top of page


1921

Le pont de Térennez
par Charles Léger


 

 

Source : La Dépêche de Brest 15 décembre 1921

 

Rongé, fouillé, déchiqueté plus qu'aucun autre par les flots ;

traversé, découpé, sectionné par une infinité de rivières, de ruisseaux et de ruisselets, notre département est, sans conteste, un des plus pittoresques de notre pays.

Mais aussi est-il un de ceux où les relations entre, les communes qui le composent sont des plus difficiles.

 

En effet, le développement comme le nombre des caps, des pointes, des presqu'îles, la profondeur comme l'étendue des baies, des rades, des criques, contraignent les habitants de villes voisines en apparence à faire d'interminables détours pour passer de l'un chez l'autre.

 

On y a bien remédié dans une large mesure par l'établissement de services maritimes, de bacs et de ponts, mais les besoins sont tels, les nécessités se font à ce point sentir, que pas une session du conseil général ne s'écoule sans que cette question soit longuement agitée.

En effet, la tâche qui reste encore à accomplir dans cette voie est loin d'être terminée et n'est certes pas la moins importante de l'œuvre entreprise.

 

Ainsi, le cœur même de notre département auquel la nature, avec l'aide de l'Océan, a donné la forme très nette d'une croix, n'est-il pas isolé ?

L'Aulne qui sinue à sa base l'a presque détaché.

Et l'on sait quelles difficultés il en résulte pour les habitants de la presqu'île de Crozon désireux ou contraints de gagner particulièrement l'est ou le nord du département.

 

Que les cultivateurs au moment des foires, que les touristes à la belle saison veuillent passer de Crozon au Faou, par exemple, et il leur faudra, du fait de la rivière, subir un allongement de parcours d'une quarantaine de kilomètres, car il n'existe pas de pont avant Châteaulin.

 

Il est bien un bac à rames qui transporte d'une rive à l'autre, à Térennez, bêtes et gens, voitures et marchandises, niais comment fonctionne-t-il ?

Tout d'abord, avec une lenteur désespérante qui s'accroît forcément lorsque le vent souffle.

Et puis, comme, en été, il lui faut passer par jour environ une trentaine d'automobiles de tourisme en plus des transports normaux on doit, pour attendre son tour, passer la plus grande partie de sa journée sur a berge.

On conçoit après cela qu'un jour de foire, par exemple, il faille renoncer à employer ce moyen de fortune et se résoudre à parcourir une route démesurément allongée.

C'est d'ailleurs pourquoi bon nombre de foires de ces environs sont loin d'avoir toute l'importance à laquelle elles pourraient prétendre.

 

Enfin, l'accès au bac est des plus difficiles, et fréquemment de lourdes voitures s'embourbent à marée basse sur la pente vaseuse des rives.

 

Tout cela, comme bien l'on pense, n'allait pas sans provoquer de la part des usagers d'interminables récriminations.

 

En avril 1909, M. Louppe s'en fit l'écho au conseil général et proposa de faire mettre à l'étude un projet de pont à établir en ce même lieu de Térennez, à l'endroit le plus resserré de la rivière.

Cette intéressante proposition était examinée par l'administration compétente, qui, à la session suivante, présentait cependant un rapport, dont les conclusions, toutes différentes, tendaient à l'établissement d'un bac à vapeur.

 

On fit alors ressortir qu'avec un bac à vapeur, au bout de 18 ans, le département aurait dépensé 250.000 francs, sans que la situation soit changée.

C'est pourquoi, en dépit des conclusions défavorables du service vicinal qui trouvait trop coûteuse la construction d'un pont, la commission des travaux publics du conseil général proposait cette construction.

 

Et l'on examina divers projets.

Allait-on faire un pont ordinaire, un pont suspendu, un pont avec tablier mobile ?

Ce pont devait-il ou non permettre le passage d'une voie ferrée ?

 

Le choix dépendait surtout, bien entendu, du prix de revient.

Une commission, nautique, chargée de fixer les conditions de hauteur du pont et d'apprécier les difficultés que la construction des divers types de pont pouvait apporter à la navigation, donna sa préférence au pont suspendu, qui ne pourrait être établi à moins de trente mètres au-dessus des hautes eaux.

 

Toutefois, la commission estimant aussi qu'un intervalle de 125 mètres entre les piles suffisait pour ne pas gêner la navigation, on s'occupa également d'un projet de pont en ciment armé qu'on pourrait utiliser pour le passage d'un train.

 

La première évaluation du prix de revient du pont suspendu était de 600.000 francs, alors que celle du pont en ciment armé était de 900.000 francs.

