métier, qui ne fait vivre sa famille que par le produit de sa pêche.

 

La nouvelle réglementation interdit aux bateaux de sortir la nuit.

Les pêcheurs ne peuvent prendre la mer qu'au lever du jour et ils doivent rentrer au coucher du soleil.

Il arrive donc fréquemment qu'ils quittent le port à l'heure où, en temps normal, ils se trouvent depuis longtemps déjà sur les lieux de pêche.

 

Résultat : perte de trois heures sur la marée.

 

Nos pêcheurs de Portsall où l'en compte encore une centaine de bateaux dont une quarantaine possèdent un moteur, prennent exclusivement leurs poissons à la ligne.

Ce sont de véritables artistes dans ce genre de pêche qui a l'avantage sur la drague ou le filet de mieux conserver le poisson une fois qu'il est tiré de l'eau.

 

Les possesseurs de barques à moteur, poursuit notre interlocuteur, ont droit, jusqu'à présent, à 50 litres d'essence par semaine, ce qui leur permet de se rendre deux jours durant, seulement jusque dans les parages d'Ouessant où les lieus et tacots foisonnent

 

Dans ces moments, les bateaux rentrent au port avec en moyenne trois tonnes de poissons.

Malheureusement, ils doivent se borner le plus souvent à séjourner dans les environs des roches de Portsall, à proximité de la côte où le poisson est beaucoup moins abondant.

La navigation à la voile ne leur permet pas de s'éloigner du port car il faut songer à rentrer avant l'expiration des délais.

 

Avant-guerre, la flottille appareillait vers 3 ou 4 heures du matin.

L'un des bateaux était chargé d'amener jusqu'au port le produit de la pêche, tandis que les autres restaient sur les lieux la nuit entière.

Cela est maintenant devenu impossible.

Les apports sont devenus restreints.

Mardi, les arrivages ont été d'environ huit cents kilos.

 

— Quels étaient vos prix de vente ?

 

— Le lieu, 8 francs le kilo ;

le congre, 7 francs ;

le carrelet et le mulet, de 9 à 10 fr. ;

la vieille, 4 à 5 francs ;

la dorade, 7 à 8 fr.

Mais ces prix varient beaucoup.

 

*

**

 

— En ce qui nous concerne, nous mareyeurs, la question de l'essence pour nos véhicules est également du plus grand intérêt.

 

Actuellement, deux camionnettes circulent pour les trois mareyeurs de Portsall.

Il est question qu'on nous en supprime une.

Je me demande alors comment nous ferons pour transporter le poisson, le jour où la pêche aura pu être fructueuse.

À moins qu'on n'autorise la circulation d'un camion de deux ou trois tonnes.

 

« Jusqu'à présent, c'était l'administration des Ponts-et-Chaussées qui nous livrait l'essence nécessaire à nos transports, environ 50 litres par semaine.

Depuis quelques jours ce n'est plus à elle que nous devons, parait-il, nous adresser.

 

C'est nous qui venons prendre à Brest ajoute notre interlocuteur, l'essence destinée à nos pêcheurs, après autorisation délivrée par l'Inscription maritime et vérification faite par la Douane.

 

Le métier de pêcheurs est dur.

Ils restent quelquefois de longs mois sans pouvoir se livrer à leur travail qui fait vivre pénible ment leur famille.

 

Souhaitons qu'ils conservent leur gagne-pain.

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