1940 - 1944
Chroniques d'occupation
7 juillet 1940
Jour 19
Les ateliers ne fonctionnent plus, les machines ne tournent plus.
Si quelques ouvriers errent encore sur les quais, encombrés de matériel inutilisable, ils ne travaillent pas.
L'arsenal est en sommeil.
Tout est triste, tout est mort!
Il faut voir de près les dégâts qui y ont été commis.
En voulez-vous quelques exemples?
Dans le bassin de radoub, dont la mise à sec n'est plus possible, émerge de l'eau irisée de mazout, les cheminées, les mâts et l'avant, avarié par une bombe d'avion, du torpilleur Cyclone.
La grande grue
La grue de 150 tonnes est entourée de cordes où sont accrochés des bouts d'étoffe rouge.
On lit sur une pancarte : « Danger de mort ».
Enfreignons la défense et allons voir de près.
La grande grue ne tient debout que par des lambeaux de ferrailles.
On est tenté de se demander si, un jour de tempête, le vent ne la jettera pas à terre.
On a voulu l'abattre, elle a résisté.
Quatre fourneaux de mines avaient été placés à sa base, les deux plus puissants du côté de la rivière, dans le but de la faire tomber en travers de la Penfeld pour l'obstruer entièrement.
Au moment de mettre le feu au cordeau bickford qui reliait les quatre fourneaux de mine, il y eut une hésitation.
Par téléphone des ordres précis furent demandés à la préfecture maritime.
Ils se firent attendre.
Le temps pressait.
Quelqu'un prit l'initiative de mettre le feu au cordeau.
Malheureusement, à ce moment, huit marins qui venaient de couler leur sous-marin, arrivaient.
À un dixième de seconde d'intervalle, les quatre explosions éclatèrent, brisant vitres et boiseries des fenêtres proches.
En face de la porte Tourville on retrouva le corps déchiqueté d'un matelot.
Le long du mur de la majorité générale, ceux de ses sept camarades :
quatre étaient plus ou moins sérieusement blessés.
Les trois autres n'étaient que commotionnés et ne comprenaient pas comment ils se trouvaient là.
La grande grue avait résisté.
Ses cabines et appareils de manœuvre étaient détruits, ses bases métalliques entamées, mais elle tenait toujours debout.
Grâce à la présence d'esprit d'un officier, qui désamorça les ponts minés, la circulation ne fut pas interrompue entre les deux rives.
Traversons par le pont II. — Dans les ateliers de l'artillerie, tout a été saccagé.
À l'aide de chalumeaux, tous les canons ont été mis hors de service.
Le matériel est démoli.
Dans les bassins de Pontaniou, qu'il faut contourner, les portes ayant été détruites, la cheminée et les mâts d'un chalutier-patrouilleur émergeaient.
Plus loin, le pont transbordeur a été épargné.
Au Salou
Des ouvriers dressent un échafaudage pour réparer la porte du bassin dans lequel se dresse, enduite de minium la partie centrale du Clémenceau dont l'achèvement avait été interrompu depuis quelques semaines déjà.
La quille est en place sur une longueur de 190 mètres.
On aperçoit les ouvertures pratiquées dans les tôles pour le passage des arbres des quatre puissantes hélices qui devaient propulser ses 35.000 tonnes.
À l'arrière, toutes les cloisons intérieures, assemblées à la soudure électrique, sont montées et dépassent la hauteur du bassin.
Au fond, est assemblée la charpente métallique circulaire destinée à renforcer le plancher d'une des huit tourelles de ses pièces de 380, que le pont roulant de 75 tonnes aurait soulevé, déposées à la place qu'elles devaient occuper.
Sur un wagonnet est resté un chargement de longues plaques de tôles amenées de la salle de traçage et inemployées.
Une des grues, du côté gauche du bassin, fonctionne.
En face, le long bras brisé de l'autre, mise hors service, pend lamentablement.
On dit que le Clémenceau sera démonté pour en récupérer les tôles.
Tout autour du bassin, le feu a détruit ce que les explosifs avaient épargné.
Au centre des sous-marins
Le grand restaurant coopératif où un millier d'ouvriers déjeunaient chaque jour, est abandonné.
Près de sa longue façade s'empilent les bancs et les tables de son annexe de La Ninon, ramenés ici pour leur éviter d'être détruits par l'incendie.
Trois sous-marins qui étaient en réparations, ne pouvant prendre la mer, ont été coulés.
À marée basse, on aperçoit émergeant, au milieu de la Penfeld, leurs kiosques.
Au mât de l'un d'eux, flotte encore le pavillon tricolore.
Plus loin, le feu a détruit les trois grands bâtiments du centre des sous-marins, qui couvraient une importante superficie.
L'incendie commença par le local où étaient rangés les accumulateurs.
Leurs récipients en ébonite fut un élément de propagation rapide de l'incendie, qui détruisit le bâtiment voisin et celui qui servait de caserne aux équipages des sous-marins.
De ces trois bâtiments il ne reste plus que des murs noircis.
Par sa situation géographique, sa rade magnifique offrant un abri unique au monde,
le port de Brest ne doit, ne peut mourir.
Souhaitons qu'il ressuscite bientôt !