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1937

Des appareils à sous
dans les gares

 

 

Source : La Dépêche de Brest 17 septembre 1937

 

— Pressons-nous.

Plus qu'une demi-heure avant le départ du train.

Avec tout ce monde, il sera difficile de trouver un coin.

 

Toute une famille pénètre dans le hall circulaire de la nouvelle gare, empli du brouhaha de la foule des voyageurs.

Le bureau de renseignements est pris d'assaut.

La marchande de journaux est débordée.

Au tabac, les vendeuses ne savent où donner de la tête.

Il y a queue aux guichets de distributions de billets.

 

Finies les vacances. On part!

Au dehors tombe sans arrêt un petit crachin qui mouille.

Comme les vacances, l'été est terminé.

 

— Par ce temps-là, ça fait tout de même moins de peine de partir, dit un voyageur en s'emparant de deux lourdes valises, tandis que sa femme soulève des sacs et que les enfante se chargent de haveneaux qui vont être remisés jusqu'à l'an prochain.

— Laissez cela, dit le grand-père.

Nous quatre, qui, ne partons pas, allons vous aider.

Je vais prendre des billets de quai pour vous installer dans votre compartiment.

 

Le brave homme fait quelques pas, ouvre son porte-monnaie, s'aperçoit qu'il ne contient aucune pièce de cinquante centimes.

L'appareil ne reçoit pas d'autre monnaie.

 

— Attendez-moi une seconde, je vais acheter la Dépêche pour faire de la monnaie.

— Vous nous rejoindrez sur le quai. Nous allons toujours retenir nos places.

 

La librairie a beaucoup de clients.

Le grand-père doit attendre son tour et quand il a payé le journal avec une pièce de dix francs, la marchande, manquant de pièces de dix sous, ne peut que lui en donner deux.

 

Il va acheter une boîte d'allumettes au bureau de tabacs voisin et enfin en possession de ses quatre pièces de dix sous, se précipite vers le distributeur, le fait manœuvrer et revient triomphalement avec ses quatre tickets.

 

— Ce que tu peux être lent ! lui dit sa femme.

Hâte-toi, il nous reste à peine le temps de les embrasser.

 

Les quatre personnes tendent à la fois leur ticket à l'employé :

— Vous n'avez donc pas lu l'affiche ?

Depuis hier, il faut deux tickets au lieu d'un pour aller sur les quais.

C'est écrit sur le distributeur.

Pas besoin, d'ailleurs, de vous en servir, adressez-vous au guichet de délivrance des billets, on y vend des tickets de quai.

Ça ira plus vite...

 

— Comment, s'écrie le vieux monsieur, vingt sous au lieu de dix ! 100 % de hausse !

C'est honteux une augmentation pareille.

L'État donne le mauvais exemple.

Il devrait être poursuivi pour hausse illicite...

 

— Calme-toi, mon ami, lui dit sa femme, tu discuteras après.

Le train va partir, donne-nous les quatre tickets, Suzanne et moi allons entrer.

Allez vite tous deux en chercher d'autres.

Tiens, voilà de la monnaie.

 

Levant les bras au ciel, tempêtant, criant, prenant à témoin les personnes qui l'entourent, le vieux monsieur va chercher quatre autres tickets.

À peine viennent-ils de les remettre à l'employé qu'un coup de sifflet strident retentit.

Le train s'ébranle et, pour leurs quarante sous, les deux hommes ne peuvent, de loin, qu'agiter leurs mouchoirs pour un dernier adieu à ceux qui, penchés aux fenêtres des wagons, répondent de la main avant de disparaître à la première courbe de la voie.

 

— Ça ne se passera pas comme cela, dit le vieux monsieur à l'employé.

Où est le bureau de réclamations ?

 

Suivi d'une demi-douzaine de personnes qui font chorus, il s'y engouffre.

Tout le monde fulmine et parle à la fois.

 

Très calme, l'employé répond :

— Que voulez-vous, messieurs, nous n'y pouvons rien.

L'ordre est arrivé le 10 de mettre, dès le lendemain matin, le nouveau tarif en vigueur et de l'apprendre au public par l'apposition d'une pancarte sur l'appareil distributeur.

Nous ne pouvons que nous conformer, sans les discuter, aux ordres qui nous sont donnés et exiger à l'avenir, en attendant une transformation du mécanisme du distributeur, deux tickets au lieu d'un pour l'accès des quais.

 

— Et vous croyez que cette augmentation va combler le déficit des chemins de fer ?

— Nous ne sommes, monsieur, que de simples agents d'exécution.

— Et moi, je vous dis que cette mesure va à rencontre des intérêts de l'État, dit d'un ton rageur, une dame.

Nous étions venus cinq pour accompagner nos enfants, rentrant à Paris leurs trop courtes vacances terminées, les pauvres petits !

Je suis allée seule les accompagner sur le quai pour vingt sous ;

au lieu de cinq tickets, avec votre hausse excessive, nous n'en avons pris qu'un.

Vous avez donc perdu 1 fr. 50.

Cela se produira d'autres fois.

L'État, monsieur, est un bien mauvais commerçant.

 

Ce fut sur cette appréciation que l’incident prend fin.

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