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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


6 septembre 1940

Jour 80
 

 

Le lieutenant Jean Perrigault nous fait parcourir le cantonnement, à l'aménagement duquel il a apporté tous ses soins.

 

Au premier étage :

Le dortoir, une longue pièce bien aérée où s'alignent une double rangée de lits à deux étages.

À l'aide d'une corde, des toiles sont fixées à des cadres de bois constituant ainsi des sortes de lits de sangle ou de hamacs, supportant la paillasse.

Un polochon et deux couvertures complètent la literie.

 

Malgré la chaleur exceptionnelle de ce mois de septembre, quatre gros poêles sont allumés.

Le bois ne manque pas ici !

 

Dans des théières chauffe, en permanence, l'eau pour ce thé à la menthe, dont sont si friands les Marocains qui en consomment toute la journée.

 

LES JEUX

 

Assis autour de tables octogonales, peintes d'un rouge vif, les hommes avalent, à petites gorgées, le breuvage brûlant qui, avec l'eau, est la seule boisson permise par le Coran.

 

Ils jouent aux cartes, aux dominos ou aux dames.

Les damiers sont primitifs :

un bout de carton avec des cases tracées au crayon ;

les pions sont de simples cailloux de couleur foncée ou claire, des boutons ou, à la rigueur, un bout de croûte de pain.

 

Attentifs, les joueurs prennent le temps de la réflexion avant de déplacer un pion,

Pas un mot n'est prononcé pendant la partie.

Ceux qui la suivent, avec un visible intérêt, ne se permettraient pas d'influencer les joueurs par un conseil ou une critique et, pendant des heures, la partie se poursuit, silencieusement.

Il faut bien tuer le temps.

 

LE CAFÉ MAURE

 

De l’ameublement du café maure que j'avais installé au 3e étage, dans un décor du style arabe le plus pur, seules ces tables ont été sauvées, nous dit Jean Perrigault.

Tout le reste a été pillé le 19 juin et nous avons eu bien du mal à récupérer dans le voisinage quelques objets déménagés du camp avec un peu trop de hâte.

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RÉFECTOIRE ET CUISINES

 

Au rez-de-chaussée se trouve le réfectoire.

Ses tables en bois blanc, journellement lavées, sont fort propres.

L' « homme de plat » va chercher à la cuisine les récipients contenant la soupe fumante et le ragoût parfumé et pimenté.

Ses neuf camarades — les tables sont de 10 convives — emplissent hâtivement leurs assiettes et, les coudes sur la table, la tête penchée en avant, chacun avale rapidement les mets brûlants.

 

À la cuisine, deux jeunes Marocains ont la charge de satisfaire les appétits de leurs compagnons.

Ils s'acquittent avec conscience de leur mission.

Il faut reconnaîtra que la soupe dégage un fumet agréable et que le ragoût, où surnagent quantité de raisins secs, est appétissant.

 

LES BAINS.

 

À peine sortis de table, les Marocains, sans en paraître le moins, du monde incommodés, s'élancent dans la Penfeld.

Nageant comme des poissons, plongeant comme des marsouins, ils se livrent dans l'eau à d'étonnantes cabrioles.

Se maintenant longtemps entre deux eaux, ils émergent subitement près d'un camarade et, d'un grand coup de leur jambe raidie, l'éclaboussent.

Cela soulève, les rires de la galerie et provoque d'amusantes poursuites accompagnées de pirouettes, de plongeons pendant lesquels les nageurs disparaissent pour ne ressortir de l'eau que beaucoup plus loin et recommencer leur recommencer leur manège.

Voilà qui prouve qu'il n'est nul besoin de piscines coûteuses pour savoir nager, pas plus qu’il n’est besoin de stades pour faire du sport.

 

Tous ces grands enfants semblent trouver à ces jeux un plaisir extrême ;

mais parfois, malgré leur aspect placide, ils se fâchent, se provoquent et se battent.

 

Malheur à leur adversaire si un gourdin leur tombe sous la main.

 

Heureusement, le lieutenant Perrigault a été autrefois médecin aide-major.

Il soigne lui-même les fréquentes plaies et bosses des hommes qui lui sont confiés.

Une couche de teinture diode, un pansement et au bout de trois jours, la tête du Marocain, encore plus dure, sans doute, que celle du Breton, est réparée et guérie.

 

Ces grands gosses n’ont d’ailleurs pas de rancune.

La colère passée, ils se réconcilient avec autant de facilité qu’ils avaient échangé des coups de trique et redeviennent bons amis.

 

(À suivre.)

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