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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


9 août 1940

Jour 52
 

 

Lundi, les pêcheurs douarnenistes et tréboulois que le manque d'essence empêchera encore de partir, prendront à la ligne du haut du môle, des chinchars qu'ils vendront au marché :

1 fr. 25 la douzaine, en attendant qu'il leur soit permis de se rendre sur la basse du Lys, dans la baie de Dinant ou entre le raz de Sein et les Pierres-Noires, s'ils peuvent disposer de trois bidons d'essence, pour rapporter une pêche fructueuse et rémunératrice.

 

Tréboul est trop proche de Douarnenez pour que les doléances de ses pécheurs diffèrent.

 Plus heureux que leurs voisins, la plupart des pêcheurs tréboulois, louent un lopin de terre :

 

— Si nous ne pouvons gagner notre pain, dit un pêcheur, nous pourrons du moins manger des pommes de terre.

 

À AUDIERNE

 

La route qui mène à Audierne est déserte.

À Pont-Croix, sur le seuil de leurs portes, quelques femmes bavardent.

 

Sur les quais d'Audierne, des pêcheurs se donnent rendez-vous pour partir à la pêche, au point du jour.

Chaque bateau a reçu deux bidons d'essence.

 

Pour ménager le carburant si rare, dit un pêcheur, nous restons le plus près possible du port.

 

Jusqu'ici nous avons vécu sur nos réserves d'essence.

Mais n'en avions plus.

Pour la première fois on nous en a distribué hier, mais au compte- gouttes.

 

En raison du courant de six nœuds qui règne dans la rivière d'Audierne, nous dépensons pour en sortir ou y entrer, trois litres d'essence, il ne faut donc pas songer à courir après le poisson et se contenter de celui qu'on trouve dans la baie.

Nous nous éloignons rarement — et pour cause — à plus de 2 ou 3 milles.

 

Quand on avait de l'essence, si la sardine manquait, nous allions au S.O. d'Armen.

Nous avons tous à bord une quinzaine de filets de raie avec lesquels on peut pêcher ce poisson aussi bien que le homard et la langouste.

 

On laissait les filets au fond et on venait les relever tous les deux jours.

 

Il est bien difficile de s'en sortir aujourd'hui.

Quand on a un bidon d'essence, on n'a pas de tourteau.

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Non, il ne faut pas songer à marcher à la voile.

Semblables à celles de Douarnenez, nos pinasses longues de 14 mètres ont des moteurs de 35 à 50 chevaux.

 

Leurs deux petites voiles, grandes comme des tabliers de femmes, peuvent aider le moteur par grand largue ou vent arrière.

 

Elles ne peuvent rien par vent debout, même en supprimant l'hélice.

 

Les chaloupes non pontées dont on se servait avant 1914 avaient deux grands mâts, une misaine et un taille-vent, soit 120 mètres carrés de toile pour la misaine et 110 mètres pour la grand'voile ;

les voiles de nos pinasses ont actuellement 25 et 40 mètres carrés.

 

De plus ces bateaux faits spécialement pour le moteur sont trop légers et n'ont pas de quille.

Et puis ? comment, en admettant qu'une transformation soit possible, arriverions-nous à payer des mâts plus hauts, la voilure, l'enlèvement de l'hélice ?

Il resterait toujours le tirant d'eau à augmenter.

Non, Je ne vois pas la chose possible.

 

Une pinasse sardinière de 14 mètres avec moteur de 50 C.V. revenait, avant la guerre, prête à prendre la mer, à environ 200.000 francs.

Nous avons consenti l'immobilisation de ce capital parce que ces bateaux nous permettaient de gagner du temps d'aller plus loin, de faire des pêches plus fructueuses.

Revenir en arrière n'est plus possible.

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Et cependant !

Un moteur de 7 chevaux employé par les canots maquereautiers consomme 25 litres d’essence en deux jours.

Un de 35 C.V., en moyenne trois bidons ou 150 litres pour deux sorties et un de 50 CV. Pour les pinasses sardinières quatre bidons ou 200 litres d’essence, en deux jours

 

Le dictateur à l’essence, comme se nomme lui-même M. René, ministre de la Production industrielle et du Travail, a promis d’amener en France, par tous les moyens dont il dispose, les pétroles qui permettront de « détendre un peu la situation ».

 

« Nous poursuivons nos efforts et, dans le même temps, a-t-il dit, mes services vont s’employer à tirer tout le parti possible des succédanés de l'essence. »

 

Que les services de M. Belin se hâtent et n’oublient pas les pêcheurs dans leur distribution s'ils veulent éviter la raréfaction des conserves de poissons qui seront si nécessaires cet hiver pour parer au manque de ravitaillement et surtout qui éviteront de jeter dans la misère la si intéressante corporation de nos braves pêcheurs bretons.

 

(À suivre)

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