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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


7 août 1940

Jour 50
 

 

Le tribunal correctionnel s'est réuni hier, sous la présidence de M. Baschet, assisté de MM. Hamery et Le Flachier, juges.

 

M. Daigre, substitut, occupait le siège du ministère public.

M. Pommier, greffier ;

Me Trémel, huissier audiencier.

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— Mme Merdy, débitante, qui a vendu trois verres de rhum à des consommateurs, un samedi, jour d'interdiction de l'alcool, est condamnée à 100 francs d'amende.

 

— Huit jours de prison avec sursis sont octroyés aux six personnes qui avaient été inculpées de vols de vin au port de commerce.

 

Le casier du « général ».

​

— Jean Cessou, 61 ans, connu pour ses harangues sur nos places publiques et surnommé « le général », a encouru 76 condamnations pour ivresse.

Mais il y a plus d'un an qu'on ne lui a pas dressé procès-verbal.

Son casier vient de connaître une nouvelle virginité et ne s'ornera que d'une amende de simple police : 5 francs.

 

Les resquilleurs de matériel anglais.

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— Les nommés C..., 30 ans, et L..., 25 ans, occupent une chambre à Saint-Marc, dans laquelle on a trouvé des roues, des pièces d'automobiles et de moteurs, des vêtements, etc., le tout provenant de matériel anglais qu'ils ont récupéré à Lannilis.

Une patrouille allemande les surprit, transportant tous ces objets dans un camion.

 

« Il n'y a pas eu soustraction frauduleuse, mais prise ou recel d'une chose volontairement abandonnée », déclare leur défenseur, Me Kernéis, dans sa plaidoirie.

Jugement à huitaine.

 

— Toujours du matériel anglais abandonné, des caisses, des cordes, des lanternes, les ustensiles les plus divers ont été trouvés, le 19 juillet, chez Jean Andrézet, 45 ans, à Guipavas.

Les faits sont reconnus.

Mis en délibéré.

 

Pour l'amour d'un soldat.

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— Noémle Allouet, célibataire, 39 ans, n'en est pas à son premier amour ;

mais le 8 mai, pour conserver son ami, le soldat Mahé, elle lui procura des vêtements civils et le cacha dans les douves, où, tous les soirs, elle allait le retrouver.

Elle est poursuivie pour avoir favorisé la désertion d'un soldat et recel de vêtements militaires.

Le tribunal ne retient que la deuxième inculpation et inflige à Noémie 4 mois de prison.

 

Défaut de visa.

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— Paolo Demestre, chaudronnier, 55 ans, père de six enfants, vit en roulotte et n'a jamais été condamné.

Mais il a omis de faire viser son carnet anthropométrique (*) à la mairie de Saint-Pierre-Quilbignon.

Huit Jours de prison.

 

Entre voisines.

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— Mmes Oswald et Castel ne vivent pas en très bonne intelligence, dans les bâtiments de la caserne Taylor, à Landerneau, qui sont réservés aux familles des sous-officiers.

À propos d'une querelle entre leurs enfants, Mme Oswald a frappé Mme Castel, qui a porté plainte. Jugement à huitaine.

 

Blessures involontaires.

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— M. Gloaguen, maçon, 55 ans, rentrait de son travail le 16 octobre dernier, vers 18 heures, quand il fut heurté, par derrière, sur la chaussée, devant le n° 254 de la rue Jean Jaurès, à Saint-Pierre-Quilbignon, vis-à-vis le Grand-Turc, par une voiture automobile que conduisait M. R..., de Saint-Pierre.

 

M. Gloaguen, violemment projeté à terre, fut atteint de contusions multiples et d'une fracture du bras gauche, qui lui occasionnèrent une incapacité de travail de deux mois.

 

Me Le Goasguen se porte partie civile et Me Kernéis demande au tribunal d'écarter le délit de fuite reproché à l'inculpé.

L'affaire est mise en délibéré.

 

(*) Carnet anthropométrique :

Instauré par la loi du 16 juillet 1912 sur l'exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades, ce carnet était obligatoire pour tous les nomades âgés de plus de 13 ans et devait consigner tous les déplacements, rendant possible une étroite surveillance de ces populations.

Les carnets individuels devaient être signés dans chaque lieu d'arrêt des nomades, quotidiennement, par les agents locaux (maires, adjoints, et plus rarement instituteurs et gardes champêtres).

En parallèle, les groupes de nomades possédaient des carnets collectifs contenant les noms de tous les individus, dont les enfants trop jeunes pour être porteurs du dispositif individuel.

 

Il contenait plusieurs informations anthropométriques, ainsi que les empreintes digitales et des photos d'identité de profil et de face.

 Ce processus de consignation s'inscrit dans la logique des évolutions des techniques de surveillance, dans le sillon du développement du Bertillonnage.

 

Le 3 janvier 1969 la loi est abrogée, les nomades sont maintenant appelés gens du voyage et le carnet est remplacé par le livret de circulation.

La suppression de ce dernier est votée par l'Assemblée nationale en 2015.

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Avant 1938, le thon n'était conservé qu'à l'huile.

L'importation grandissante des saumons américains, canadiens, japonais ou chinois — qui, en raison de leur prix avantageux, avaient conquis la faveur des consommateurs — n'avait pas été sans porter atteinte à la vente de nos conserves de poissons.