Cette considération détermina le conseil général à fixer son choix sur la construction d'un pont suspendu.

​

 

Un ouvrage d'art

 

Entre deux rives dressées presque droites comme des murailles, au creux d'un lit large et profond, l'Aulne coule lentement vers la mer.

Il s'y dirige à regret, semble-t-il, tant ses évolutions sont nombreuses.

Il va, revient, contourne, se replie, ne repart que pour suivre des directions dont la variété est infinie.

Il est vrai que le pays dans lequel il serpente ainsi est tellement beau, qu'on comprend toutes ces hésitations, toutes ces appréhensions, toutes ces résistances qui prolongent la joie de le refléter.

 

À l’embouchure, à l’abri de cette pointe merveilleusement ombragée de Landévennec, où règne le calme le plus reposant, trois vieux cuirassés qui propulsèrent jadis leur puissance vers les mers les plus lointaines, se décomposent à coté de leur confrère mort-né Flandre.

 

Vifs et peut-être narquois, profitant de la marée et du vent qui s'engouffre avec violence dans ce vaste couloir, de petits voiliers évoluent d'une rive à l'autre en se hâtant vers Châteaulin.

 

Encore 19 kilomètres à parcourir.

Voici là-bas, au fond, la tête rase du Menez-Hom qui domine de toute sa masse les sommets, les coteaux, les monticules d'alentour tout couverts de chênes et de pins.

 

Térennez !

À un kilomètre et demi environ du bac sur chaque rive, une pile de maçonnerie droite comme un I, haute comme un phare, sort des eaux pour s'élever au niveau de la route qui court au sommet du coteau voisin.

Ce sont les piles principales du pont en construction.

 

L'une d'elles, sur la côte d'Argol, est affublée d'un échafaudage, au long duquel monte électriquement une benne chargée de matériaux.

Elle n'a pas encore atteint ses 66 mètres comme celle qui lui fait face.

Il est vrai que dans son ombre s'élèvent aussi d'autres piles plus modestes :

celles d'un viaduc de raccordement.

 

Ces travaux difficultueux commencèrent sur la rive droite en mai 1913, et sur la rive gauche en juin 1914.

La guerre vint tout interrompre.

 

Lorsque la paix fut signée, le Conseil général, tenant compte de la hausse considérable du prix des matériaux et de la main-d’œuvre, et décida l'ajournement des travaux dans l'attente de circonstances plus favorables.

Mais les services compétents signalaient l'urgence et la nécessité d'opérer la consolidation des piles et, en mai 1920, M. Autajon, entrepreneur, qui avait pris la succession de son père, décédé durant les hostilités, était invité à reprendre les travaux.

 

C'est ainsi que sous la haute direction de MM. Lefort, ingénieur en chef des ponts et Chaussées, et Hernigou, agent-voyer de l'arrondissement de Châteaulin, l'achèvement de la maçonnerie est poursuivi avec activité.

On prévoit, dès à présent, que cette partie de la construction sera terminée dans le courant de l'été prochain et qu'on pourra entreprendre l'installation de la partie métallique de l'ouvrage au printemps suivant.

Ainsi le pont pourrait être livré à la circulation vers la fin de 1923.

 

D'importantes modifications ont dû être apportées au projet primitif au cours de l'exécution.

Par exemple la portée principale est passée de 250 à 272 mètres, à cause de la nature défavorable du terrain rencontré à l'emplacement prévu pour les fondations de la pile de la rive gauche.

La portée totale sera de 416 mètres.

 

Comme bien l'on pense, les prix de revient ont supporté des modifications autrement considérables.

En effet, les dépenses relatives à la seule partie métallique sont évaluées actuellement à 2.250.000 francs.

Ajoutons qu'une demande a été faite au ministre de l'Intérieur pour que l'État, qui a déjà prêté son concours financier pour les travaux de maçonnerie, accepte de participer également aux dépenses relatives à la partie métallique.

La proportion de cette coopération serait de 27 %.

 

On avait autrefois songé à faire passer sur ce pont une voie ferrée allant de Crozon au Faou, mais cette idée fut abandonnée.

Cependant, le passage d'un chemin de fer sur cet ouvrage ne serait pas impossible ;

il suffirait simplement d'augmenter le nombre de câbles.

 

Ainsi, la route créée à 30 mètres au-dessus de l'Aulne rejoindra celle de Crozon, d'une part, sur le plateau près du village du Restou, et, d'autre part, celle du Faou, à peu de distance du bac.

Et ce sera pour cette importante région, tant au point de vue économique qu'au point de vue touristique, un grand bienfait qui déterminera les plus heureux effets.

​

bottom of page