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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


6 août 1940

Jour 49
 

 

Deux thoniers d'Auray :

L’Étoile de France et le Père Jean François, leur grand’voile jaune à demi carguée, viennent de s'amarrer à quai.

 

Les patrons se rendent aussitôt à la criée déclarer le nombre de poissons qu'ils rapportent :

1.110 thons à eux deux.

La gérante, Mlle Lesquer, les répartit entre les deux usines désignées à l'avance.

 

Alors qu'à cette époque, les usines devraient travailler sans arrêt chaque jour, pendant dix ou douze heures, la raréfaction des arrivages, non pas par défaut de poissons, mais par manque de gas-oil, a obligé les fabricants de conserves à établir un tour, scrupuleusement observé, pour leur permettre de travailler quelques heures par semaine.

 

La nouvelle de l'arrivée de deux thoniers s'est vite répandue.

Des ouvrières attendaient déjà aux portes des usines.

D'autres accourent.

Toutes, hélas ! ne pourront aujourd'hui être embauchées et elles n'auront de travail que pour deux ou trois heures.

Chaque usine dépêche son « acheteuse » au bateau pour contrôler le déchargement des poissons.

Un camion et deux hommes la suivent.

 

Les marins ouvrent la chambre froide.

Ils font la chaîne.

De main en main, ils se passent les poissons qui sont alignés dans les camions.

Il faut faire vite.

Le changement brusque de température pourrait être préjudiciable à la qualité du thon passant de 6° à 20°.

 

Les camions, tarés à l’arrivée, repassent sur la bascule municipale pour peser les poissons.

Une taxe « de péage » de 2% est perçue pour l'entretien du port.

 

Les camions roulent vers les usines, attendus par les ouvrières sous les ordres d'un contremaître et de deux contremaîtresses.

 

— Allons les femmes, dépêchons ! commandent celles-ci.

 

Le déchargement des camions se fait rapidement.

Les thons sont placés dans de petits wagonnets.

Des ouvrières les conduisent près des tables où deux femmes les passent à un homme maniant avec dextérité un grand couteau à charnière.

 

La tête et la queue du poisson sont tranchées et jetées dans un récipient.

Le corps est coupé en trois ou quatre morceaux.

 

Les têtes et les queues seront, l'opération terminée, immédiatement enfouies.

Elles seront livrées à une usine de produits chimiques ou vendues comme engrais à des cultivateurs.

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PRÉPARATION À L’HUILE

 

Les tranches comestibles du thon sont placées dans des cases métalliques en attendant d'être cuites dans de grandes cuves pouvant contenir de 5 à 800 kilos.

 

On les laisse refroidir ensuite pendant la nuit.

Le lendemain matin, débarrassées de leur peau, le sang nettoyé, l'arête et la partie noire qui l'enveloppe enlevées, les morceaux de chair sont placés dans des séchoirs très aérés où on les laisse de 24 à 48 heures, selon la température.

 

La chair est parée une seconde fois.

Des machines automatiques la découpent en tranches de la hauteur des boites de fer rondes ou ovales, s'il s'agit du ventre du poisson vendu alors sous l'appellation de « filet de thon ».

 

On arrose d'huile d'arachide ou d'olive selon le prix de vente de la boite, ensuite fermée au moyen de sertisseuses, puis passée à la stérilisation.

 

Chaque boite est soigneusement vérifiée.

On s'assure que l'air n'y pénètre pas, que l'huile ne fuit pas, puis les boites sont rangées dans des caisses prêtes à être livrées au commerce.

 

LE MANQUE D'HUILE

 

La réserve d'huile qu'avaient encore les fabricants de conserves leur a permis jusqu'ici, de poursuivre cette fabrication.

Mais l'huile s'épuise.

 

Le syndicat des fabricants de conserves est intervenu auprès du syndicat des huileries de Bordeaux et vient d'obtenir pour être réparti entre toutes les usines du Finistère et du Morbihan, un contingent de 120 tonnes d’huile, soit une moyenne de... 500 kilos par usine, ce qui représente pour chaque usine conservant à l’huile les thons, les sardines et les maquereaux, en temps de pêche normale, à peine une journée de travail.

 

Le maquereau peut, à la rigueur être conservé « au vin blanc ».

On étudie le moyen de remplacer la sardine à l’huile par une préparation semblable, ou de la conserver, comme le thon « au naturel ».

Ces essais ne semblent pas encore au point.

 

À l’huile, la sardine peut se conserver plusieurs années.

Au naturel, elle ne se conservera que quelques mois.

Le fabricant devra donc, si le procédé au naturel donne les résultats espérés, restreindre sa fabrication, et limiter la mise en boites aux besoins immédiats.

 

Par contre, pour le thon, la préparation au naturel a donné, depuis deux ans, les meilleurs résultats.

Nous dirons demain en quoi consiste ce nouveau procédé.

 

(À suivre).

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