 

La mévente du thon s'accentua.

On vit son prix descendre jusqu'à 200 francs les100 kilos, ce qui permettait à peine aux pêcheurs de couvrir leurs frais.

 

À la suite des démarches réitérées des parlementaires de la région, le gouvernement s'émut et releva les droits de douane sur les importations.

De leur côté, les fabricants de conserves cherchèrent le moyen de concurrencer avantageusement les conserves étrangères.

 

Les deux plus importantes usines de Concarneau mirent à l'essai la préparation du thon au naturel.

Ce timide essai porta, la première année, sur une vingtaine de caisses dans chaque usine.

L’expérience réussit.

En 1939, l'une de ces usines expédia une trentaine de mille caisses de thon conservé au naturel.

 

Les clients déclaraient, en général, que ce procédé avait sur celui de la conserve à l'huile des avantages.

La double cuisson du second privait le poisson de sa graisse ce qui le rendait sec et faisait émietter sa chair.

 

Au contraire au naturel, le thon, mis cru en boites, n'était cuit qu'une fois par la stérilisation.

Les tranches, de la hauteur de la boite, coupées par des machines automatiques, restaient nettes, onctueuses, ne s'effritaient plus, et l'aspect en était plus appétissant.

Le goût du poisson était plus délicat, très supérieur à celui du saumon d'importation, dont il dépassait de beaucoup les qualités nutritives.

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En réduisant la manutention par la suppression d'une cuisson, en diminuant le nombre des formats de boites — les petites tailles employées dans la conserve à l’huile, par exemple — les fabricants pouvaient obtenir un meilleur prix de revient, particulièrement appréciable en raison du prix actuel d'achat de 950 francs les 100 kilos.

 

L'outillage des usines permettrait de tripler la fabrication.

Pour remédier aux inexistantes Importations étrangères, pour constituer une réserve utile en ces temps de restrictions, la conserve du poisson pourrait rendre d'appréciables services.

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La pêche semblait devoir être fructueuse cette année.

Le manque de mazout ou de gas-oil pour la pêche au thon, d'essence pour celle de la sardine et du maquereau, obligent la plupart des bateaux à rester au port, alors que la durée de la saison de pêche va, chaque semaine, en diminuant.

Il est donc urgent si on veut bénéficier de l'apport des produits de la pêche, de remédier à cet état de choses.

 

Le moteur n’est plus, comme au début de son emploi sur les bateaux, l’auxiliaire de la voile, le progrès de la traction mécanique en a fait l’unique propulseur du bateau.

Les pêcheurs ont abandonné la voile comme l’automobile a remplacé le cheval.

Ne plus être à la merci du vent, connaitre à l'avance le temps exact qu'il faudra pour se rendre ou revenir sur les lieux de pêche en un minimum d'heures, pouvoir se déplacer rapidement pour rechercher le poisson, étaient des avantages suffisants pour abandonner les vieilles chaloupes non pontées aux misaines et grand'voiles brunes avec lesquelles on ne savait, jamais quand on reviendrait, parfois avec une pêche avariée qu'il faudrait rejeter à la mer.

 

Le progrès aidant, les constructeurs ont créé le « Malamok », type de chalutier thonier qui permet aux pêcheurs de pratiquer la pêche au chalut, l'hiver, sur les fonds côtiers ;

l'été, de se livrer, au loin, à la pêche au thon.

 

Ces bâtiments jaugeant de 70 à 80 tonneaux, longs de 20 à 25 mètres, ont des moteurs d’une puissance de 150 à 250 chevaux.

 

On peut voir un de ces bateaux sur les cales de construction de MM. Donnart et Cie, près de la ville close.

La coque est achevée, la chambre froide prête, mais on attend — sans savoir quand il arrivera — le moteur commandé depuis un an à une usine de Courbevoie.

 

Un chalutier-thonier de ce type revient aujourd'hui, dit le constructeur à environ 900.000 francs.

Le moteur seul coûte 500 000 francs.

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La structure des « Malamoks » ne leur permet pas de naviguer à la voile.

Elle est étudiée pour l'usage continu du moteur.

Ses mats, très courts, sont surtout utilisés pour le séchage des filets bleus.

Les deux voiles, d’une superficie réduite, ne peuvent servir que pour aider la machine par vent favorable.

(Il en est d'ailleurs de même pour les pinasses douarnenistes, ainsi qu’on le verra par la suite.)

 

Ces bateaux conçus pour la traction mécanique ne pourraient pas, par vents contraires « gagner dans le vent » ne pouvant louvoyer, tirer des bordées, naviguer au plus près ou être propulsés à l'aviron par calme plat.

 

Seuls, les anciens dundees — il en reste à peu près 80 à Concarneau — ayant encore misaine et grand'voile, pourront donc poursuivre, cette saison, la pêche au thon, si on ne trouve pas le moyen de distribuer rapidement à la cinquantaine de chalutiers-thoniers la quantité de gas-oil qui leur est nécessaire.

 

Il ne faut pas oublier que la saison du thon sera terminée dans deux mois et demi, qu'elle est la principale ressource des habitants de Concarneau dont elle fait vivre toute la population, et que l'immobilisation de ses bateaux ne manquerait pas de plonger dans la plus grande détresse toutes les familles si nombreuses de nos côtes dont on connaît le courage et la vaillance.

 

(À suivre.)

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